Lekh Lékha – Le Miraculé en ligne de mire…

Lekh Lékha – Le Miraculé en ligne de mire…

Notre réflexion cette semaine se portera sur un épisode assez secondaire, du moins à nos yeux, de la vie d’Abraham. Nous aurions pu l’appeler ‘La Guerre des Quatre Rois de l’Est contre les Cinq Rois de la Vallée du Jourdain’ ou encore ‘Le Sauvetage de Loth par son Oncle’. Même si Abraham y est le héros incontestable, nous avons du mal à situer ce passage dans l’œuvre de sa vie.

Notre étonnement grandit quand une analyse approfondie de la narration de ce récit est établie. Tout d’abord, son épilogue saugrenu nous interpelle. Au lieu de conclure avec la victoire écrasante de notre patriarche, nous assistons à un dialogue pour le moins incompréhensible entre le Roi de Sodome, libéré par Abraham, et ce dernier. En effet, à la place d’une déclaration de reconnaissance de ce sauvetage miraculeux, il lui propose… un marché ! Donnes-moi les âmes et prends pour toi les biens !’. Comment expliquer cette offre complétement hors de propos ?

La réponse virulente du Sauveur ne se fait pas attendre. Il jurera ainsi : ‘Fût-ce un fil, fût-ce la courroie d’une sandale, je ne prendrai rien de ce qui est à toi ; que tu ne dises pas : C’est moi qui ai enrichi Abram !’ Cette réponse cinglante choque quelque peu. N’est-ce pas le même Abram qui aurait dit à sa femme, lors de leur passage en Egypte, ‘Dis, je te prie, que tu es ma sœur, afin qu’il me soit fait du bien par égard pour toi’, ce bien octroyé étant, selon Rachi, le don de présents ? Pourquoi cette soudaine aversion devant une possible dépendance envers le Roi de Sodome tandis qu’elle fut absente avec Pharaon ?

Une autre anomalie mérite d’être soulevée. Dans ce même épilogue, nous pouvons voir une coupure dans le récit. Le Roi de Sodome vient à la rencontre d’Abram, mais avant qu’il puisse faire sa proposition sordide, un personnage mystérieux intervient. Malkitsedek, Roi de Chalem, apporte du pain et du vin et bénit Abram, à la suite de quoi ce dernier lui reverse la dîme du butin. Puis, le Texte revient au Roi de Sodome. Comment comprendre cette digression ?

Un Midrach (Pirkei DeRabbi Eliezer chap. 27) nous apporte la clef de cette péripétie en comptant cette Guerre des Rois comme… la Sixième Epreuve d’Avraham ! Ainsi, les Rois voulurent le tuer et se dirent ‘Commençons par son neveu puis nous l’achèveront personnellement…’

Par cela, nos Sages postulèrent que la véritable cible, inavouée et occultée, de cette guerre qui dura vingt-cinq longues années fut notre patriarche. D’ailleurs, une allusion très claire apparait dans le Texte. L’histoire débute par ‘Ce fut au temps d’Amraphel, identifié dans le Talmud (‘Erouvin 53a) comme étant Nimrod, qui fit chuter (Hipil, racine identique) Abram dans la fournaise ardente. Cette référence à Avraham rejoint l’idée précitée, à savoir que la révolte des Quatre Rois ne fut qu’un prétexte pour capturer Loth, obligeant ainsi son oncle à venir à son secours.

Ce même Nimrod, l’investigateur de la Tour de Babel et de sa guerre contre D.ieu, le précurseur de la rébellion de l’humanité contre son Créateur (Cf. ibid), fut le fomentateur de cette Guerre, avec comme but de vaincre le diffuseur du monothéisme, cet homme qui prit comme mission de propager l’Unité de D.ieu et de ramener les âmes à leur source première.

L’idéologie hérétique de ce Roi renégat influença les autres Royaumes environnants. Cependant, nous pouvons émettre l’hypothèse que la présence de Loth à Sodome ébranla ces convictions idolâtres des Cinq Royaumes dissidents, entrainant la révolte de ses derniers. Ainsi le Midrach exprime les pensées des Nations du Monde : ‘Il vaut mieux s’attacher au D.ieu d’Abraham que de s’attacher à l’idolâtrie de Nimrod’. Ce duel idéologique fut la source de l’attaque envers Sodome et les siens.  

A la fin de la guerre et après la victoire de ‘l’Armée de D.ieu’, le débat sous-jacent entre le Roi de Sodome et Abraham avait pour but de déterminer la nature du sauvetage. Était-il à titre personnel et familial, en but de sauver Loth uniquement, ou bien ce sauvetage était l’essence de cette guerre, auquel cas le butin et la rapine reviendrait à Avraham de droit. Le marché proposé par le Roi de Sodome reflétait sa vision de voir cette guerre ; une véritable guerre militaire où l’apport d’Avraham n’était qu’un détail, important certes, mais néanmoins secondaire. Prends pour toi les biens’, sous-entend clairement qu’ils lui appartiennent mais qu’il concède à un échange… Il reniait ainsi l’apport véritable du Sauveur. Mais plus encore, son intérêt pour le Nefech, ou les âmes captives, révèle sa crainte profonde : celle de voir Avraham exercer sa mission sur ces hommes, à l’instar du Nefech qu’il fit à ‘Haran, de ces convertis qu’il prit avec lui au début de son périple. Bien que contestant l’hérésie pure de Nimrod, ce Roi ne pouvait se résoudre à adhérer et laisser adhérer à la croyance de notre patriarche.

L’intervention de Malkitsedek servit à Avraham de prise de conscience de son véritable rôle dans ce conflit. De plus, comme le souligne le Netsiv, il se servira de sa bénédiction pour justifier son serment à l’encontre du roi ingrat. En effet, l’expression utilisée par ce prêtre pour désigner le D.ieu d’Abraham fut ‘Celui qui acquiert les cieux et la terre’ formule reprise ensuite par Avraham . Ce trait d’union entre le ciel et la terre, le spirituel et le matériel, fut établi par Abraham. Par son travail, il révéla au monde l’influence constante du Créateur sur Ses Créatures. Ainsi, ce rappel permit à notre ancêtre de reconsidérer la victoire comme étant celle de D.ieu, et de réaliser son rôle primordial dans cette guerre. Son refus particulier de recevoir des biens du Roi de Sodome exprimait ainsi son refus de considérer son rôle comme étant secondaire.

Pour conclure, l’actualité brûlante de cet épisode, ô combien important dans l’œuvre d’Avraham car décrivant la réussite de sa mission, est mentionnée dans les mots du Midrach (Rabba 42,7) : ‘Si tu vois des Royaumes qui se disputent, guette les pas du Messie. Saches qu’il en est ainsi, car grâce à la dispute des Royaumes survint la délivrance à Avraham…’. Le rapport entre ces deux évènements peut être compris à la lumière de notre développement. De la même façon que la véritable cible de cette première grande guerre fut Abraham et son idéologie, ainsi la cible inavouée des grands conflits de l’Histoire n’est autre que la Royauté de D.ieu et le rejet de l’Homme à se mettre à Son service. Les Royaumes n’étant là que pour faire écran au Tout-Puissant, leurs conflits (ainsi que leur autodestruction) ne serviront qu’à révéler la véritable Royauté, avec la venue du Messie, l’émissaire par excellence du Roi Suprême, très prochainement… 

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.