Parachat Béaalote’ha- La noblesse de l’humilité

Parachat Béaalote’ha- La noblesse de l’humilité

Rav Guerchon Edelstein : cent ans de travail sur soi

Tous en Israel, ainsi qu’en diaspora, sont encore endeuillés et pleurent la disparition cette semaine de l’un des géants spirituels, guide de la génération, Hagaon Rabbi Guershon Edelstein zatsal, qui nous éclairait et nous orientait du haut de son grand âge par sa profonde sagesse.

Il était celui sur qui les yeux de tous étaient rivés, souhaitant recueillir les mots sortant de sa bouche pure. Son apparence majestueuse reste gravée dans ma mémoire depuis la période où j’étudiais à la Yéchivat Ponevezh. Je me souviens de son entrée quotidienne au Beith hamidrach chaque soir avant la Téfila de Maariv, dans une salle remplie d’étudiants. Nul ne pouvait s’empêcher d’admirer son allure noble jusqu’à ce qu’il regagne sa place et s’y installe. Son image remplissait l’espace d’une élévation particulière. Un mélange de simplicité, de pureté et d’humilité, associés à une grandeur et une puissante intensité. Quel contraste dans la nature d’un homme !

Au-delà de toutes les qualités, il semble que s’exprimait tout particulièrement chez lui celle de l’humilité. C’est par ces mots que son grand ami, le Roch Yéchiva de Ponevezh Hagaon Rav Baroukh Dov Povarski, qui fut proche de lui durant 80 ans, fit son éloge funèbre : ‘S’il existait une notion d’humilité, Rabbi Guershon la personnifiait’. Déjà depuis son jeune âge, le Hazon Ich avait formulé que Rav Guershon avait un « handicap » en ce qui concerne l’orgueil. On demanda un jour à Rav Guershon si cette rumeur était exacte, il répondit avec humour ‘je pense qu’elle est vraie mais avec les années, j’ai guéri de mon handicap’.

J’ajouterai ici une anecdote personnelle. Lorsque je me rendis chez lui pour demander une recommandation pour un modeste ouvrage que j’avais écrit, il était alors âgé de 90 ans. Après m’avoir délicatement expliqué qu’il n’accordait plus aucune recommandation pour des raisons personnelles, tout en s’excusant et me disant qu’il me l’aurait écrite avec joie, il resta une bonne demi-heure à s’intéresser à mon recueil en lisant même avec moi quelques passages. Son temps était compté et strictement mesuré, mais l’essentiel était de me procurer un ressenti positif et m’accorder ses encouragements. Cela m’a profondément marqué et m’accompagne encore aujourd’hui.

Ce trait de caractère d’humilité nous relie à la paracha de cette semaine.

La qualité fondamentale de notre dirigeant éternel

Notre paracha pointe la mida fondamentale de Moché Rabénou. Moché est l’homme qui mérita de recevoir la Thora au Sinaï et eut le privilège de la transmettre au Klal Israel, et ainsi à toutes les générations. Le premier dirigeant du Peuple élu, Am Israel, est l’homme dont l’impact sur le monde reste le plus impressionnant qu’un homme ait pu mériter. Quelle était donc la qualité fondamentale de cet homme ?

« Et l’homme Moché était le plus humble parmi tous les hommes sur la surface de la terre » (Bamidbar 12; 3) – c’est de l’humilité qu’il s’agit.

Ce verset arrive précisément à la suite de l’évènement où Aharon et Myriam « dénigrèrent » Moché au sujet de ‘la femme kouchit qu’il avait épousée’. En effet, après que Eldad et Médad aient prophétisé, Tsipora dit ‘malheur à leurs femme desquelles ils vont se séparer comme mon mari s’est séparé de moi’. Myriam fut secouée par la peine de sa belle-sœur. Elle alla se plaindre auprès de Aharon de cette décision étrange qu’avait pris Moché. N’étaient-ils pas eux-mêmes prophètes sans qu’il leur ait été demandé de se séparer de leurs conjoints ? (Rachi)

C’est sur ce point que le verset dit Hachem entendit; et l’homme Moché était le plus humble de tous les hommes sur la surface de la terre’. Le Ramban explique que ce verset vient fournir l’explication au silence de Moché qui ne répliqua pas malgré que cette conversation entre Myriam et Aharon avait eu lieu en sa présence. Son immense humilité justifie qu’il ne réponde pas à cette atteinte envers lui, et cela explique que Hachem soit venu à son aide.

Comment est-ce possible ?! Nous savons que Moché par nature n’était pas un homme spécialement soumis. Il avait en lui une grande force intérieure et savait s’affirmer, comme nous trouvons depuis son jeune âge qu’il ne pouvait garder le silence face à une injustice (en sortant du palais de Paro, il avait tué l’égyptien qui frappait un hébreu). Comment Moché rabbénou est-il parvenu à faire à ce point la différence entre la défense de son honneur personnel et le bien de la collectivité ?

Préalablement, il convient d’expliquer ce que l’on entend par l’humilité, car en réalité une personne qui n’est pas consciente de ses vertus ne peut progresser. Par contre, si elle les réalise, pour quelle raison se minimiserait-elle ? Agir ainsi, ne serait-ce pas vivre dans une sorte de déni de soi ? Finalement, la modestie ne serait-elle pas toujours de la fausse modestie ?

Es-tu jaloux pour moi ?

Pour tâcher de comprendre, arrêtons-nous à un autre endroit de notre Paracha. Il est dit de Eldad et Medad qu’ils prophétisaient dans le camp. Yehochoua, disciple inconditionnel de Moché, les entendit prophétiser : ‘Moché va mourir et Yéhochoua va le remplacer’. Il fut atteint par cette affirmation envers son maître et dit ‘Mon maître Moché, empêche-les’. Moché, dans sa grandeur, lui répondit cette réplique extraordinaire que nous devrions tous garder avec nous pour la vie « Es-tu jaloux pour moi ? » (Bamidbar 11 ; 29). Moché ne comprend pas ce qui justifie d’être jaloux. Y aurait-il une compétition quant au niveau de prophétie ? A quoi cela servirait-il d’être jaloux ? Et pour quelle raison ne pas se réjouir des autres prophéties ? La prophétie proviendrait-elle de leur force propre ?

En cela résidait la grandeur de Moché. Bien qu’il sache parfaitement qu’il surpassait tout un chacun, il était malgré tout le plus humble de tous les hommes, car il se sentait tel un canal dont toute la force émane de Hachem. Seul un homme qui vit avec une telle conscience est en mesure de connaître sa propre dimension et s’en féliciter sans pour autant que cela le conduise à en éprouver de l’orgueil.

S’enorgueillir de sa modestie ?!

A la fin du traité Sota (49), il est dit que « depuis la mort de Rabbi, la modestie et la crainte de la faute n’existent plus ». Rabbi Yossef dit à ce sujet : « tant que je suis là, ne dis pas que la modestie n’existe plus ». La question est ici criante, comment est-il possible de se vanter de sa propre modestie ?!

En réalité, comme nous l’avons dit, la faculté qu’un homme a de connaître et d’affirmer ses qualités, et en particulier sa modestie, témoigne de sa totale pureté d’intention, ce qui lui permet d’être assuré que cet éloge ne touchera pas sa mida d’humilité.

En vertu d’un tel principe, nous comprenons qu’il ne faut pas confondre humilité et petitesse, ni penser qu’être humble affaiblit la personne, à l’inverse, cela renforce ses exigences envers lui-même. La conscience que ce que l’on a reçu appartient à HKBH insuffle une force impressionnante, et en même temps elle exige une fidélité sans faille à sa mission.

Humble comme Moché et petit comme Aharon

Nos sages disent ‘un homme s’efforcera d’être toujours humble comme Moché et petit comme Aharon’. Le Meiri explique (Hibour Hatéchouva) que l’humilité se distingue radicalement de la petitesse. L’humilité est un attribut qui s’allie naturellement avec la force et la fermeté, alors que la petitesse est synonyme de faiblesse et de soumission. Moché symbolise l’humilité, et nous trouvons à son sujet qu’il a su se dresser pour défendre son point de vue à maintes reprises. Tandis que Aharon représente la conciliance, et nous trouvons qu’il n’a su se lever contre les fauteurs lors de la faute du veau d’or.

Nous pouvons illustrer ce propos par l’anecdote suivante. Un groupe de jeunes filles furent reçues par le Rav Israel Meir Lau. L’une d’elle s’arma de courage et osa demander : « Kévod Harav, ma fête de bat-mitsva approche, et je n’ai pas le courage de prendre la parole ni même de remercier publiquement mes invitées. Je constate que le Rav fait des conférences à travers le monde avec grande assurance, quel est son secret ? Peut-être pourrait-il m’enseigner comment surmonter ma peur ? »

La réponse fut surprenante : « Tu as raison, je me suis tenu devant le pape, devant Gorbatchev, et devant Fidel Castro, face aux dirigeants des Etats-Unis d’Amérique, d’Europe et de l’ONU, et je vais te dévoiler ce qui m’a donné cette force. Je garde en permanence à l’esprit que je ne me tiens pas seul. Du fond de ma gorge, des générations éternelles parlent, des hommes et des femmes qui ont surmonté toutes les difficultés sans changer leur idéal. Sur notre terre passèrent les peuples de Amon et Moav, ainsi que Aram et Tsidon, et également Achour et Bavel… Où sont-ils aujourd’hui ? Ils n’ont pas même traversé, comme nous, les affres de l’expulsion d’Espagne ni l’horreur des camps d’extermination d’Auschwitz, alors pourquoi furent-ils effacés de la scène de l’Histoire ? Lorsque je me lève pour prendre la parole, je me remémore et me représente cela. Pense à cela toi aussi, avant ta bat-mitsva et tu en tireras la confiance dont tu as besoin pour parler en public… ».

Pour conclure

Nous conclurons par une histoire remarquable. Un jeune homme arriva un jour à la Yéchiva de Ponevezh, c’était le premier jour du ‘zeman’. Chargé de lourdes valises, le garçon qui ne connaissait pas la Yéchiva ni ses rabbanim, se tourna vers Rav Guershon qui passait précisément par là. Naïvement et en toute simplicité, le jeune homme se tourna vers le Rav et lui demanda « où se trouve la Yéchiva ? » Rav Guershon lui répondit « Je m’y rends justement, viens avec moi ». Le garçon lui demanda « Qui es-tu ? » et Rav Guershon lui répondit « Je travaille à la Yéchiva ». Il proposa pour le soulager de lui porter l’un de ses bagages jusqu’à la Yéchiva. Le jeune homme accepta et lui tendit son bagage avec gratitude. Le lendemain, quelle ne fut pas sa stupeur lorsqu’il découvrit que cet homme donnait chiour à la Yéchiva…

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

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