Choftim – Si tu veux la paix… fais la guerre !

Choftim – Si tu veux la paix… fais la guerre !

Qui n’a entendu ce proverbe latin « Si vis pacem, para bellum » – Si tu veux la paix, prépare la guerre ! Ce principe illustre parfaitement la notion de « paix armée », selon laquelle la force militaire serait la garantie maîtresse qui permette à la paix de se maintenir. Toutefois, même si cette thèse semble minimiser le principe de paix, résumé à l’absence de conflit, cette théorie semble davantage devoir être interprétée comme une déclaration de guerre : « Si tu veux la paix, fais la guerre ». En effet, il ne peut être question de véritable paix, sans réelle guerre !

Si vis pacem, para bellum. — Stock Photo © zapomicron #120584590

De même, n’a-t-on pas l’habitude d’entendre dire qu’une « bonne dispute » est quelquefois la garantie d’une vie de couple épanouie. Une controverse appropriée et mesurée, pratiquée dans les conditions de respect mutuel, est bien souvent édifiante pour le couple. Le désaccord, le besoin de passer en revue certaines réalités ou réviser divers acquis, est sans doute au départ un rappel parfois brutal à la réalité, mais a souvent pour sens finalement de rééquilibrer la relation, la fortifier sur une base plus proche du terrain de vie. On n’a jamais fait d’omelette sans casser des œufs n’est-ce pas ?!

Pourquoi notre capitale n’est apparue sur la scène de l’histoire qu’à l’époque de David

L’Histoire a montré que chaque nation appelée à prendre son indépendance et s’individualiser en tant que telle, a eu à cœur pour consolider sa position encore nouvelle et fragile, de poser sous une bannière de centralisation ses idéaux culturels, religieux et politiques, fixant son choix sur une ville comme capitale, symbole de son pouvoir.

Notre peuple s’est radicalement singularisé relativement à ce modèle. La Nation Juive a vu le jour au moment de la sortie d’Egypte. Elle ne possédait aucun centre politique ou culturel qui puisse regrouper et unifier ce peuple, pas de capitale ni de sanctuaire. Il lui fallut patienter près de 500 ans pour que soit finalement construit son Temple sacré, le Beit Hamikdach à Yérouchalayim, cette ville choisie par le roi David. Il n’est pas sans intérêt de se pencher sur cette question, de savoir pourquoi nous a-t-il fallu attendre un demi-millénaire après notre indépendance en tant que peuple, pour choisir un endroit représentatif de nos valeurs.

La ville de Jérusalem et l’emplacement du Temple – dissimulés dans la Torah

En fait, l’endroit du Beit Hamikdach ne nous a pas été révélé par notre Thora. Il est même évoqué de façon dissimulée et secrète. Ainsi dans la paracha précédente, Rééh, est répétée à six reprises cette phrase mystérieuse : « à l’endroit qui sera choisi pour y faire résider Son Nom », sans plus de détail concernant une quelconque localisation géographique.

Notre questionnement se renforce de plus belle: pour quelle raison la Thora semble avoir tenu à occulter cette précision géographique ? Question plus criante encore, si nous considérons que le Mont Moriah – qui est l’endroit du Mikdach – était connu comme le lieu de Téfila par excellence depuis le sacrifice de Ytshak. Le Rambam (Moré Névoukhim) s’est trouvé confronté à cette difficulté, et y a d’ailleurs apporté différents éclairages. Nous allons tâcher dans notre propos d’introduire une version quelque peu différente.

Pourquoi Hachem a-t-il révélé le lieu du temple à David seulement à la fin de ses jours?

A ces questions, nous ajouterons aussi celles qui se posent sur la manière dont le roi David a découvert la place du Temple. David s’est impliqué de tout son être et a employé toute son énergie à rechercher l’endroit du Beit Hamikdach. Il aspirait si ardemment à édifier le Sanctuaire qu’il prononça à cette intention le vœu suivant :

« Je n’entrerai pas dans la tente où j’habite; je ne monterai pas sur le lit où je repose; je ne donnerai pas de sommeil à mes yeux ni de repos à mes paupières; jusqu’à ce que j’aurai trouvé un lieu pour l’Eternel, une résidence pour le Fort de Jacob…».

Psaumes 132

Et finalement, David ne trouva le lieu du Temple qu’à la fin de sa vie, au moment où il construisit l’autel à Goren Arvana, chez le Yévoussi, sur l’ordre de Gad le prophète. Pourquoi ce dernier ne le lui dévoila-t-il pas plus tôt, alors que David avait fourni tellement d’efforts et s’était donné tant de peine dans ses perquisitions pour rechercher l’endroit du Mikdach ?

Temple et Royaume – intimement liés

Afin de répondre à ces interrogations, il nous faut introduire un principe incontournable à l’établissement du Mikdach. Ce dernier n’est possible qu’en un moment où la royauté en place est harmonieuse et pleinement en paix. Sanctuaire et Royauté sont intrinsèquement liés, et c’est pourquoi, la Thora s’exprime relativement à chacun de manière similaire : « que Hachem ton D-ieu choisira… ».

שלמה המלך ומלכת שבא - אגדות מחול, פסל ענק עשוי מחול. מוזיאון ארץ ...

Cette période de règne totalement paisible, ne se réalisa que sous le roi Chlomo, fils du roi David. Les quarante années de son règne furent les plus belles années de toute l’histoire du peuple juif, et même de l’humanité entière. Cette période fut caractérisée par la paix unique en son genre, qui s’installa dans le monde entier. Les monarques du monde entier venaient de toutes parts prendre conseil auprès du roi Chlomo, réputé pour sa sagesse dans tous les domaines. C’est pourquoi c’est lui qui finalement, mérita de construire le Beit Hamikdach et fit de Yérouchalayim le centre spirituel du monde entier.

Il reste la question de savoir pourquoi il fallut attendre autant de temps après la conquête de la Terre d’israel et son partage, pour parvenir à cette royauté et cette paix sans faille ?

Hachem – « Homme de Guerre » ou « Homme de Paix »

Pour comprendre ce point, il est important d’affiner notre appréhension du chalom – la paix ! Hakadoch Baroukh Hou Lui-Même est nommé « Chal’om », comme nous apprend le Talmud (Chabat 10b). C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est interdit de mentionner ce nom dans une salle de bains. Ce nom, contrairement à celui de « EhadUnique », également l’un des Noms du Maître du monde, vient souligner qu’il existe aussi un aspect de guerre, car il ne peut exister de paix sans possibilité de conflit.

De même que l’un des Noms de Hachem est « Chal’om », on peut constater qu’Il porte aussi celui de « Baal Milkhamot – Maître des guerres », ou de « Guibor milkhama – Vainqueur de la guerre ». De surcroît, dans la Chira – le chant de la traversée de la Mer Rouge, Israel a dénommé D-ieu « Hachem Ich Milkhama Hachem Chémo L’Éternel homme de guerre; Éternel est son nom » ! Le Abravanel s’en étonne car “Son Nom” est le tétragramme – Youd-Ké-Vav-Ké – qui exprime toujours Son attribut de Miséricorde ! Comment alors est-il possible de concevoir ce nom pour ce qui a trait à la guerre ?! Le Sforno explique que l’intention de la Thora est d’exprimer que la guerre confère une existence et une réalité au monde en détruisant les « ronces » qui anéantissent son fonctionnement.

En fait, le summum de la Rahamim (miséricorde) c’est justement d’être capable d’aller jusqu’à se battre pour faire régner la Paix. Ces combats menés par Hachem sont justement ceux du Chalom dont Il porte le nom et qui est la finalite de Sa Creation et de Son monde!! Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir les Psaumes au chapitre 29. Dans cette section, la révélation de Dieu est décrite comme quelque chose qui vient choquer l’univers: « La voix de l’Eternel brise les cèdres… fait jaillir des flammes ardentes…fait trembler le désert… », et pourtant ce chapitre se conclut par la paix : « Que l’Eternel donne la force à son peuple! Que l’Eternel bénisse son peuple par la paix ». Effectivement, une véritable paix ne peut être issue que de la force.

Les guerres sont écrites dans la Thora au nom du Chal’om

Afin d’éclaircir cette idée, il faudrait revenir d’abord sur la notion même de paix. Il est évident que l’humanité dans son ensemble a toujours aspiré à la paix, et le « Chal’om » reste en permanence l’objectif du monde. C’est ce qui est exprimé dans les prophéties de Isaïe (2; 4): « De leurs glaives ils forgeront des socs de charrue, et de leurs lances des serpes : une nation ne tirera plus l’épée contre une autre, et l’on n’apprendra plus la guerre ». C’est aussi la raison pour laquelle toute bénédiction, toute prière se termine par le mot « chal’om – paix », car c’est là, toute l’espérance et la finalité du monde.

Mais malgré-tout, sans guerre, la paix ne peut se concevoir, tel qu’il est affirmé explicitement dans le propos du Tan’houma (Parachat Tsav 5) : « Même si les guerres sont écrites dans la Thora, c’est au nom du chal’om qu’elles l’ont été ! ».

Comment appréhender une telle idée ? En réalité, le monde est constitué de contraires et est fondé sur les différences. Établir la paix ne consiste pas à estomper les différences et uniformiser l’ensemble. C’est la capacité d’unir les contraires en préservant à chaque potentiel son individualité. Une telle paix ne peut en arriver à un affrontement guerrier ! La guerre sauvegarde, et même allie, l’identité de chaque chose ou de tout peuple. Ce n’est qu’après que ce soit manifestée la spécificité de chaque camp, avec ses attaches personnelles, qu’il est possible de parler d’une véritable paix. Nous sommes alors bien loin de ces notions fallacieuses dénommées « arrêt des hostilités » ou « cessez-le-feu », de ces traités qui s’apparentent davantage à une trêve entre deux guerres qu’à une paix authentique.

Sans les Guerres de David, il ne pouvait y avoir de Paix de Chlomo

A l’appui de ce qui précède, il est plus aisé de comprendre que pour qu’il soit possible d’accéder à ce niveau de paix et de sérénité, de parvenir à une telle ère d’harmonie parfaite, il fallait avant tout établir l’unité d’Israel, lui permettre d’être suffisamment solide pour ne se soumettre à aucune autre autorité, et être apte à défendre au péril de sa vie ses valeurs essentielles.

Cela ne fut possible essentiellement qu’à travers les guerres et conquêtes de

David, qui consacra quarante ans de sa vie à se battre sans répit pour réduire au silence tout celui qui aurait pu penser qu’Israel se soumettrait un jour. Toutes ces guerres du roi David eurent lieu tant au Nom du Ciel qu’au nom de la Paix. C’est pourquoi son fils, nommé Chlomo, poursuivit son œuvre au nom du Chalom. Et ainsi, dès l’annonce de sa naissance, le verset le souligne en ces termes :

 « voici que tu enfanteras un fils, il sera un homme de répit, et Je le libérerai de tous ses ennemis alentour, car Chlomo sera son nom, et Je ferai reposer la tranquillité sur Israel durant son règne »

Divrei Hayamim I 22; 9

Ces mots nous permettent d’intégrer que ce n’est qu’au terme de ses incessantes guerres, que David a pu déceler l’endroit du Beit Hamikdach. Sans David, il ne pouvait y avoir de Chlomo.

La paix, oui mais pas à n’importe quel prix

On peut comprendre à partir de là pourquoi la capitale du peuple Juif ne pouvait être désignée formellement dans la Torah, et ne pouvait être révélée à David promptement, aussitôt qu’il le voulut. Cette ville de Jerusalem, est appelée sur le nom du Chalo’m – qui fait régner la paix sur ton sol (Psaumes 147; 14). De même le Beth Hamikdach était un centre de justice et de paix, comme décrit dans notre Paracha: Si une cause relative à un différend fournit matière à contestation aux portes de ta ville, tu te lèveras et tu monteras à l’endroit que l’Eternel, ton Dieu, choisira (Devarim 17; 8). Or, une paix véritable ne peut être proposée indubitablement et ne peut être vendue à n’importe quel prix. Elle ne peut naître qu’après avoir fait preuve de fermeté sur ses principes, après avoir préservé son identité, au prix même de faire la guerre !

Vers une paix perpétuelle ?!

La guerre fait partie intégrante de la Création du monde et de la vie des êtres humains sur terre. Et ainsi que l’a énoncé le plus sage d’entre tous les hommes « De tout temps et à toute époque etc… il est un temps pour la guerre et un moment pour la paix » (Kohélet 3).

Il est également instructif de relever que Hachem a fixé les lois de la guerre à la fin de notre Paracha, et cela pour nous faire entendre que même par temps de guerre, il existe une façon de se comporter régie par les lois de la Thora. Cela vient contredire l’affirmation latine qui affirme qu’en temps de guerre, la loi se taitinter arma silent leges.

Tout au long de l’histoire, toutes sortes de théories ont émergé qui cherchaient à « réparer le monde » par la Fraternité des Nations, comme le communisme ou autres. Inutile de dire que ces solutions n’ont jamais réussi, mais sont plutôt devenues des monstres de violence qui ont éclaté dans les vagues de l’histoire.

Vers La Paix Perpétuelle | Rakuten

Nombres de théoriciens ont essayé de conceptualiser la notion de paix mondiale, qui depuis bien longtemps n’est qu’une utopie ardemment désirée. En 1795 Emmanuel Kant publie son projet “Vers la paix perpétuelle”, où il développe qu’un des critères pour que la paix puisse devenir effective et perpétuelle, est de faire une loi universelle, commune et impersonnelle, car seulement grâce à elle, les conflits pourraient être réglés.

Mais entre nous, comment envisager une harmonisation des cultures tellement différentes, parfois même opposés? Comment choisir une culture unique déjà existante, et l’imposer à toutes les nations? Ne serait-ce pas injuste?

La création d’une paix perpétuelle apparait comme un projet autoritaire de suppression des diversités culturelles en imposant une vision unique du Bien pour l’utilisation d’une même juridiction, même système politique, économique, culturel…

Le Chalom, établi et éternel, ne sera palpable et réellement tangible qu’à la fin des temps, se réalisera alors la prophétie d’Isaïe (2) : « une nation ne lèvera pas son épée contre une autre et ils n’enseigneront plus la guerre ». Les relations entre les nations du monde et le Peuple Juif seront pacifiques et ainsi que l’énonce le prophète « le loup résidera avec la brebis et la panthère avec l’agneau » (Isaïe 11; 6). Cependant, une telle paix ne sera pas la résultante d’accords de paix, d’armistices, ou de pourparlers des différents dirigeants, cette paix viendra comme un souffle depuis le Ciel lorsque viendra le juste Rédempteur très prochainement, de nos jours – le Goel Tsédek bimhéra béyaménou. AMEN !!

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.