Doit-on comparer l’homme aux animaux ou aux arbres ?
D’un côté, le roi David nous enseigne que « L’homme, semblable aux bêtes, leur est assimilé » (Psaumes 49:13). De plus, l’homme a été créé le sixième jour a l’instar des animaux, et il possède une force vitale similaire. Les sacrifices proviennent également des animaux, qui se substituent symboliquement à l’homme.
D’un autre côté, il est écrit que « l’homme est un arbre des champs » (Devarim 20:19), et « Il sera comme un arbre planté près des cours d’eau » (Psaumes 1:3). Par ailleurs, les Pirké Avot regorgent de paraboles représentant l’homme comme un arbre, en explorant les caractéristiques de ce dernier : racines, tronc et branches, qui trouvent leur parallèle symbolique chez l’homme.
Une caractéristique évidente rapproche davantage l’homme de l’arbre : alors que les animaux marchent à quatre pattes, les végétaux et les humains sont dressés verticalement, s’élançant vers le haut. Cette station debout de l’homme n’est pas anecdotique mais exprime son essence divine, explique le Maharal.
L’homme est donc plutôt arbre ou plutôt animal ?
La création de la terre et des arbres
Afin d’apporter une réponse à cette question, examinons attentivement les versets du troisième jour de la création. Deux créations eurent lieu ce jour-là : la séparation des eaux et des terres émergées, puis la croissance de la végétation. D’où la double mention « D-ieu vit que cela était bon ».
Quelques questions méritent d’être posées :
- Pourquoi deux créations en un seul jour ? Rachi explique que la séparation des eaux finalise le travail du deuxième jour. Mais alors pourquoi cela devait-il attendre jusqu’au troisième ?
- D-ieu dit : « Que les eaux répandues sous le ciel se réunissent sur un même point, et que le sol apparaisse » (Berechit 1:9). Pourquoi la terre émergée fut-elle initialement recouverte d’eau pour n’apparaître qu’ensuite ? Elle n’était donc pas directement propice à accueillir les hommes et les bêtes ? Par ailleurs, l’expression « que le sol apparaisse » semble indiquer qu’il n’y a pas ici de création, mais simplement le dévoilement de la terre.
- Le verset poursuit : « D-ieu nomma le sol la Terre, et l’agglomération des eaux, il la nomma les Mers » » (Berechit 1:10). Auparavant, non seulement la terre n’était pas nommée ainsi, mais les eaux n’étaient pas non plus appelées « mers ». Cela montre une relation de dépendance entre la terre et la mer, comme si le sens du mot terre n’émerge qu’en opposition aux mers, et vice-versa. Pourquoi cela ?
- La suite décrit l’émergence des plantes et arbres. Contrairement aux autres créations attribuées directement à D-ieu, ici il est dit que « la terre donna naissance aux végétaux » (ibid 1:12), comme si la terre seule avait engendré la végétation. Les commentateurs Abravanel et Ralbag s’interrogent sur ce langage.
La finalité de la terre
Tout cela nous enseigne un principe essentiel : l’existence terrestre n’a pas de sens en elle-même ; sa finalité est de permettre à l’homme d’accomplir la volonté divine. Tant que cela n’advient pas, la terre ferme n’a pas lieu d’être, comme lors du Déluge où les eaux recouvrirent à nouveau la Création.
L’eau, matière pure émanant d’en haut, symbolise le spirituel ; la terre représente la matérialité du bas-monde. D’où l’absence d’existence autonome de la terre, qui ne subsiste qu’en lien avec les eaux. La terre doit constamment tendre vers la spiritualité, symbolisée par les eaux. Voilà pourquoi elle fut initialement immergée : son essence ne lui confère aucun droit d’être sans les eaux qui la recouvrent. Hachem ne déplaça celles-ci que pour libérer un espace habitable.
C’est le sens profond du premier verset de la Torah : « Au commencement, D-ieu créa le ciel et la terre ». Comme pour dire qu’il ne peut y avoir de terre sans ciel, ils sont indissociables. Nos sages disent (Berechit rabba 5:8) : pourquoi la terre porte-t-elle ce nom ? Parce qu’elle désirait réaliser la volonté du Créateur. « Terre » (ארץ) vient de « désir » (רצון), car sa finalité est de développer une aspiration vers la spiritualité. « Ciel » (שמים) vient de « Là-haut » (שם) : le spirituel est la finalité que vise la terre en cultivant cette aspiration.
Cela nous permet de comprendre pourquoi la végétation naquit « de la terre », sans mentionner d’intervention divine. La végétation exprime au mieux l’élan de la terre vers les cieux. Ce n’est pas un hasard si les plantes poussent vers le haut, comme pour dire leur soif envers l’eau d’en haut. Qui plus est, leur raison d’être est de rendre la terre habitable pour l’homme, lui permettant ainsi de servir D-ieu. Leur émergence n’est donc pas une nouvelle création mais fait partie intégrante de la terre. Lorsque l’homme en consomme les fruits et récite les bénédictions appropriées, il opère ainsi la jonction entre la terre et les cieux.
Voilà pourquoi la création des plantes advient le même jour que l’achèvement des eaux : le droit à l’existence de la terre réside dans sa capacité à tendre vers l’eau. Par ses plantes et arbres tournés vers le haut, la terre se prépare à accueillir les hommes au service divin. Alors seulement on peut affirmer « D-ieu vit que cela était bon ».
La différence entre ce qui pousse vers le ciel et ce qui marche à quatre pattes
En cela, végétaux et animaux diffèrent profondément. Si les premiers font partie intégrante de la terre, dont ils expriment le sens caché, les seconds, bien que matériels, ont une existence propre, indépendante du sol.
Paradoxalement, du fait de cette inclusion à la terre, les végétaux sont moins matériels que les bêtes. Leur aspiration vers l’eau céleste fait partie de leur essence. À l’inverse, les animaux, détachés du sol, tendent vers leur source terrestre, d’où leur déplacement quadrupède.
De plus, la vocation des plantes est de nourrir l’homme ; les bêtes ont leur finalité propre, même si on peut les consommer – voire pas pour les animaux impurs. D’où les bénédictions particulières diverses sur les fruits de la terre, alors que la viande se contente d’un « par Sa Parole tout fut créé » générique.
L’homme, un animal métaphysique
L’homme, lui, par sa vitalité et son individualité, ressemble aux bêtes ; d’où sa création le même jour, en tant qu’être matériel au même titre sinon plus. Mais grâce à l’âme supérieure insufflée en lui, son aspiration, à l’instar des arbres, vise les hauteurs spirituelles dans un effort pour dominer sa matérialité corporelle. Le Maharal le compare à un arbre inversé, enraciné au ciel par son intellect et dont les branches constituent ses membres qui plongent vers la terre.
La station debout de l’homme, tel un arbre malgré ses similitudes animales, traduit la force de cette double création, esprit et corps, qu’est l’individu humain.
Cette différence entre arbres et animaux se manifeste également par deux autres aspects, qui montrent la supériorité de l’homme sur la bête :
- Contrairement aux animaux dont la reproduction est sporadique, l’arbre fructifie en permanence. On en déduit que les “fruits” de l’homme que sont ses bonnes actions, doivent être constants et non occasionnels. De même, il se doit d’éduquer ses enfants de manière continue.
- Plus l’arbre porte des fruits, plus il se fortifie avec l’âge, grandissant indéfiniment. Ainsi l’homme qui accomplit de bonnes actions, élève ses enfants avec dévouement et fait le bien autour de lui, voit sa stature spirituelle croître sans cesse.
La sortie d’Égypte et le don de la Thora reproduisent la Création
La sortie d’Égypte reproduit la Création du monde, mais au niveau collectif cette fois : de l’individu à la nation.
Selon un Midrach (Chemot rabba 21:6), « Hachem dit: au début de la Torah il est écrit ‘Que les eaux répandues sous le ciel se réunissent sur un même point, et que le sol apparaisse’, c’est Moi qui l’ai décrété ainsi, et J’ai également stipulé que Je fendrais la mer des joncs ».
Autrement dit, le passage de la mer Rouge rejoue le verset « Que les eaux inférieures se rassemblent ». De même que Dieu déplaça les eaux pour donner un lieu à l’Homme, Il sépara à nouveau les flots pour donner place au Peuple juif, créant par là une nouvelle terre, supérieure, extérieure au monde tel qu’il existait jusque-là.
Dès lors, attachés à ce sol « à sec au milieu de la mer » (ibid 14:29), terre dont l’essence est de demeurer connectée à la spiritualité de l’eau céleste, les Hébreux se préparent à rejoindre leur terre, pays « abreuvé par les pluies du ciel » (Devarim 11:11).
En faisant surgir cette terre et ce peuple inédits, le passage des eaux les engendra naturellement comme Hébreux (עברים), « ceux qui ont traversé ». Néanmoins, on en reste au troisième jour et à son constat que « cela était bon ». Il manque encore le pendant au sixième jour où fut créé l’homme, à propos duquel il est dit « et cela était très bon » (Berechit 1:31). Cette étape adviendra avec le Don de la Torah, le 6 Sivan, écho du sixième jour.
De même qu’à la Création, le troisième jour vit le déplacement des eaux et l’émergence de la végétation, tandis que le sixième produisit la bruine qui humecta toute la surface du sol afin de modeler l’homme à partir de la glaise ; de même en Égypte, le passage des eaux fit « pousser » le peuple auquel le Don de la Torah, qui est appelée « eau », donna toute sa vitalité et sa stature spirituelle.
Ainsi l’Homme, créé le sixième jour de la Genèse, n’accéda à sa finalité qu’avec la réception de la Torah le 6 Sivan ; désormais seulement on peut dire « Et cela était très bien ».