Parachat Vaéra –  Trois phases de délivrance… et une de plus

Parachat Vaéra – Trois phases de délivrance… et une de plus

Se réaliser pleinement

En chaque être humain se niche cette soif existentielle de connaître son véritable objectif de vie dans ce monde. Toute sa vie durant, l’homme tente de faire émerger le meilleur de lui-même et réaliser au mieux son potentiel. Il lui arrive même de s’inquiéter parfois que ses désirs enfouis au fond de lui-même restent au stade de simples aspirations emprisonnées sans espoir de s’exprimer.

Quelle solution apporter pour parer à cette problématique ? Que nous est-il donné de faire pour vivre en toute confiance et être sûrs que notre potentiel se réalise ?

Notre Paracha cette semaine nous aide à résoudre ces questions.

Remake de la Création du monde

« Elokim parla à Moché et Aharon en disant Je suis Hachem ! »

chemot 6; 2

Ce verset éveille notre questionnement ! Comment est-il possible de concilier le nom Elokim, symbole de la midat haDin – la justice divine, avec le nom Hachem, représentatif de la midat Harahamim – la clémence du Maître du monde ?!

Rabbénou Béhayé y voit une allusion au récit de la Création du monde, pour laquelle la Thora commence par le nom « Elokim », en tant que Créateur des six jours de la Création. Toutefois, à la fin du chapitre, le nom Hachem est évoqué sous forme d’initiales dans l’expression « יום השישי ויכולו השמים והארץ ».

En effet, le monde fut créé selon l’attribut de Justice. Cependant, ne pouvant perdurer sous les conditions du Din strict, il aurait vocation d’être détruit. C’est pourquoi, afin que le monde puisse subsister, le Créateur y a associé son attribut de Miséricorde.

La sortie d’Israel de Mitsraïm constitue un renouvellement de la Création du monde (termes du Netsiv dans son introduction sur Chemot). Au regard du monde naturel qui fut créé par dix Paroles, la création du Peuple juif le fut par les dix plaies envoyées sur l’Égypte.

Jusqu’à la formation de la nation juive, malgré le bon fonctionnement des lois de la nature fixées depuis la création du monde, la finalité de celle-ci demeurait inconnue. En même temps que l’apparition du peuple d’Israel s’établit l’ordre véritable du monde, conformément aux dires de nos sages quant au mot « Béréchit » : le monde fut créé pour Israel, dénommés Réchit – prémices.

Cette création d’Israel, objectif du monde, ne pouvait se réaliser que par le biais de la sortie d’Egypte. La définition de ce Peuple restera éternellement celle « du peuple qui sort de Mitsraim » (Bamidbar 22; 1), comme exprimé par Bilam, prophète des nations.

Quatre langages de Délivrance

Suite à cette introduction, HKBH poursuit et exprime à Moché les quatre célèbres termes de délivrance, sur lesquels sont fondés les quatre verres de vin que nous buvons le soir du Séder à Pessah :

והוצאתי אתכם מתחת סבלות מצרים, והצלתי אתכם מעבודתם, וגאלתי אתכם בזרוע נטויה ובשפטים גדולים. ולקחתי אתכם לי לעם והייתי לכם לאלוקים… כי אני ה’ אלקיכם המוציא אתכם מתחת סבלות מצרים.

« Je vous ferai sortir de la souffrance d’Egypte ; Je vous sauverai de leurs travaux forcés ; Je vous délivrerai d’un Bras puissant avec de grands prodiges. Je vous prendrai pour Moi comme Peuple, et Je serai pour vous Elokim… Car Je suis votre D-ieu qui vous fait sortir de la souffrance de Mitsraim »

chemot 6; 6-7

Se pose alors la question suivante :  n’était-il pas possible de délivrer Israel d’un seul coup, au même moment ?!. Nous savons que « la délivrance d’Hachem est aussi rapide qu’un clin d’œil ». Car en réalité, c’est en une fraction de seconde qu’une personne peut sortir de sa condition sordide pour être élevée au plus haut rang, comme il est dit pour Yossef Hatsadik « il fut sorti en toute hâte de la prison » (berechit 41; 14). Le Sforno ajoute d’ailleurs à ce propos qu’il en sera ainsi concernant la rédemption future, telle que décrit dans Malakhi (3; 1) « Et subitement, arrivera dans son palais, le seigneur que vous attendez ».

Dans ce cas, pour quelle raison répartir la sortie d’Egypte en quatre étapes, au point que nos Sages aient même fixé en contrepartie de boire quatre verres de vin au Séder de Pessah, obligation à laquelle même l’indigent ne peut se soustraire ?!

Il nous importe également de comprendre pourquoi dans le premier verset sont exprimés trois termes de la Délivrance, alors que dans le verset suivant un seul terme est utilisé ? Si cela signifie qu’il ne s’agit plus là de la délivrance elle-même mais plutôt de son objectif, dans ce cas, ce quatrième langage « VélakahtiJe vous prendrai » ne devrait pas être comptabilisé, ne visant que l’objectif final qui est « devenir Son peuple et de Le prendre pour Elokim ».

En réalité, le fait que la sortie de Mitsraïm soit formulée sous quatre termes distincts témoigne de quatre niveaux de délivrance différents, chacun d’entre eux répondant à une dimension spécifique de l’esclavage, comme nous allons l’expliquer.

Étrangers, asservis, meurtris

Le Maharal relève que ces premiers trois termes – Véhotséti, Véhitsalti, Végaalti – sont dits en contrepartie des trois décrets exprimés à Avraham avinou au moment du Brith ben Habétarim – l’Alliance entre les morceaux : « Car ta descendance sera étrangère sur une terre qui n’est pas à eux, ils seront asservis, on les fera souffrir durant quatre cents ans » (Berechit 15; 13).

Nous repérons dans ce verset trois décrets qui vont crescendo, du plus léger au plus sévère : être étranger, être esclave, être accablé de souffrances. Ainsi, l’exil d’Égypte se fractionna en trois périodes : 1– Depuis la descente de Yaacov en Mitsraïm jusqu’à la mort de Lévi, dernier des chevatim en vie, ils étaient étrangers sur cette terre sans qu’aucun d’eux ne soit asservi. 2– Puis, lorsque se leva une nouvelle génération qui ne connaissait pas Yossef, leur esclavage débuta comme il est dit : « Allons, usons d’intelligence contre lui ». 3– Dès lors, et à partir de la naissance de Myriam, commença une période de souffrances qui dura 86 années, à propos de laquelle le Texte dit : « Les Bnei Israel soupirèrent ».

C’est en rapport avec ces trois phases que sont énoncés les trois premiers termes de la Guéoula. Le Maharal relève que l’ordre des versets correspond à l’identique à l’inverse de celui exprimé dans le Brit ben Habétarim. Nous commençons par dire « Véhotséti… – Je vous ferai sortir de la souffrance de l’Egypte », ce qui est en rapport avec la souffrance ultime en Mitsraïm. Puis il est dit « Véhitsalti Je vous sauverai de leurs durs travaux », en contrepartie de l’esclavage. Et finalement, « Vegaalti Je vous délivrerai » en rapport avec le fait d’être étrangers sur la terre d’Égypte.

Sevrage des addictions

Nous pouvons dire que dans tout exil et tout malheur apparaissent d’une certaine façon les trois dimensions citées. C’est un schéma récurrent !

Ainsi en va-t-il par exemple d’un craquage intérieur, tel une dépression. Au début, la personne se sent « étrangère », pas à sa place. Ensuite, elle se sent asservie à quelque chose ou à quelqu’un, et enfin elle va même jusqu’à se sentir martyrisée. Et le processus de réparation se met en place suivant la même logique, en traitant d’abord les dégâts les plus lourds jusqu’aux plus légers.

La Thora nous enseigne ici le secret pour se défaire de tout genre d’addiction et de dépendance. Ce cheminement ne se fait pas d’une seule traite, mais en plusieurs étapes.

Prenons par exemple un drogué ou un alcoolique, ou autre sujet de n’importe quelle addiction néfaste. La force de l’habitude et de la dépendance transforment la personne au point de l’amener à accepter cet esclavage comme une réalité sans issue, dont il n’est pas possible de se défaire. Tel l’alcoolique qui s’imagine qu’il n’a plus d’autre choix que d’accepter définitivement son addiction, car il n’entrevoit aucune voie de sortie.

La première étape du remède est de sortir « de la souffrance d’Égypte ». Cette souffrance est capable de détruire l’identité du Am Israel, à D-ieu ne plaise. C’est pourquoi, dans l’étape de la Délivrance, il est nécessaire de sortir avant tout le peuple de ce tourment pour l’amener à se reprendre et se redresser. Ainsi en va-t-il de cet homme soumis à l’alcool. Il lui faut déjà parvenir à cette conscience basique « d’assujettissement », réaliser qu’il y est immergé pour pouvoir essayer de relever la tête et fuir cette habitude dévastatrice.

La seconde étape est la rupture physique et morale avec l’oppresseur. En Égypte, cette phase se réalisa lorsque les Bnei Israel égorgèrent l’agneau, symbole de leur soumission spirituelle. C’est l’exemple de l’homme qui, pour s’en débarrasser définitivement, brûle son alcool ou détruit sa drogue, affirmant ainsi sa liberté et son indépendance à leur égard.

La troisième phase s’accomplit avec le retour de la personne à sa juste place. Cela en exprimant de toutes ses forces la volonté de revenir à son identité antérieure, celle préalable à cette funeste addiction.

Le quatrième terme de Délivrance

Mais le processus de désintoxication ne s’achève pas encore à ce stade. Les trois premières phases correspondent à l’exil, pour lesquels furent dits les trois langages de Guéoula. Néanmoins, la Thora nous enseigne qu’un quatrième terme est nécessaire, le plus important de tous ! « VelakahtiJe vous prendrai pour Moi comme Peuple ».

Se trouve là la pierre angulaire des quatre formules, en contrepartie desquelles sont fixés les quatre verres du Séder. Cette expression est celle qui donne tout leur sens aux trois premières. La sortie de Mitsraïm n’était pas un objectif en soi, elle visait cette finalité indispensable de devenir le Peuple du Maître du monde. Nos Sages nous ont révélé cet élément en interdisant de boire entre le troisième et le quatrième verre du Séder – car entre les trois premiers termes de la Guéoula et le quatrième, il ne peut y avoir d’interruption !

Ainsi en va-t-il dans le domaine du sevrage d’une addiction. Il arrive bien souvent qu’une personne parvienne à se défaire de ses pulsions négatives, mais peu après, ces pulsions la reprennent avec une force décuplée. Un obèse qui par exemple aurait subi une intervention de gastroplastie pourra certes éliminer une bonne surcharge de graisse dans un premier temps, mais l’habitude revient au galop, et peu après reviennent aussi ses pulsions pour la nourriture, il peut alors se mettre à grossir doublement…

La cause de tout cela est que l’addiction en question a transformé la personne. Elle a acquis une façon d’être et des habitudes qui ont pris place dans son identité. Lorsqu’elle désire changer et se libérer de sa dépendance, se crée un vide qui l’amène à ressentir un manque dans son identité personnelle. C’est l’instant le plus critique et dangereux. Si elle ne désire pas rechuter avec encore plus de force, ou se laisser aller à un autre vice en contrepartie, il lui faut aussitôt se forger une identité nouvelle, fondée sur de bonnes habitudes.

Pour conclure

Pour revenir à la question de la réalisation de soi et de son épanouissement dans le monde, il semble qu’il faille avant toute chose nous connecter à nous-mêmes et neutraliser tous genres de dépendances et addictions qui n’attendent que l’instant de franchir le seuil de nos portes et de nos vies.

Découvrir le fait fondamental que la course permanente aux plaisirs matériels ne nous rend pas plus heureux est déjà la première étape à l’accomplissement de notre mission. Ces plaisirs perdent rapidement leur sens au niveau de la satisfaction qu’ils procurent et sont éphémères. Ils infiltrent et créent un vide dans l’âme de la personne assoiffée de quelque chose de plus profond, appelé « objectif authentique ».

Ainsi, importe-t-il à l’homme de se travailler pour « sortir de Mitsraïm », de s’éloigner petit à petit pour rompre définitivement avec tout ce qui peut l’assujettir même inconsciemment, pour s’attacher fortement à son identité personnelle, et de là, se permettre l’accès à la réalisation de son objectif de vie dans le monde.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

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