Parachat Bo – Combien de sang pour obtenir la liberté ?

Parachat Bo – Combien de sang pour obtenir la liberté ?

Sortie d’Égypte – un chemin taché de sang

Il est largement reconnu que le cheminement dans la quête de la liberté, ce trésor inestimable, est empreint de sacrifices. Comme l’a exprimé avec éloquence l’un des pères fondateurs des États-Unis : « L’arbre de la liberté doit être rafraîchi de temps en temps avec le sang des patriotes et des tyrans ». Cette citation symbolise l’idée selon laquelle le prix de la liberté implique souvent des sacrifices, parfois même des effusions de sang.

De même, lors de la sortie d’Égypte, le chemin vers la liberté fut taché de sang, comme en témoigne le verset : « Et le sang sera pour vous un signe sur les maisons où vous êtes » (Chemot 12:13). Cet acte consistant à marquer les maisons avec du sang était une condition préalable cruciale pour obtenir la délivrance. Mais on peut se demander pourquoi l’effusion de sang serait indispensable pour atteindre l’objectif souhaité ? N’existe-t-il pas d’itinéraire alternatif plus agréable pour cela ?

Dans notre paracha, la Torah raconte le récit de la dixième plaie : celle des premiers-nés. Ce qui est particulièrement intriguant dans cet événement, c’est qu’il s’agit du seul fléau où Israël a reçu l’ordre de marquer ses maisons avec un signe distinctif. Grâce à cet acte, ils ont obtenu la protection divine et ont été épargnés du mal. Cette circonstance nous amène à réfléchir : pourquoi cette marque était-elle nécessaire pour la sauvegarde d’Israël pendant cette dernière plaie, alors que lors des précédents fléaux, une différenciation claire entre les Hébreux et les Égyptiens était établie sans qu’une telle marque ne soit nécessaire ?

Le récit mentionne également le besoin pour Israël d’un sacrifice, en l’occurrence le Korban Pessa’h, comme expiation pour être sauvé du danger qui planait sur eux lors du fléau des premiers-nés. Ce qui suscite également notre questionnement : cette dernière plaie n’était-elle pas justement destinée à délivrer les enfants d’Israël des souffrances d’Égypte ? Comment comprendre qu’ils soient mis en danger justement à cette occasion ?

Le processus de libération – progressif ou soudain ?

Le Malbim (Vaéra) explique que selon la direction divine, qui adhère aux lois de la nature, le processus de délivrance implique d’abord un allégement du fardeau de l’esclavage. Ce concept est magnifiquement illustré dans le Talmud de Jérusalem (berahot §1), qui compare la rédemption d’Israël à l’aube. Tout comme la lumière apparaît progressivement à l’aube, la rédemption d’Israël aussi. Ce déploiement progressif caractérisera également la rédemption future. Cependant, la délivrance d’Égypte présente une dimension contraire. En effet, l’exil et l’esclavage s’intensifièrent au cours du processus. Comment appréhender cela ?

En réalité, l’explication réside dans le concept de naissance. Cette heure de dernière plaie était en fait l’heure d’une nouvelle création, celle d’une réalité qui n’existait pas du tout auparavant dans l’univers. Cela a marqué un moment charnière où nous sommes passés du statut de simples esclaves à celui de nation libérée, comme le décrit prophétiquement Yehezkel : « Quant à ta naissance, le jour où tu fus enfantée » (Yehezkel 16:4). Comme pour toute naissance, le chemin vers l’émergence est pavé de contractions douloureuses. Ces luttes, bien que ardues, ne sont pas sans but ; elles font partie intégrante du processus de transformation.

Du nom « El Chakaï » au nom « Havaya »

Comme nous l’avons vu, l’exode d’Égypte doit être compris comme l’émergence d’un monde nouveau, où les fondements mêmes de la création sont remis en question. Cet événement fondateur a abouti à la création d’un peuple, forme renouvelée de la création de l’Homme.

Pour approfondir cette dimension inédite, il convient de revisiter la manière dont Hachem répond à la question brûlante de Moché sur la souffrance de son peuple « pourquoi as-tu rendu ce peuple misérable? ». La réponse de D-ieu commence par les mots : « Je suis Hachem. Je suis apparu à Avraham, à Its’hak et à Yaakov en tant que ‘El Chakaï’, mais par Mon nom Hachem (havaya), Je ne me suis pas fait connaître à eux » (Chemot 6:3).

Ce verset peut être interprété comme une réponse à la question de Moché. D-ieu souhaite transmettre le message que cette heure est une heure de renouveau dans le monde, d’une ampleur jamais vue auparavant. Ce renouveau se manifeste par l’apparition d’un nouveau nom et par la transition de la révélation divine sous le nom de « El Chakaï » à celle dans le nom de « Havaya ».

Selon le Rambam, le nom « Havaya » signifie que Dieu est la source ultime de toute existence et que Son existence est une réalité logique et obligatoire (moré névou’him 1; 61). Alors que le nom « Chakaï » véhicule l’idée d’une existence indépendante de Dieu, ne s’appuyant sur rien d’extérieur (ibid 1; 63). Et bien que ces deux noms semblent identiques, dans la mesure où ils désignent la démarcation de Dieu qui ne dépend de rien d’extérieur à lui, un examen plus attentif révélera la différence essentielle entre eux. Alors que le nom « Havaya » représente l’essence de Dieu avant même la création du monde, le nom « Chakaï » est plus étroitement associé et appartient au monde créé.

Un peuple capable de redéfinir les frontières de la réalité

Grâce à la transition du nom « Chakaï » au nom « Havaya », nous pouvons mieux comprendre l’immense transformation qui est sur le point de se produire. La nation à venir existera dans une dimension précédant même celle du monde, lui conférant l’extraordinaire capacité de modeler et de façonner la réalité elle-même, transcendant les limitations imposées par les lois naturelles.

À la lumière de cela, nous comprenons les propos d’Ibn Ezra (Chemot 6 ;3) qui suggère que le niveau élevé de Moché surpassait celui de nos Patriarches, qui eux ne connaissaient pas le tétragramme, contrairement à Moché. En conséquence, Moché possédait la capacité de modifier le cours de l’histoire, d’influencer le sort du monde et même de prédire des signes miraculeux.

C’est en cela que réside la magnificence de l’heure de la délivrance, profonde métamorphose donnant naissance à une nouvelle nation et ouvrant la voie à une nouvelle ère d’existence. C’était l’édification d’un peuple libéré des contraintes de l’histoire conventionnelle, fermement lié à l’essence même de Dieu, capable de bouleverser ou de remodeler le tissu de la réalité. Chargé de la lourde tâche de transformer le monde, ce peuple se trouve lancé dans un voyage de restauration du monde vers son accomplissement. Pour cela, il devait renaître dans la découverte du nom « Havaya ».

Par ton sang, vis !

Sur cette base, revenons sur la question de la signification profonde du sang comme voie de rédemption, ainsi que sur la pertinence d’un « signe d’identification » qui distingue Israël de l’Égypte. À cette fin, tournons-nous vers l’illustration éclairante du prophète Yehezkel (16:4-6) :

« Quant à ta naissance, le jour où tu fus enfantée, ton nombril ne fut pas coupé, tu ne fus pas lavée dans l’eau pour être purifiée, tu ne fus pas saupoudrée de sel ni enveloppée de langes. Nul œil ne te prit en pitié pour te donner aucun de ces soins, par compassion pour toi ; tu fus jetée au milieu des champs par suite de la répulsion que tu inspirais, le jour où tu naquis »

Dans la scène déchirante qu’il illustre, un nouveau-né est tragiquement abandonné et livré à lui-même. L’acte odieux de négligence parentale est décrit avec des détails saisissants, soulignant la totale impuissance de l’enfant. Alors que le bébé gisait dans les immondices, il était dépourvu de tout soin ou attention. Non emmailloté et non lavé, son petit corps était trempé de sang, rappelant la brutalité de son abandon.

En ce moment tragique, où le désespoir et l’abandon semblent prévaloir, la Providence divine intervient. Hachem rencontre tendrement cet enfant, reconnaissant l’importance des traces de sang sur son petit corps comme symbole de vie. Lors de cette rencontre, la voix divine murmure doucement : « Mais je passai auprès de toi, je te vis t’agiter dans ton sang, et je te dis : Vis dans ton sang ! ».

Tel est le récit de l’exode d’Égypte raconté par le prophète Yehezkel : Israël, sur le point de disparaître des annales de l’histoire, a connu une intervention extraordinaire de la grâce divine, qui les a ressuscité contre toute attente pour finalement les choisir comme partenaires estimés.

C’est peut-être le sens de ce fameux « mach’hit »mentionné dans le texte, qui n’avait pas la capacité de faire de distinction entre les justes et les méchants (Rachi). Car avant la « naissance » de cette nation hissée à une nouvelle dimension, il n’y avait aucune raison inhérente de favoriser Israël par rapport à l’Égypte. Le Midrach a déjà exprimé cette idée en déclarant : « Ceux-là sont des idolâtres, comme ceux-là sont des idolâtres ». Par conséquent, la délivrance de cette nation nécessitait une approche particulière, par laquelle une manifestation divine apparaîtrait, révélant au monde la nouvelle dimension d’un peuple.

Nous pouvons conclure en formulant que la naissance de notre nation, tout comme la naissance d’un être vivant, s’est produite sur la faille étroite entre la vie et la mort. C’est la transformation du sang, symbole de mortalité, en l’essence de la vie elle-même. L’ouverture initiale de l’utérus est un moment à la fois opportun et périlleux, qui nécessite la direction et la vigilance divine. Alors que ceux jugés indignes de la protection divine, comme les Égyptiens, risquent de mourir à ce stade, Israël, en tant que peuple élu de Dieu, est sanctifié par l’acte sacré de la naissance.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

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