Le Grand Chabbat
Il y a plusieurs années, un étudiant juif américain du nom d’Otto Warmbier s’est aventuré en Corée du Nord en tant que touriste. Alors qu’il séjournait dans un hôtel, Warmbier a été filmé en train de retirer une affiche de propagande, acte rapidement qualifié d’« acte hostile contre l’État » par les autorités nord-coréennes. Cet acte apparemment insignifiant lui a valu une peine de 15 ans de travaux forcés. Malgré les efforts diplomatiques pour obtenir sa libération, Warmbier est tragiquement tombé dans le coma puis décédé peu de temps après avoir été rapatrié aux États-Unis. Ce sombre récit illustre bien que même les actions les plus inoffensives, comme manipuler des souvenirs ou des objets importants, peuvent avoir des conséquences dévastatrices sous le règne d’un dictateur.
Ce récit peut servir de parabole à l’essence du Chabbat précédant Pessah, communément appelé « le grand Chabbat » en raison des événements miraculeux qui se sont produits ce jour-là. Ce n’était pas un miracle ordinaire ; il résume la signification profonde de la célébration imminente de la fête de Pessah et le thème de la liberté qu’elle représente. Ce Chabbat là, dixième jour du mois de Nissan, il fut ordonné aux enfants d’Israel d’accomplir le korban pessah. L’acte de sacrifier un agneau, symbole vénéré par les Égyptiens, constitue un défi des Israélites contre leur oppresseurs. Par leur action, les Bnei Israel ont affirmé leur identité de peuple élu destiné à la libération, malgré les risques auxquels ils étaient confrontés. L’agneau pascal, autrefois symbole des dieux égyptiens, représente désormais le sacrifice ultime pour la liberté et la promesse d’un nouveau départ.
Entre Dix Nissan et Dix Tichri
A cet égard, on peut proposer qu’il existe un lien entre le « dixième » jour de Nisan et le « dixième » jour de Tishri, qui révèle un parallèle profond dans le cycle du renouveau et des commencements.
À Nissan, premier mois de l’année, nous assistons à la genèse de l’espoir et de la libération. Ce mois symbolise l’aube de la révélation divine et la promesse d’un nouveau départ. D’un autre côté, Tichri, en particulier à Roch Hachana, marque la création du monde et le concept plus large de renouveau à l’échelle universelle. Le débat parmi les Tanaïm sur la création du monde en Nissan ou Tichri (roch hachana 10b) souligne l’importance de ces mois comme portes d’entrée vers le renouveau et la création.
Nous pouvons ajouter qu’il existe un parallèle entre le dixième jour de Nissan et le dixième jour de Tichri, symbolisant différentes formes de liberté
Yom Kippour, célébré le 10 Tichri, représente un jour de libération profonde, où les individus ont la possibilité de se libérer des complexités inutiles et de trouver la liberté spirituelle. Dans les temps anciens, l’année du jubilé, Yom Kippour symbolisait la libération des esclaves, le son du chofar signalant leur libération de la servitude.
D’autre part, le dixième jour de Nissan signifie le commandement d’offrir le korban pessah, marquant la libération des Bnei Israel d’Égypte. Cette liberté, symbolisée par le sacrifice du Pessah, est une liberté fondamentale qui résonne à travers les générations, comme le montre le rituel du Seder où les descendants d’Israël sont assis en tant qu’individus libérés, semblables à des rois.
Cela nous incite à approfondir le symbolisme et la signification ancrés dans ces marqueurs temporels.
Deux boucs ou un agneau
Pour approfondir ce concept, il faut souligner une distinction significative entre ces deux évènements du calendrier juif. Lors de Yom Kippour, jour solennel d’expiation, deux boucs sont sélectionnés : l’un pour être sacrifié à D-ieu et l’autre, connu sous le nom de ‘Azazel – bouc émissaire, est envoyé pour emporter symboliquement les péchés du peuple dans le désert. En revanche,au mois de Nissan, un seul agneau est choisi pour le korban, symbolisant la rédemption et la libération de l’esclavage en Égypte.
Céder à l’influence étrangère ou céder à la tentation
Nos sages nous ont révélé (Brachot 17) que deux choses entravent notre désir de faire la volonté de notre Roi, c’est-à-dire nier notre liberté : les nations du monde et le mauvais penchant.
A Pessa’h comme à Souccot, ces deux dimensions sont dépassées, la seule question étant l’ordre dans lequel cela se produit. Pessah incarne une révélation divine, symbolisant l’élection par D-ieu d’un peuple malgré son indignité, semblable à un nouveau-né baignant dans son sang. Par conséquent, il s’ensuit logiquement que la déconnexion initiale se produit tout d’abord des « royaumes étrangers », avec la séparation ultérieure du mauvais penchant – « levain dans la pâte », symbolisé par l’interdiction du ‘hamets. Cette progression se reflète dans la Haggadah de Pessah, en particulier dans les deux parties qui relatent le « commencement par l’opprobre » : la première partie détaillant l’esclavage sous Pharaon en Égypte décrit la servitude sous un règne étranger, tandis que la deuxième section, traitant du culte ancestral des idoles, approfondit l’esclavage spirituel intérieur dans lequel nous étions plongés. En revanche, la fête de Souccot a lieu une fois que le peuple s’est développé et a grandi, démontrant sa capacité à s’affiner et à se rectifier en vue du jugement de Roch Hachana. C’est à ce stade qu’ils commencent à s’éloigner du mauvais penchant, ouvrant ainsi la voie à leur libération de l’esclavage des nations. Plutôt que de s’isoler des autres nations, ils cherchent à les influencer et à les guider vers l’amélioration personnelle et la correction spirituelle.
Pessah et Souccot : du particulier au collectif
La fête de Pessah marque l’élection de notre nation et le début de son existence, tandis que la fête de Souccot incarne notre rôle dans la rectification et l’amélioration du monde.
Ce contraste se reflète dans la célébration de Pessah, qui se concentre uniquement sur la nation d’Israël sans mentionner les autres nations. Au contraire, le korban pessah sert à souligner la profonde rupture avec la culture égyptienne et le rejet du culte étranger comme condition préalable à l’accès à la liberté. Cette séparation fut si profonde qu’elle a nécessité en premier lieu, l’adoption d’un calendrier distinct, symbolisant une rupture avec le système normatif. À l’opposé, Souccot célèbre l’inclusivité en reconnaissant toutes les nations, avec des offrandes faites au nom des nations du monde tout au long de la fête.
De ce point de vue, on peut saisir la distinction entre le dixième de Tishri, Yom Kippour, où deux boucs sont offerts, l’un pour Yaacov et l’autre pour Éssav, et le dixième de Nissan, où un agneau singulier, autrefois vénéré comme une idole par les Egyptiens, est sacrifié. Cet acte signifie la négation des idoles et des influences extérieures, affirmant la non-existence de telles forces. Cela marque le début de notre identité en tant que peuple, transcendant toutes les dimensions du monde comme si elles étaient inexistantes. Notre sélection n’était pas un « prélèvement » parmi l’ensemble des nations, mais plutôt un « arrachement » d’elles, établissant une réalité où leur existence est sans conséquence dans notre royaume.
Au cours de cette fête, la nation d’Israël célèbre son avènement, excluant les étrangers de la participation à cet héritage. L’essence de la fête réside dans son caractère intime, souligné par la directive selon laquelle “un étranger ne peut pas y participer”, réservant la participation aux seuls membres du peuple.
S’il est vrai qu’Israël finira par assumer un rôle universel dans l’humanité, cette transformation se produira plus tard, notamment pendant Souccot. Cependant, avant de se lancer dans cette mission universelle, il est crucial de cimenter une première phase où la nation juive entretient une relation profonde et intime avec son Créateur.
Michkan en Nissan, Mikdach en Tichri
Au cours de la deuxième année de leur exode d’Égypte, au cours du mois de Nissan, les enfants d’Israël commémoraient l’inauguration du Michkan et les huit jours de Milouïm. En revanche, l’innauguration du Temple eut lieu au mois de Tichri. Le Michkan a été inauguré à Nissan car il a été construit pendant la phase initiale, lorsque les Israélites voyageaient à travers le désert. Son but était de manifester de manière unique la présence de la Chekhina parmi le peuple d’Israël et de perpétuer l’inspiration divine qui a commencé au mont Sinaï. À l’inverse, le roi Chlomo a choisi d’ériger le Temple en Tichri, le désignant non seulement comme sanctuaire national mais aussi comme demeure universelle, comme l’explique sa prière : Je t’implore aussi pour l’étranger qui ne fait pas partie de ton peuple Israël et qui viendrait de loin pour honorer ton nom. Car ils entendront parler de ton grand nom, de ta main puissante et de ton bras étendu, et ils viendront prier dans cette maison.
Pour conclure
Pessah est une occasion sacrée au cours de laquelle Hachem nous distingue de toutes les autres nations, nous désignant comme son peuple élu. Le nom de cette fête – Pessah – vient du moment charnière de la dernière plaie, où Dieu a protégé les habitations des enfants d’Israel en Égypte tout en exerçant son jugement sur les Égyptiens, un acte divin qui a sauvegardé nos familles. Un sentiment similaire de protection divine était palpable samedi soir dernier, alors que 350 missiles iraniens ont traversé notre ciel, menaçant notre population en pleine nuit, sans toutefois causer miraculeusement aucun mal.
Cependant, la providence de Dieu s’accompagne d’un appel à l’action de notre part : notre participation active au korban pessah, symbolisant le sacrifice de soi et une foi inébranlable.
En y réfléchissant, l’affirmation de Hachem à Moché mentionnée dans le Midrach : « Israël ne sortiront point avant d’avoir égorgé le dieu d’Égypte sous ses yeux » révèle une vérité profonde. Notre libération de l’exil et notre existence continue en tant que nation dépendent de notre reconnaissance inébranlable qu’aucune force ne peut opérer au-delà de Sa volonté divine, pas même le système de défense aérienne le plus sophistiqué.