« Isaac était sorti dans les champs pour se livrer à la méditation, à l’approche du soir » (Berechit 24:62)
Itshak instaure la Téfila de Min’ha
Suite au décès de sa mère bien-aimée, Itshak cherchait du réconfort dans les champs. Là-bas, il se retirait pour « méditer » et apaiser son esprit. Cependant, Nos Sages perçoivent cet acte non pas comme un simple recueillement ou méditation, mais comme une prière particulière, soigneusement murmurée en ce lieu. Notre père Itshak a ainsi façonné pour toujours la prière de “Min’ha”. Au crépuscule naissant, Itshak se retrouvait au centre du champ et se livrait à la prière avec la plus grande dévotion, ancrant à jamais cette invocation pour les générations à venir.
Après de longues heures préoccupée par des affaires matérielles, une personne peut se sentir éloignée de son véritable moi intérieur et déconnectée de ses principes spirituels. C’est précisément à ce moment-là que la prière de “Min’ha” agit comme un pont, réunissant toute personne à son être intérieur, lui permettant de rassembler ses pensées et de présenter humblement ses réalisations quotidiennes à son Créateur.
Beer Lahay Roï : un lieu important pour Itshak
Mais penchons-nous sur un détail intrigant qui ressort du verset précédent : Itshak, avant de s’engager dans sa prière significative, s’est lancé dans un acte mystérieux qui appelle notre exploration. Il n’est sorti pour prier qu’après avoir traversé l’énigmatique « Beer Lahay Roï ». Il nous appartient donc de découvrir la signification cachée de ce lieu supplémentaire.
De plus, l’expression du verset « ba mibo beer lahay roï », qui signifie « revenu d’où il était venu », présente une formulation inédite qui reste sans précédent dans la Bible. Selon l’interprétation du Ramban, ce verset met non seulement en évidence l’endroit d’où Isaac revenait à cette occasion, mais il éclaire un lieu vers lequel il se rendait régulièrement, comme s’il s’agissait d’une demeure alternative. Ainsi, le chemin d’Itshak vers ce puits spécifique dévoile bien une facette profonde de l’univers complexe qui était le sien.
Ajoutons à cela, qu’après la disparition d’Avraham, ses fils Itshak et Ichmaël se sont unis pour assurer un enterrement digne à leur père. Par la suite, Itshak choisit d’établir sa résidence près de Beer Lahay Roï (Genèse 25 : 11).
Nous devons donc comprendre le secret caché dans ce puits, qui attirait tant Itshak, et pourquoi ce dernier a jugé approprié de le parcourir avant de fixer la prière de Minh’a ?
Un lieu de révélation
Mais en réalité, comme nous le savons de la paracha précédente, cet endroit en question était le lieu d’une révélation et d’une intervention divine. C’est là que Hagar, la servante d’Avraham, rencontra l’ange de Dieu, et c’est là que sa prière pour Ichmaël fut exaucée. Cette révélation fut une véritable révolution aux yeux de Hagar. Elle était peut-être habituée à rencontrer les anges de Dieu dans la demeure de son maître, Avraham, une logique évidente au regard de la grandeur d’Avraham. Mais là, au cœur du désert éloigné et désolé, Hagar n’aurait jamais imaginé que Dieu prendrait soin d’une femme malheureuse, rejetée même de la maison d’Avraham.
En réponse à sa fervente supplication, Hagar offre une prière de gratitude et nomme cet endroit ‘Beer Lahay Roï’. Selon la traduction de Yonatan Ben Ouziel, ce nom désigne un espace où le « ‘Hay » (l’Eternel vivant) contemple (« Roï ») la trame de l’existence, lui-même pourtant invisible aux yeux des mortels.
Ce nom incarne une vérité cachée, où, même si au milieu de la désolation l’on peut éprouver un sentiment d’insignifiance et d’invisibilité, le caractère insaisissable de l’espoir devient palpable. Malgré-tout, au milieu de ce paysage apparemment sombre, l’œil toujours vigilant de Dieu demeure, rappel constant de son amour infini et de sa présence inébranlable, offrant réconfort à toutes ses créations.
Hagar et le pouvoir de la prière
En ce lieu sacré, Hagar découvre l’extraordinaire pouvoir de la prière désintéressée et l’amour éternel que Dieu porte à toutes ses créatures (voir Sforno). Elle découvre ici le lien profond entre le ciel et la terre, entre l’humanité et son Créateur. Ce pouvoir de la prière n’était pas seulement une révélation pour Hagar, mais il fut également transmis à son fils, Ichmaël, dont le nom même constitue un témoignage de la réponse de Dieu à la détresse d’Hagar. En effet, à cet endroit précis, Dieu inclinera son oreille vers la voix résonante d’Ichmaël lui-même : « Dieu entendit le gémissement de l’enfant… Qu’as-tu, Hagar ? Sois sans crainte, car Dieu a entendu la voix de l’enfant » (berechit 21:17). En effet, l’essence même d’Ichmaël réside dans le fait d’être écouté par le Tout-Puissant, Seigneur du monde.
Itshak partage une certaine affinité avec Hagar
À partir de là, nous pouvons essayer de comprendre la raison qui se cache derrière le lien d’Itshak avec ce lieu où il a choisi d’établir sa demeure.
Il est connu que parmi les trois piliers sur lesquels repose le monde, Itshak notre patriarche incarne le pilier d’Avodah, le service divin. Ce concept résume l’acte d’auto annulation face à son Créateur, semblable aux offrandes sacrificielles apportées sur le mizbé’ah. La prière, comparé aux offrandes, symbolise aussi cet acte de s’offrir au Divin. Dans ce caractère d’annulation réside la nature extraordinaire d’Itshak.
Il est important de comprendre que, paradoxalement, cet abandon n’atteint sa véritable valeur que lorsque nous reconnaissons l’existence du monde et donnons de l’importance à la réalité tout en annulant sa signification au regard du Créateur. Itshak n’a jamais cherché à rompre tout contact avec le monde matériel ; au contraire, il en reconnaissait l’importance primordiale. C’est entre autre, la raison pour laquelle il aimait tant son fils Essav même si sa droiture n’était pas exemplaire. Itshak vivait simplement dans la conviction et la certitude que cette réalité, dans son intégralité, est soumise à la volonté divine.
Par conséquent, Itshak ressentit une profonde résonance avec la prière d’Hagar, prononcée doucement depuis un endroit lointain, bien au-delà des murs de la maison de son père Avraham. De même, la prière dans les champs au crépuscule, moment où l’humanité se trouve complètement immergée dans les profondeurs des quêtes et des réalisations du monde, représentait le summum de l’essence d’Itshak : une soumission profonde qui transcendait les forces terrestres.
Selon les enseignements d’Ari Hakadoch, il convient de noter que la valeur numérique du mot « Hagar » est précisément de deux cent huit, ce qui correspond de manière surprenante à la valeur numérique du mot « Itshak ».
La résolution d’Itshak
Après avoir réalisé cela, Itshak était résolu à ne pas laisser ce pouvoir entre les mains de Hagar et Ichmaël ; il chercha alors à résoudre la situation en s’appropriant le pouvoir de prière contenu dans ce lieu.
Trois mille ans se sont écoulés, et nos regards se remplissent toujours d’inconfort face à la puissance de la prière et de la ferveur religieuse des descendants d’Ichmaël. Chaque année, des millions de musulmans venus des quatre coins du monde accomplissent un pèlerinage vers leur ville sainte, « La Mecque ». Même au cœur des travaux de construction, les ouvriers arabes retirent leurs chaussures, sans la moindre trace de gêne, et s’agenouillent pour prier. Leurs dirigeants ne peuvent obtenir une phrase sans prononcer ces mots : « Avec l’aide d’Allah ». Ils prient le même Dieu, le Dieu d’Avraham, auquel nous adressons nos prières.
Quelle est alors l’influence potentielle de leurs prières, et pouvons-nous intervenir pour atténuer ou annuler les prières passionnées des descendants d’Ichmaël ?
De la terre aux cieux ou des cieux à la terre
En vérité, il existe une distinction profonde et transformatrice entre nos supplications sincères, celles du noble peuple d’Israël, et celles des descendants d’Hagar. Essayons d’approfondir cela.
La notion de Téfila réside en la capacité de connexion entre le haut et le bas, entre le ciel et la terre. Toutefois, il existe deux modes de connexion. Le premier est d’utiliser le ciel pour s’étendre sur la terre. C’est la voie d’Ichmaël, qui use du pouvoir céleste et de la foi religieuse pour se répandre sur la terre et se propager de plus en plus.
Le rav Moché Chapira explique qu’il est dans la nature d’Ichmael de vouloir se disperser et de se répandre autant que possible. Les ismaélites présentent une nature vagabonde, avec une tendance à l’expansion. Le Torah souligne son sentiment de propriété et de droit, comme indiqué dans le verset – « sa main s’étendra partout » (Bereishit 16 : 12), indiquant leur désir constant d’en vouloir toujours plus. C’est cette caractéristique même qui a conduit le Talmud à les associer à la décadence morale – « Dix mesures d’adultère ont été prises dans le monde ; l’Arabie en a pris neuf et le reste du monde en a pris une » (kidouchin 49b). Ichmaël aspire à conquérir le monde entier, animé par le désir d’imposer ses opinions à tous.
Néanmoins, il existe une manière plus gracieuse et plus authentique de relier le ciel et la terre, comme le révèle Itshak. Son approche permet de maintenir un lien avec les réalités de ce monde tout en s’abandonnant à la volonté divine. Dans cette relation unique, la terre se soumet humblement au ciel, démontrant la compréhension d’Itshak de la prière en tant qu’humble serviteur qui demande ce qui ne lui est pas nécessairement dû. Cette prière de Itshak puise sa force du même engagement inébranlable démontré lors de l’Akeida.
Entre « voir » et « être vu »
Poursuivant cette idée, nous pouvons ajouter et dire que si Hagar a nommé ce puits « Celui qui me voit » pour désigner un Dieu qui a la capacité de tout voir sans pourtant être vu. Itshak, de son côté, a révélé un aspect plus profond de sa relation avec le Créateur, celui d’un Dieu qui non seulement voit ses créatures, mais qui est également visible à leurs yeux. Cette dimension a été découverte après l’acte la Akéda, lorsqu’Avraham dénomma cet endroit « Hachem-Yiré (verra); d’où l’on dit aujourd’hui sur le mont d’Hachem-Yéraé (sera vu) ».
La transformation de « verra » en « sera vu » peut être comprise en examinant les versets annexes, qui relient le concept de crainte et de vue. Au moment où l’ange de Dieu affirme la crainte d’Abraham envers Dieu – « Maintenant je sais que tu crains Dieu », le texte continue en décrivant la vision du bélier par Abraham : « Et Abraham leva les yeux et vit ». Ce lien entre la crainte de Dieu et la vision révèle que notre capacité à voir véritablement est influencée par notre profonde révérence et notre conscience de la présence divine. La crainte de Dieu et la vision sont entrelacées, car la crainte est construite à partir de notre vision et notre pleine conscience de celui devant qui nous nous tenons.
Pour conclure
Ichmaël est considéré comme une « catastrophe » pour l’humanité. Le Zohar Hakadoch déclare : « Malheur à cette époque où Ichmaël est né dans le monde ». De même, le Talmud mentionne que c’est l’une des quatre choses qu’hachem regrette d’avoir créées (souca 52b).
Face à ce désastre et aux ténèbres qui nous menacent, notre unique recours est de forger un véritable lien entre le haut et le bas, le ciel et la terre.
La prière de Min’ha, lorsque le soleil effleure l’horizon, marque le passage vers l’obscurité, le néant. C’est alors que nous élevons nos prières en hommage à Itshak, celui qui s’offrit en sacrifice sur l’autel, symbole du lien indissoluble entre les deux mondes.
Dans cette prière, vibrante d’une vérité profonde, résonne l’écho puissant de la réunification. Nous reconnaissons que tout, même dispersé ou perdu, finira par retrouver son chemin vers sa demeure sacrée. Si la prière de Min’ha n’est pas célébrée avec la splendeur qu’elle mérite, le Créateur du monde, entendant une voix différente, répondra à un nom qui lui a été donné par le fait d’être entendu – Ichma-el.
Il est entre nos mains de parcourir le chemin tracé par notre estimé père, Itshak, en nous plongeant dans la profonde prière de « Min’ha ». Cette prière témoigne de notre dévouement indéfectible et de notre désir de nous connecter avec Hachem. Par cette dévotion, nous avons le pouvoir d’affaiblir l’influence d’Ichmaël et de témoigner du magnifique accomplissement des paroles prononcées par Baal Hatourim dans la paracha à venir : La Torah, dans sa sagesse divine, juxtapose intentionnellement le verset « Voici les descendants d’Yitzchak » avec le verset final de notre paracha actuelle, « Ainsi Ichaël s’étendit face à tous ses frères ». Cette juxtaposition porte un symbolisme profond, signifiant que lorsque viendra le temps pour Ichmaël de faiblir, un descendant d’Yitzhak issu de la noble lignée de David émergera victorieux.