Parachat Michpatim – Code Civil ou Loi Divine ?

Parachat Michpatim – Code Civil ou Loi Divine ?

Chaque année, la lecture de cette Paracha éveille en nous un certain malaise.

En effet, son contenu se compose de deux parties : la première est constituée des grandes lignes de ce que l’on pourrait appeler ‘le Code Civil biblique’ et la seconde est en réalité un complément de l’évènement historique que fut le Don de la Torah. (Son contexte chronologique fait d’ailleurs l’objet de divergences parmi les commentateurs, certains le placeraient avant les Dix Commandements, les autres justifient son emplacement en le situant après le Don proprement dit.)

Quoi qu’il en soit, l’insertion des Mishpatim, ou lois sociales, au milieu de l’épisode le plus important de notre Histoire nous paraît déplacée. Associer le dévoilement divin à ce qui ne s’avèrerait être qu’une convention sociale pour assurer le bon fonctionnement de la communauté semble insensé.

Définir la dimension réelle de ces lois au sein de notre religion nous permettra de justifier leur emplacement stratégique au sein de notre tradition.

Le Ramban ainsi que le Sforno voient dans ces Mishpatim le prolongement du dernier commandement, Lo Ta’hmod, ou ‘Tu ne convoiteras point’. La Torah nous indiquerait donc l’essence même de ces Lois, comme étant une extension de cet interdit. Il y a lieu de méditer sur le parallèle établi par ces Mefarshim en faisant ressortir la véritable définition de la Justice selon la Volonté Divine.

Dès le début du récit biblique, la notion de Justice se retrouve juxtaposée à celle de la Charité, le Mishpat se voit lié à la Tsedaka. Quand D.ieu désire annoncer à Avraham Son envie d’anéantir Sodome et les villes avoisinantes, Il S’expliquera en ces termes (Genèse 18,19) :

« Si Je l’ai distingué, c’est pour qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie de D.ieu, en pratiquant la Charité et la Justice – Tsedaka ouMishpat… »

Comment comprendre le rapport entre ces deux notions qui nous paraissent antinomiques, symbolisant respectivement la Bonté et la Rigueur ?

En réalité, le mot même désignant la Charité – Tsedaka – a pour racine TSeDeK, qui signifie… la Justice ! (Le Malbim distinguera ainsi le Tsedek du Michpat en différenciant le jugement divin, exprimé par le Tsedek, du jugement humain, formulé par le Michpat.)

Comment expliquer que la racine d’un mot exprime l’idée opposée de ce même mot, la Charité étant un désir de vouloir le bien d’autrui quels que soient ses mérites et la Justice, l’aptitude à se comporter en fonction du mérite de ce dernier ?

Afin d’apporter un élément de réponse, attardons-nous sur la distinction essentielle qu’il y a entre le Code Civil des Français, ou ‘Code Napoléon’, et les Michpatim dans la Torah.

Le Code Civil est un code juridique regroupant les règles du droit français relatives au statut des personnes (livre Ier), à celui des biens (livre II) et à celui des relations entre les personnes privées (livres III et IV). Il définit donc principalement des statuts, impliquant obligatoirement des droits. La Déclaration des Droits de l’Homme en est le plus bel exemple.

A contrario, si l’on s’attarde sur la description des lois qui apparaissent dans la Torah, il apparaît que l’on traite surtout … de devoirs !

Prenons un exemple concret, étudié au Kollel : L’Objet Perdu.

Un objet perdu, selon la Loi française, est un bien meuble qui a été perdu par son propriétaire dans un lieu ouvert au public (lieu public, voie publique, commerce, véhicule servant au transport de voyageurs…) et trouvé par une autre personne (« l’inventeur »). L’objet perdu appartient toujours à son propriétaire : il est donc conseillé à celui qui le trouve de le déposer auprès du service des objets trouvés, l’inventeur prouve ainsi qu’il ne cherche pas à s’approprier le bien d’autrui.

L’objet perdu appartient à son propriétaire pendant trois ans à compter du jour de la perte (article 2276 du C.C.) et, même s’il est remis à son inventeur avant ce délai, celui-ci n’en est que le dépositaire, ne devenant pas propriétaire immédiatement. Ainsi, le bien peut être revendiqué par son propriétaire notamment auprès de l’inventeur pendant trois ans. Si le bien a été vendu par l’inventeur avant la fin du délai de trois ans et que ce dernier ne peut donc le restituer, il pourra, sous certaines conditions, être obligé de rembourser la valeur du bien.

Nous pouvons voir ici que l’accent est mis sur le droit du propriétaire par rapport à son objet égaré. La seule revendication que l’on peut avoir sur ‘l’inventeur’ est son statut de dépositaire, respectant ainsi la possession légitime du propriétaire.

En revanche, en ce qui concerne la Torah, celui qui trouve un objet perdu se voit dans le devoir de le restituer ! Si les huit conditions définissant le statut d’une Aveida sont remplies, une interdiction de se défiler et une obligation de le rendre à son propriétaire s’appliquent. Les statuts impliqueront toujours des devoirs, et non des droits.

Ainsi, dans notre Paracha, le statut de maître implique des devoirs envers son esclave, à tel point que ce sera ‘comme s’il s’était acquis un Maître’, le statut de débiteur impliquera les devoirs de restituer le gage, de se voir interdire les intérêts, et ainsi de suite…

Le droit civil, dans notre religion, nous fait prendre conscience de l’existence de l’Autre. Une société, sous le prisme de la Torah, n’est pas un assemblage d’individu ayant chacun des droits, où la bonne marche de cette dernière dépend du respect mutuel des droits de chacun. Au contraire, selon notre vision, c’est le fait de se tourner vers autrui et de lui apporter notre soutien qui permet la création du collectif. L’authentique justice se retrouve donc être un moyen d’aller vers son prochain, et de vouloir son bien. D’ailleurs, la notion d’aller au-delà de la Loi se nomme Lifnim Michourat Hadin, littéralement ‘A l’intérieur de la rangée du jugement’. Se surpasser et dépasser les limites juridiques est en fait un moyen d’atteindre l’essence même de la justice ! La Charité est donc la sublimation de la Justice et non son antonyme…

La convoitise découle d’une société de droits. Quand chacun est tourné vers soi-même, quand sa principale occupation est le souci de voir les autres respecter ses droits, le danger de désirer les droits de l’autre est proche. Pourquoi mes droits seraient moindres que les siens ?

En revanche, dans une société de devoirs, où l’Autre devient le centre de mes préoccupations, convoiter autrui n’a plus lieu d’être. L’existence du prochain est légitime, ses avoirs le sont tout autant.

L’interdiction de convoiter sous-entend une définition nouvelle de ce qu’est le Michpat. Permettre à d’autres individus d’exister d’une part, et d’autre part se soucier de leur bien-être sont les seuls moyens de se protéger de ce vice. (Le Midrash établira d’ailleurs clairement le parallèle entre ce dernier commandement et la Mitsva ‘D’aimer son prochain comme soi-même’…)   

Ainsi, nous pouvons apporter un éclairage sur les dires de nos Sages concernant le poinçonnage de l’oreille de l’esclave qui voulait le rester : ‘Cette oreille qui entendit au Mont Sinai ‘Car les Enfants d’Israel seront pour Moi des esclaves’ et qui alla s’acquérir un maître…’

Avoir choisi l’oreille comme objet de réprimande est assez significatif : l’oreille a pour seul but d’apporter des informations extérieures. S’ouvrir au monde, briser l’égoïsme, tel est le symbole de l’oreille. (D’ailleurs, parler et écouter en même temps est impossible ; l’expression personnelle occulte obligatoirement l’expression de l’autre.)

Ne pas être tourné vers soi est aussi une condition fondamentale pour nous permettre d’accepter le joug divin. Accepter D.ieu dans notre vie ne peut-être rendu possible que par une ouverture du Moi.

Au moment du dévoilement divin, la Torah nous inculque les bases de l’acceptation de D.ieu par l’acceptation de l’Autre. Nous n’avons pu faire précéder le Na’assé au Nishma’, suite à une confiance aveugle en notre Maître, que grâce à l’éducation sociale des Michpatim.

En d’autres termes, il a fallu d’abord façonner l’oreille, l’éduquer à écouter, pour lui permettre ensuite d’entendre D.ieu lui annoncer ‘Tu es Mon esclave’…

Apprenons à remplacer nos droits par nos devoirs, en but de voir D.ieu se dévoiler à nous.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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