Parachat Pékoudé – Le rapport à l’argent selon la Torah

Parachat Pékoudé – Le rapport à l’argent selon la Torah

Dans notre monde capitaliste, où l’argent prime sur les passions, où un étudiant passionné est souvent poussé par sa famille à poursuivre un domaine plus rentable comme les affaires, en mettant l’accent sur la réussite financière et le statut sociétal. Dans une société qui a perdu tout enthousiasme pour le travail, captivée par la tentation de l’argent facile dans le domaine des affaires, des réseaux sociaux, etc. Je voudrais explorer la perspective de la Torah sur l’argent et sa signification, et découvrir comment cette vision profondément ancrée dans notre essence fut notre protection contre Haman.

L’argent, un don obligatoire contrairement à l’or et au cuivre

Dans le décompte de notre Paracha, l’or et le cuivre mentionnés proviennent des dons volontaires « de quiconque y était porté par son cœur ». Chacun décidait s’il souhaitait faire une contribution, quelle quantité donner et dans quel but. En revanche, l’argent mentionné est celui du Mahatsit Hachekel (un demi sicle d’argent) que chacun fut tenu de donner dans la Parachat Ki Tissa. C’était une obligation, du même montant pour tous, que l’on soit riche ou pauvre.

On peut s’interroger sur la raison pour laquelle l’argent est le seul don obligatoire et d’un montant fixe, ce qui semble moins noble qu’un don volontaire ?

De plus, dans les sections précédentes, les Bnei Israel ont été explicitement invités à apporter de l’argent, tout comme l’or et le cuivre, selon la générosité de leur cœur. Comme au début de Parachat Terouma : « de la part de quiconque y sera porté par son cœur, vous recevrez mon offrande. Et voici l’offrande que vous recevrez d’eux : or, argent et cuivre » (Chemot 25:2-3), et dans Vayakhel : « que tout homme de bonne volonté l’apporte, ce tribut du Seigneur : de l’or, de l’argent et du cuivre… » (35:5).

Pourquoi alors, dans les comptes de notre Paracha, l’argent issu des dons volontaires n’est-il pas mentionné, mais seulement celui du Mahatsit Hachekel obligatoire destiné aux socles du Michkan ?

Plus difficile encore, on ne trouve dans la Torah aucun usage à l’argent issu des dons volontaires, alors que l’utilisation de l’or et du cuivre est largement décrite. Le seul usage d’argent que la Torah mentionne provient du Mahatsit Hachekel, et il s’agit de l’argent destiné aux socles du Michkan dans notre Paracha.

Enfin, l’on peut encore se poser la question suivante : l’objectif du don du demi-sicle était de recenser le peuple en évitant de déclencher une plaie, comme l’indique le verset : « Quand tu feras le dénombrement des enfants d’Israël, chacun d’eux paiera au Seigneur le rachat de sa personne lors du dénombrement, afin qu’il n’y ait point de mortalité parmi eux » (Chemot 30:12). Tandis que dans notre Paracha, l’accent est mis sur l’argent, son objectif étant pour le Michkan, et non sur l’homme. Il faut donc comprendre est-ce que cet argent était requis pour le Michkan ou pour recenser les Bnei Israël ?

Une protection contre les desseins de Haman

Au sujet du Mahatsit Hachekel, en plus de servir à l’achat des sacrifices publics, le Talmud rapporte : « Rabbi Lévi a dit : Il est révélé et connu devant le Créateur que Haman devait un jour peser des chekalim contre Israël. C’est pourquoi Il a fait précéder leurs chekalim aux siens ».

Lorsque Haman a voulu détruire le peuple juif, il a proposé à Ahachvéroch de le faire en échange de dix mille kikars d’argent qu’il pèserait et verserait au trésor royal. Pour contrecarrer ce dessein, D-ieu nous a ordonné d’apporter le demi-sicle d’argent afin de “faire précéder nos chekalim aux siens.”

Comment comprendre cela ?

La relation entre l’argent et l’or selon les Sages

Le Talmud (Baba Metsia 44b) examine la relation entre l’argent et l’or. Dans un échange d’argent contre de l’or, l’argent est considéré comme le moyen d’échange et l’or est l’objet acheté. Une des implications halakhiques concerne les lois d’acquisition : le fait de tirer l’objet acheté vers soi constitue un acte d’acquisition complet, tandis que prendre la monnaie vers soi ne constitue pas une acquisition. Ainsi, « l’or acquiert l’argent mais l’argent n’acquiert pas l’or ».

Bien que l’or soit plus précieux que l’argent, l’argent est plus « liquide », il circule plus facilement en tant que monnaie d’échange. Contrairement à l’or et au cuivre qui ont une fin par eux-mêmes, l’argent est principalement destiné à circuler de main en main. En araméen, il est appelé « Zouzei » car son essence est de « bouger » d’une personne à l’autre.

La monnaie d’argent n’existait pas au commencement de la Création, mais est apparue au cours de l’histoire. D’un côté, elle a grandement facilité le commerce en permettant les échanges, mais d’un autre côté, elle a progressivement réduit toute chose à une simple valeur marchande. Depuis, la valeur de tout objet se mesure uniquement par le montant d’argent qu’on peut en obtenir, comme le dit si bien une citation bien connue : « De nos jours, les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien. »

La monnaie a en quelque sorte fait oublier la véritable valeur intrinsèque de chaque chose. Elle est devenue une fin en soi alors qu’elle n’est qu’un moyen. En français, on qualifie de « riche » quelqu’un « qui a des moyens ». La richesse ne se mesure plus par le lien entre une personne et ses biens, mais par son pouvoir d’achat, son compte en banque, la valeur marchande de ses possessions.

Toute sa vie, l’homme aspire à plus d’argent encore, car le moyen est devenu une fin. Et même riche, s’il voit quelqu’un de plus riche que lui, cela le contrarie. Toute sa vie, l’homme travaille pour avoir plus de « moyens », mais il en oublie parfois la finalité.

Nous avons tendance à évaluer même les personnes selon leur compte en banque : « combien pèse untel ». Malheureusement, nous vivons dans un monde qui vénère ceux qui ont de l’argent. Lorsque nous voyons un objet de luxe, comme une voiture somptueuse ou une montre haut de gamme, notre enthousiasme vient bien souvent non pas de l’objet lui-même, mais de la capacité de son propriétaire à acquérir des produits d’une telle valeur.

La vision extrême de Haman

Cette vision était poussée à l’extrême chez Haman. Pour lui, rien n’avait de valeur intrinsèque dans ce monde, tout se mesurait à l’aune de l’argent ou de l’intérêt personnel qu’il pouvait en tirer. Tout dans la vie n’était qu’un moyen d’acquérir de l’argent ou des honneurs.

Comme il est écrit dans la Meguila : « Haman leur exposa la splendeur de sa fortune et la multitude de ses enfants, et comment le roi l’avait distingué et élevé au-dessus des grands et des officiers royaux… Mais tout cela est sans prix à mes yeux tant que je vois Mordekhai le juif assis à la porte du roi » (Esther 5:11). Malgré toutes ses richesses, ses honneurs et ses nombreux fils, ce qui comptait pour Haman était d’accumuler toujours plus d’argent et de gloire. Tant que Mordekhai serait assis à la porte du roi, rien n’aurait de valeur à ses yeux.

C’est le sens du dessein d’Haman lorsqu’il a proposé à A’hachvéroch de verser dix mille kikars d’argent contre le peuple juif. Haman avait pour but de déshumaniser le peuple juif en le réduisant à une simple marchandise, en le valorisant uniquement en termes monétaires et en lui attribuant une valeur équivalente à une somme d’argent spécifique.

La véritable signification du don du Mahatsit Hachekel

La façon d’accomplir le don du Mahatsit Hachekel pour le Sanctuaire vient donner la véritable et juste signification à l’argent. Certes, l’argent est par nature un moyen d’acquisition et de commerce, mais au lieu de tout réduire à une valeur marchande, il peut être utilisé précisément pour l’objectif inverse : étendre la valeur intrinsèque d’un objet ou d’une personne au-delà de ses limites physiques, par le don d’argent.

L’argent fait partie intégrante de l’être humain, qui possède trois parties selon le Chlah Hakadoch (Ki Tétsé) : l’argent, le corps et l’âme. Nos sages disent même que « les Justes chérissent leur argent plus que leur corps », car leur argent est le fruit de leur travail, l’émanation de leur temps, et donc une fin en soi. Le corps est plus destiné à l’argent que l’argent n’est destiné au corps. Pour le Tsadik, chaque richesse exprime un but et une finalité, c’est pourquoi il existe un lien interne et spirituel entre l’homme et sa fortune.

En étant un moyen d’échange, l’argent permet à l’homme de transmettre une part de lui-même. Il peut même créer un lien entre les êtres humains. C’est pourquoi nos Sages affirment que Yaacov a institué la monnaie. Quelle importance à cela ? C’est parce que la monnaie permet d’étendre son essence et de donner de soi-même. L’argent fait partie de l’homme tout en pouvant s’en détacher, il représente cette part de lui-même qu’il peut séparer. Selon le Talmud (Baba Kama 84a), la loi de « œil pour œil, dent pour dent » fait référence à une compensation financière. Ce n’est pas par impossibilité de traduire autrement, mais parce que l’argent permet justement à l’homme de donner une part de lui-même. C’est aussi le sens du sacrifice, comme l’écrit le Ramban : c’est comme si l’homme s’offrait lui-même.

Le Mahatsit Hachekel, une offrande de soi-même

À la lumière de ces enseignements, on comprend la signification profonde du demi-sicle donné obligatoirement par tous et non selon la générosité de chacun. Contrairement aux autres dons, le don d’argent exprime le don de soi-même. Lorsqu’un homme donne son demi-chekel, il donne une part de lui-même. C’est bien ce qu’exprime la Torah en parlant de « rachat de sa personne ».

Pour l’or et le cuivre, leur lien avec le Michkan vient de la générosité du cœur qui les a menés là. C’est cette générosité qui en fait des objets saints. Mais l’argent, par essence, représente déjà l’homme lui-même, une part de son être. Il n’a pas besoin de générosité pour devenir spirituel.

Et même plus, puisqu’il représente l’homme dans son essence spirituelle et infinie, aucun montant d’argent ne peut le traduire. C’est pourquoi, lorsque Hachem montra à Moché le Mahatsit Hachekel en lui disant : « Voici ce qu’ils donneront » (Chemot 30:13), Il fit sortir une pièce de feu de sous Son Trône de Gloire pour la lui montrer, symbolisant l’infini que cette pièce devait représenter. Le montant le plus bas, une demi-pièce, fut fixé pour signifier que chacun n’est qu’une moitié dépendante de son complément pour atteindre la Vérité infinie.

Seul l’argent, représentant l’homme lui-même, pouvait faire partie intégrante du Michkan. Et pas n’importe quelle partie : il servit aux socles sur lesquels reposait le Tabernacle. La Torah nous suggère ainsi que le fondement du Sanctuaire est l’être humain, représenté par le Mahatsit Hachekel.

L’argent supplémentaire, provenant des dons volontaires, ne pouvait être intégré au Michkan, il servit donc à d’autres usages comme la fabrication des ustensiles selon Rachi (Chemot 25:3).

Le Michkan fut construit précisément avec de l’argent, qui représente le prix du rachat de l’homme. C’est pourquoi, d’une part, le Mahatsit Hachekel était destinée à être un rachat de l’âme, et d’autre part, il était destiné au sanctuaire. En effet, la base du Michkan devait reposer précisément sur ce qui représente l’homme lui-même.

Le recensement dans parachat Ki Tissa vient après la faute du Veau d’Or, et permit d’expier cette faute et ainsi éviter la plaie. Il invite l’homme à participer de lui-même à l’avènement du sacré, en contrepartie du Veau d’Or où l’homme crut que la sainteté venait d’un intermédiaire.

C’est ainsi que nos chekalim précédèrent ceux d’Haman, pour redonner le véritable sens du lien entre l’argent et l’être humain, à l’opposé de la vision d’Haman qui ne voyait dans le peuple juif qu’une valeur marchande qu’il pourrait anéantir.

Conclusion

Les enseignements de la Torah nous rappellent le véritable sens du rapport à l’argent. Ce dernier représente le produit de son travail et de ses efforts, faisant de l’acte de donner de l’argent une représentation profonde du don de soi. Dans cette optique, l’argent transcende sa simple valeur monétaire et devient un moyen d’exprimer l’essence de son être et de favoriser des liens significatifs avec les autres ou même de devenir le réceptacle de la présence Divine.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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