Parachat Bo – L’obscurité, ou plutôt une lumière sans réceptacle

Parachat Bo – L’obscurité, ou plutôt une lumière sans réceptacle

L’obscurité, un « moyen technique » seulement ?

L’avant dernière des dix plaies d’Égypte est celle des ténèbres, elle constitue l’ultime tournant avant le fléau des premiers-nés et à la délivrance des Bnei Israel. Ainsi l’obscurité précède la lumière, un peu comme lors de la création du monde où nous trouvons que « L’obscurité planait au-dessus de l’abîme », puis aussitôt après « Et ce fut la lumière ».

En plus de cela, il semble qu’il y ait dans le fléau des ténèbres lui-même une amorce à la sortie d’Égypte. Les prisonniers sont décrits dans Tehilim (107; 6) comme « demeurant dans les ténèbres et les ombres de la mort ». Lorsqu’un homme est plongé dans l’obscurité sans pouvoir bouger ou se lever, sa liberté est réduite à néant. Nous pouvons ainsi dire que lors de la plaie des ténèbres, toute l’Égypte est devenue une immense prison. A cet instant précis, les rôles s’inversèrent : les égyptiens qui oppressaient Israel furent enfermés dans une prison naturelle, la nuit noire. Le règne de Paro n’avait plus alors aucun sens. Tout cela, alors que les Bnei Israel jouissaient de la lumière dans leurs demeures. Sans être inquiétés, ils assistèrent littéralement à l’emprisonnement des égyptiens. C’était déjà pour eux, une forme de liberté.

Toutefois, le Midrach nous donne deux raisons à l’origine de cette plaie :

1 – Il y avait dans cette génération parmi les Bnei Israel des impies qui possédaient de l’argent et des titres, et ne voulaient pas quitter le pays. Ils furent punis et moururent avant la libération, et afin que les égyptiens ne voient pas leur sanction, Hachem amena sur l’Égypte le fléau de l’obscurité.

2 – Hachem avait ordonné aux Bnei Israel d’emprunter les ustensiles d’argent et d’or des égyptiens, et au moment de cette plaie, ils eurent l’occasion de repérer ces objets dans les maisons égyptiennes. C’est ce qui leur permit, au moment de leur sortie, de pouvoir répondre aux égyptiens qui niaient posséder de tels objets précieux, et leur dire avec précision où chaque article se trouvait.

Ces raisons font apparaître ce fléau comme un « moyen technique » uniquement, comme si son intention n’avait pour objectif que de cacher certaines choses ou en révéler d’autres.

Mais nous verrons qu’il y avait là une intention plus profonde, et il existe même un lien étroit entre ces différentes raisons.

Une lumière sans réceptacle

Dans l’univers de la Kabbala, il est expliqué que le monde est fait de « lumière » et de « réceptacle ». Le baal haSoulam explique que la lumière en question représente l’influence et le rayonnement divin qui se porte sur un monde par nature imparfait, symbolisé par un réceptacle.

Selon cette approche, le séfer Nétivot Chalom innove en disant que cette plaie d’obscurité se fit en réalité par le dévoilement d’une puissante lumière spirituelle. Cependant, les yeux des égyptiens furent aveuglés car ils ne possédaient pas de « réceptacle » compatible pour recevoir cette lumière. Ils étaient plongés dans leurs pulsions et leur course à la matérialité, c’est pourquoi ce flux spirituel devenait pour eux une obscurité palpable. Comme un homme qui sort d’une chambre noire et se retrouve face au soleil à son zénith. Quelqu’un qui de toute sa vie n’a pas été habitué à la spiritualité, et est sans cesse attiré par les plaisirs terrestres, cette lumière devient pour lui un véritable enfer, source de profondes souffrances. Ainsi, lorsqu’on emmène les mécréants au Gan Eden où sont installés les tsadikim coiffés de leur couronne qui se délectent de l’éclat de la Chékhina, un tel endroit constitue pour eux l’obscurité la plus noire, et c’est pour eux un intolérable supplice de s’y trouver dès lors qu’ils n’ont jamais su ce qu’était la lumière spirituelle.

A côté de cela, les Bnei Israel qui y étaient préparés le vécurent comme un éclairage formidable et nouveau.

C’est aussi le sens du midrach suivant : « D’où venaient ces ténèbres, Rabbi Yehouda dit des ténèbres d’en haut » (chemot rabba 14), or nous savons qu’en haut tout est lumière ? En réalité, même si la plaie de l’obscurité était certes noire, son origine venait d’une lumière éclatante. Lumière pour celui qui possède les moyens de la contenir, mais obscurité des plus sombres pour celui qui ne les détient pas.

Dans le même esprit, nos sages interprètent (Sanhedrin 98b) le verset dans Amos (5; 18) : « Malheur à qui désire voir le jour de l’Eternel ! Que peut être pour vous le jour de l’Eternel ? Ce sera un jour de ténèbres, non de lumière ». Rabbi Simlaï illustre ces propos par la parabole d’un coq et une chauve-souris qui attendaient la lumière. Le coq dit à la chauve-souris : j’attends la lumière, car j’ai des yeux pour voir et apprécier, mais toi qui est aveugle, pourquoi attends-tu la lumière ? Ainsi Israël attend le jour de la lumière – la délivrance finale, mais les nations qu’attendent-ils, car pour eux ce sera les ténèbres et non la lumière (Rachi). En d’autres termes, il n’y a pas forcément d’obscurité absolue, mais ce qui est pour nous une lumière est pour les nations l’obscurité.

Il est écrit dans la guémara (Avoda zara) au sujet du Guéhinam: « Rabbi Chimon ben Lakich dit – il n’y aura pas de guéhinam futur, HKBH fera sortir le soleil de son enveloppe et briller de tout son éclat, alors en même temps seront jugés les impies et guériront les tsadikim ».

Le danger du décalage entre la lumière et le réceptacle  

D’après cela, il nous est permis d’expliquer différemment les propos de nos Sages concernant les impies d’Israel qui périrent durant cette plaie. Ce n’est pas seulement que HKBH avait décrété leur mort précisément à ce moment afin que celle-ci reste discrète, en fait ils moururent tout simplement à cause de cette obscurité. Car cette lumière nécessitait un réceptacle d’une dimension adaptée qui puisse la contenir. S’il nous vient un flux trop large et trop fort pour notre récipient, ce dernier peut tout simplement se briser.

Ceux qui désiraient rester en Égypte n’avaient pas préparé comme il convient le « réceptacle » qui leur permette d’absorber cette lumière. Ils étaient encore plongés dans la matérialité de l’Égypte. C’est pourquoi, la lumière qui se révéla à l’occasion de cette plaie fracassa le réceptacle au point qu’ils en moururent.

Et que dire des égyptiens qui, eux, n’en perdirent pas la vie ? C’est parce qu’ils ne possédaient aucun réceptacle qui puisse se briser, Ils n’avaient aucun moyen de recevoir ne serait-ce qu’une infime quantité de lumière, c’est pourquoi cette lumière les a juste éblouis au point d’en être aveuglés dans la pire obscurité qui soit.

L’emprunt des ustensiles égyptiens, quelle importance ?

Contrairement à eux, par le biais de l’esclavage, les Bnei Israel parvinrent à se forger un contenant apte à capter cette puissante lumière. C’est le sens à donner à la formule du Texte qui affirme que « les Bnei Israel avaient de la lumière dans leurs demeures ». C’était l’objectif de l’esclavage, préparer le peuple à recevoir cette lumière divine. L’esclavage et les makot forgèrent un contenant qui permette de recevoir plus tard le rayonnement extraordinaire de Matan Thora.

Peut-être faut-il voir une allusion à tout cela dans l’emprunt par les Bnei Israel des objets d’argent et d’or des égyptiens. Car ils s’étaient eux-mêmes transformés en « réceptacles » de lumière. Ce contenant fut façonné par les égyptiens, à travers toutes ces années d’esclavage, et par les miracles que Hachem leur fit en Égypte. En réalité, « les grandes richesses » promises par Hachem à Avraham avinou sont le fait même que les Bnei Israel soient prêts à recevoir cette Lumière divine au moment de Matan Thora. Que les Bnei Israel emportent avec eux les objets d’or et d’argent d’Égypte symbolise qu’ils ont finalement retiré de leur esclavage en Égypte le fait de devenir un réceptacle pour « ces grandes richesses » spirituelles. Ainsi, ils ne furent pas seulement libérés comme des prisonniers qui sortent de leur geôle, mais ils avaient façonné leur intériorité en Égypte au point de devenir ce « contenant » prêt à recevoir la lumière.

C’est aussi pour cette raison qu’ils virent les objets cachés des égyptiens pendant ce fléau précisément, car cette plaie imposait d’eux qu’ils soient prêts à recevoir ce rayonnement, et ce n’est qu’à cette condition qu’ils bénéficièrent de lumière dans leurs demeures.

Chacun et ses propres ténèbres

Parfois tout nous paraît sombre. Chacun peut être plongé dans son « obscurité » personnelle, que ce soit vis-à-vis de son conjoint, de ses enfants, dans son travail ou par rapport à la société en général. Nous pouvons alors être très critiques envers les autres et mettre en exergue leurs imperfections, car nous voyons alors constamment ce qui nous dérange.

Cependant, à nous d’intérioriser que si la lumière disparaît de notre vie, le problème est parfois dans le réceptacle, notre « kéli » est pourri de l’intérieur et nous ne sommes plus en mesure d’accueillir la lumière, qui finit par nous aveugler comme pour les égyptiens lors de la plaie de hochekh. Plutôt que dépenser notre énergie dans la recherche de ce qui brille, mieux vaut passer du temps à construire notre « réceptacle », c’est-à-dire à se construire soi-même. Au lieu de décortiquer l’autre pour tenter de déceler une lumière, il est bien plus sain de développer en nous un bon cœur et un bon œil. Voir la lumière ou l’obscurité dépend totalement de nous.

Il arrive qu’une personne ne trouve pas à se marier parce qu’il trouve des défauts à tous les êtres qu’il rencontre, parfois trop avare, parfois un peu colérique, parfois légèrement critique… mais avec une telle attitude il cherchera toute sa vie ! Il se crée tout seul sa propre plaie des « ténèbres ». Pour découvrir la lumière, nous devons développer le réceptacle, c’est-à-dire notre « moi ». Chaque partenaire potentiel contient énormément de lumière, mais il faut être apte et prêt à le découvrir.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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