Parachat Vaéra – Pourquoi sommes-nous indifférents face aux événements ?

Parachat Vaéra – Pourquoi sommes-nous indifférents face aux événements ?

Le cœur renforcé et le cœur lourd

Dès le départ, avant même d’envoyer ses fléaux sur le peuple égyptien, Hachem annonçait à Moché qu’Il endurcirait le cœur de Paro et qu’il ne laisserait pas partir le peuple. Ainsi, à chaque plaie, le texte prend soin de dire « Et le cœur de Paro s’endurcit et il ne renvoya pas le peuple ».

Cependant, le lecteur attentif remarquera deux expressions différentes au sujet de Paro. Tantôt le texte dit « le cœur de Paro se renforça », et par ailleurs il dit « le cœur de Paro s’alourdit ». Il faut donc comprendre pourquoi la Torah utilise ces deux termes.

Deux idées, croire en Dieu et faire sortir du peuple

Il semble que l’explication se trouve dans le verset : « Paro dit : Qui est l’Éternel pour que j’écoute Sa voix afin de renvoyer Israël ? Je ne connais pas l’Éternel et je ne renverrai pas non plus Israël ! » (Chemot 5:2).

On peut constater que Paro refuse deux choses : premièrement, il refuse de croire en Dieu, et il refuse aussi de renvoyer le peuple d’Israël. Il ne croit pas qu’il y ait une existence divine qui exige la libération du peuple, et il ne croit pas non plus que le peuple d’Israël est une entité indépendante qui doit sortir d’Égypte.

En réponse à cela, Hachem dit : « Maintenant tu verras ce que Je ferai à Paro, car par une main forte il les renverra, et par une main forte il les chassera de son pays » (ibid. 6:1). “Par une main forte il les renverra” correspond à son refus de croire en Dieu, et “par une main forte il les chassera” se rapporte à Israël, comme l’explique Rachi, contre leur volonté il les chassera.

C’est également ce qui est écrit dans notre paracha : « Et les Égyptiens sauront que Je suis l’Éternel lorsque J’étendrai Ma main sur l’Égypte, et Je ferai sortir les enfants d’Israël du milieu d’eux » (7:5). Ici, la foi dans l’existence et la providence de Dieu est mentionnée, ainsi que celle dans la sortie du peuple d’Israël d’Égypte.

Le refus de Paro évolue avec le temps

A la lumière de cela, on peut dire que la raison du refus de Paro de céder aux dix plaies a évolué avec le temps. Au début, il refusait de croire qu’elles venaient de la part de D-ieu, et il se trouvait diverses raisons pour penser que tout arrivait simplement par hasard. Par exemple, lors des deux premières plaies où il vit que les magiciens arrivaient à imiter les plaies. Ainsi, malgré les avertissements et les souffrances, il préférait penser que tout arrivait par hasard et que cela ne venait pas du Seigneur. 

En fait, Paro était prisonnier de l’idéologie d’esclavage qu’il avait développée. Il n’avait pas simplement asservi le peuple d’Israël, mais il avait construit toute une conception et une culture d’esclavage, esclavage pour servir sans aucune utilité. Après tout, selon nos sages, les Hébreux construisaient des villes sur un terrain boueux et inondable. C’est pourquoi l’Égypte est appelée « la maison d’esclavage ». Lorsque Paro dit à Moché et à Aharon: « Pourquoi perturbez-vous le peuple de son travail ? », on ne doit pas y voir une note de cynisme, mais au contraire il valorisait l’esclavage et méprisait Moché et Aharon parce qu’ils n’étaient pas des esclaves et ne faisaient que perturber les autres.

Pour cette raison, il lui était incapable d’accepter l’idée qu’une raison supérieure pourrait s’opposer à lui et lui demander de faire sortir le peuple d’Israël. Pour Paro, l’esclavage était la finalité de leur vie, et il n’y avait pas de moyen d’en sortir.

Cependant, petit à petit, à travers les plaies qui étaient en fait venues pour mettre fin à l’esclavage, il a commencé à croire en l’existence divine. Comme par exemple avec la plaie des bêtes sauvages où il est dit « Paro dit : je vous enverrai et vous sacrifierez à l’Éternel votre Dieu » (8:24), ou la plaie de grêle où il est dit « Et Paro envoya appeler Moché et Aharon et leur dit : J’ai fauté cette fois ! L’Éternel est juste et moi et mon peuple sommes méchants » (9:27).

Désormais, son refus de renvoyer le peuple d’Israël n’était plus dû à un manque de croyance dans l’origine divine de la plaie. Même s’il savait que la plaie venait de D-ieu, il refusait quand même de renvoyer les enfants d’Israël. La foi superficielle qu’il avait acquise grâce aux plaies ne l’amenait pas à agir pour la libération du peuple d’Israël.

On peut dès lors expliquer la différence entre “renforcement du cœur” et “alourdissement du cœur”. Le renforcement du cœur signifie être inébranlable, tenir bon contre toute influence et refuser de céder à la pression. Malgré les avertissements de Moché, en dépit des souffrances causées par les plaies et les cris de son peuple, il continuerait de penser que tout cela arrivait par hasard. L’alourdissement du cœur indique une pesanteur et une immobilité, c’est-à-dire qu’il ne changerait pas de position et ne renverrait pas le peuple d’Israël, malgré qu’il ait finalement compris que Hachem était derrière tout cela.

J’ai trouvé une idée similaire chez Rav Hirsch (7:3), qui explique ces termes ainsi : « Fort : être tenace, résister à toute contrainte; résister délibérément à toute influence visant à le rendre malléable. Lourd : avoir du poids, avoir de la difficulté à quitter sa place, être indifférent aux choses ».

Peut-être qu’en parallèle à ces deux aspects, l’on trouve que dans certaines des plaies il est dit – après la description de l’endurcissement du cœur de Paro – “et il ne les écouta pas”, et dans d’autres il est dit : “et il ne renvoya pas le peuple”.

S’identifier sans agir ne suffit pas

Cette analyse peut aussi s’appliquer à chacun d’entre nous. Quand l’on entend de mauvaises nouvelles, ou même lorsque l’on apprend que quelqu’un a besoin d’une aide quelconque, nous avons naturellement tendance à éloigner cela de notre conscience et à attribuer le tout au hasard, que rien ne nous concerne. C’est le propre de l’homme. En fait, il “durcit son cœur” et devient hermétique, ne voulant pas croire que ces choses sont aussi un message pour lui.

Mais même lorsque l’homme réussit à développer de l’empathie, à éveiller sa conscience et à accepter que cela le concerne aussi – ce qui se produit généralement lorsque le malheur se rapproche de lui – dans la plupart des cas, il ne fait toujours rien, ne bouge pas. Cette fois, son esprit n’est pas hermétique, mais son cœur, lui, est “lourd”.

Notre paracha nous enseigne que s’identifier au message divin de chaque événement qui se produit autour de nous ne suffit pas, il faut aussi agir et bouger. Nous devons prendre des initiatives en vertu de ce message. Parfois, nous atteignons un état de conscience aiguë du message, que ce soit grâce à une conversation fascinante, la lecture d’un livre ou même l’écoute de musique. Mais si nous ne transformons pas cette émotion en action, l’émotion ne durera pas.

Paro s’endurcit par les plaies elle-même et par son absence de réaction

Il est expliqué dans les versets que c’est D-ieu lui-même qui a prévu d’endurcir le cœur de Paro. On trouve à ce propos une interprétation originale du Abravanel, selon laquelle même si le texte dit que c’est Hachem qui endurcit son cœur, cela ne signifie pas qu’Il influença directement Paro. En fait, l’endurcissement découlait de la multiplication des plaies et de leur arrêt. Paro fut amené à l’obstination par les plaies elles-mêmes. Car chaque fois qu’il voyait que la plaie ne se prolongeait pas, cela raffermissait son intention de ne pas laisser partir le peuple. Selon cette interprétation, le verset « Et Moi, J’endurcirai le cœur de Paro et Je multiplierai Mes signes et Mes miracles dans le pays d’Égypte » ne signifie pas que Hachem endurcit le cœur de Paro pour qu’il puisse supporter la multiplication des plaies, mais au contraire qu’Il multiplia les plaies afin d’endurcir le cœur de Paro.

Dans le même esprit, on pourrait ajouter que non seulement les plaies elles-mêmes endurcirent Paro, mais également que sa propre réaction à chaque fois provoqua plus d’indifférence à la plaie suivante. C’est-à-dire que chaque refus de Paro de renvoyer le peuple d’Israël renforçait encore plus son indifférence.

Conclusion

Quant à nous, afin de ne pas rester indifférents, nous devons en premier temps nous identifier avec les événements qui se produisent autour de nous, et éloigner la pensée que tout arrive par hasard.

Pour cela, nous devons sortir de l’esclavage quotidien et interrompre la routine de vie qui nous entrave, afin de trouver du temps pour la réflexion. La première chose que Moché demanda à Paro fut donc un jour de repos, car le début de la sortie de l’esclavage se fait par un temps de réflexion. Tant que nous courrons après notre train-train quotidien, nous sommes en fait les esclaves du temps, et nous n’avons pas la possibilité d’assimiler des messages.

Mais tout cela ne suffit pas si cela ne nous amène pas à agir. Dès que nous nous contentons de ce sentiment d’identification sans aucune action, nous restons totalement indifférents. Le manque d’action nous endort et rend notre cœur “lourd”. Et l’indifférence engendre l’indifférence.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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