Parachat Vayichlah – Doit-on tenir compte de l’opinion internationale ?

Parachat Vayichlah – Doit-on tenir compte de l’opinion internationale ?

Devrions-nous nous détacher de l’opinion publique ?

Il n’est un secret pour personne que dans les guerres auxquelles Israël fait face, cette fois comme les précédentes, se pose la question de savoir dans quelle mesure tenir compte de l’opinion publique mondiale. En effet, à chaque conflit régional, le monde entier, ou du moins une grande partie, cherche systématiquement à nous empêcher de défendre notre existence sous prétexte du devoir d’épargner des vies innocentes. Cela jusqu’à en devenir une entrave majeure et une limite insupportable dans notre capacité à détruire nos ennemis et défendre nos intérêts vitaux.

Je ne débattrai pas ici sur l’origine de cette position biaisée mais si courante, ni sur la question complexe de savoir s’il est permis ou non de tuer des innocents dans un contexte de guerre. La question que je souhaite évoquer ici est de savoir s’il est vraiment nécessaire de tenir compte de l’opinion internationale. Parfois, il me vient à l’esprit que nous devrions nous détacher complètement de l’opinion publique, nous affranchir de la dépendance envers les États-Unis et autres grandes puissances, et nous appuyer uniquement sur notre Père céleste, qui est le véritable artisan des guerres.

Dans cet article je voudrais proposer une approche à partir de notre paracha.

Yaakov vs Chimon et Levy, qui a raison ?

Au sujet de l’histoire de Dina, il y a un débat entre Yaacov et Chimon et Lévi.

Après que les fils de Yaacov conviennent avec Chehem et `Hamor que si eux et les gens de leur ville acceptent de se circoncire, ils concluront une alliance de paix avec eux, Chimon et Lévi se lèvent et exterminent tous les mâles de la ville puis pillent la cité.

Yaacov, en apprenant la chose, se met en colère contre eux et leur dit : “Vous m’avez rendu malheureux en me mettant en mauvaise odeur chez les habitants du pays, le Cananéen et le Phérézéen; moi, je suis une poignée d’hommes, ils se réuniront contre moi et me frapperont et je serai exterminé avec ma famille” (Berechit 34:30). Et Chimon et Lévi de répondre : “Devait-on traiter notre sœur comme une prostituée ?” (Ibid 31).

Il y a là un dialogue assez étrange. Alors que Yaacov reste très pragmatique et avance un argument rationnel de sécurité, les frères répondent de façon plus émotionnelle.

Pour Yaacov, il est impossible de faire abstraction de l’opinion des peuples alentour, et c’est pour cela qu’il proteste contre le fait qu’ils aient porté atteinte à son honneur et à sa réputation. A cela, il ajoute un argument sécuritaire selon lequel du fait qu’ils sont en petit nombre, ils doivent faire preuve d’une extrême prudence afin de ne pas courir le risque d’être exterminés par les peuples voisins. 

À l’opposé, les frères répondent par une exclamation, qui, à première vue, ne répond aucunement aux craintes de Yaacov, mais ramène le focus sur leur sœur Dina qui a été déshonorée.

Du silence du texte, il apparaît que Yaacov ne répond rien à cet argument des frères. Apparemment, il accepte leur position. Le dernier mot revient de fait à Chimon et Lévi.

De même, la suite continue à première vue de justifier la position des fils de Yaacov, comme il est dit “Ils partirent ; dominées par une terreur divine, les villes d’alentour ne poursuivirent pas les fils de Yaacov” (Berechit 35:5). La crainte de Yaacov semble se dissiper lorsque les nations n’osent pas lui nuire.

Pourtant, avant sa mort, Yaacov réprimande Chimon et Lévi en disant “Ils ont tué un homme dans leur colère” (Berechit 49:6), faisant référence au meurtre de Hamor et des hommes de Chehem motivé par la colère.

Il nous faut comprendre pourquoi Yaacov a changé d’avis avant sa mort. Pourquoi a-t-il jugé approprié de leur adresser des paroles sévères juste à ce moment ? Il est également crucial de noter qu’ici il exprime un tout autre reproche, affirmant qu’ils ont tué sous l’emprise de la colère.

Vision universelle vs vision fraternelle

En réalité, Yaacov et ses fils avaient des perspectives totalement différentes de la situation.

Yaacov avait une vision globale et quasiment “politique”. Son rôle était de répandre l’héritage d’Abraham aux quatre coins du monde, comme il avait été béni : “Tu t’étendras à l’ouest et à l’est, au nord et au sud”. C’est pour cette raison qu’il a mis au monde les douze tribus.

Pour lui, la présence de Dina à Chehem pouvait aboutir à quelque chose de positif. Yaacov a peut-être compris que c’est précisément pour cela que ce malheur lui était arrivé. C’est ce qui ressort des paroles de nos Sages, qui disent que l’histoire de Dina et Chehem est advenue en punition du fait que Yaacov avait caché Dina lors de sa rencontre avec Essav, pour qu’il ne puisse poser son regard sur elle et ne veuille l’épouser. Cela avait été considéré pour Yaacov comme une faute, car Dina aurait pu faire revenir Essav vers la repentance. En ce sens, on pourrait supposer que l’expiation de cet acte résiderait dans le fait que par cet événement avec Dina et Chehem, Yaacov réalise son erreur et intègre que son rôle est de répandre la lumière du judaïsme dans le monde. 

Il n’en est pas de même pour les frères de Dina. Si l’on prête attention à leur argumentaire tout au long de cette paracha, il y a un mot qui revient sans cesse : Dina est “leur sœur“. Immédiatement après la proposition de Hamor de s’unir ensemble, le verset nous dévoile la raison de leur refus : “parce qu’on avait souillé Dina, leur sœur (Berechit 34:13), puis “Nous ne saurions agir ainsi, donner notre sœur à un homme incirconcis” (Ibid 14). De même lorsque Chimon et Lévi passent à l’acte, le texte souligne : “Chimon et Lévi, frères de Dina, prirent chacun leur épée et marchèrent sur la ville” (Ibid 25). Et cette paracha s’achève sur la réplique de Chimon et Lévi à Yaacov : “Traitera-t-on notre sœur comme une prostituée ?”. 

Chimon et Lévi sont habités par un seul objectif, ils ne se dispersent pas dans une vision globale, mais sont concentrés sur une seule chose : le déshonneur de Dina leur sœur par des incirconcis. 

À leurs yeux, cet acte est la preuve que Chehem et les gens de sa ville n’ont pas l’intention de s’associer à la postérité d’Abraham, même s’ils acceptent de se circoncire, mais au contraire leur but est d’effacer l’identité d’Israël, tout comme ils ont abusé de Dina uniquement pour assouvir leurs pulsions. 

Certes, les gens de la ville avaient accepté de se circoncire, mais comme l’écrit le Malbim, ce n’était pas dans un but de conversion et d’intégration à la famille de Yaacov, mais parce qu’ils avaient entendu ‘Hamor leur dire qu’ainsi ils obtiendraient toutes les richesses des fils de Yaacov. Autrement dit, les gens de Chehem étaient prêts à tout pour obtenir ce qu’ils désiraient, même au prix d’annihiler l’identité de l’autre.

C’est peut-être la raison pour laquelle Chimon et Lévi décidèrent de tuer tous les hommes de la ville. En effet, l’acceptation par ces gens de la proposition de ‘Hamor de se circoncire et de s’allier avec les fils de Yaacov, prouvait implicitement leur adhésion et consentement à l’enlèvement de Dina par Sichem. Et c’est ce qui est écrit dans le verset : “Les fils de Jacob […] pillèrent la ville qui avait déshonoré leur sœur“. Le déshonneur de Dina provient de toute la ville, comme l’écrit le Sforno : “Si le peuple ne tolérait pas une telle chose, Sichem n’aurait jamais osé faire ce qu’il a fait”.

Telle est le sens du désaccord entre Yaacov et ses fils. Yaacov, de par sa vision élargie en tant que père des tribus, avait pour objectif principal de répandre la lumière d’Avraham à travers le monde. C’est pourquoi il s’est concentré avant tout sur son image, sur la réaction des peuples, et sur le fait qu’étant en petit nombre ils devaient faire preuve d’une extrême circonspection.

À l’opposé, Chimon et Lévi étaient habités par un profond sens de la fraternité, et aucun argument ne justifiait à leurs yeux l’outrage fait à leur sœur. L’influence sur les nations ne peut se faire au prix de l’abandon des filles à leur sort, pour aucun prix au monde. Il était clair à leurs yeux que ce qui était arrivé à Dina pourrait se reproduire encore et encore, et qu’il fallait arrêter cela une fois pour toutes. 

Plus nous nous battons pour nos valeurs, plus nous serons respectés

 C’est ce qu’ils exprimèrent par la phrase : “Traitera-t-on notre sœur comme une prostituée ?”.

Cette exclamation qui jaillit de leur cœur contenait également, comme l’écrit le Sforno, une réponse à la crainte de Yaacov : “Il nous revient de réclamer vengeance pour son outrage, et quand les habitants du pays verront ceux qui s’en prennent à nous être ainsi traités, il n’est pas envisageable qu’ils se soulèvent contre nous”.

Autrement dit, après que les habitants du pays auront observé que notre intention de sauvegarder la sainteté d’Israël est pure, ils ne se dresseront pas contre nous.

De même, le Malbim explique leur réponse ainsi : “Au contraire, puisque nous sommes en petit nombre dans le pays, et qu’ils ont commencé à se déchaîner contre nous en saisissant notre sœur comme s’il s’agissait d’une prostituée, si nous nous taisons ils feront de nous ce qu’ils veulent ; il faut leur montrer que la main de Dieu est avec nous pour nous venger de quiconque nous touche pour nous nuire”.

Un principe important est énoncé ici : plus notre intention sera pure et véritable, plus les nations nous respecteront ! Et comme nous l’avons fait remarquer, la suite du verset “ils ne poursuivirent point les fils de Yaacov”, prouve que l’argument des frères est juste.

Deux visions complémentaires

 Mais s’ils avaient raison, pourquoi donc Yaacov les réprimande-t-il avant sa mort ? 

L’explication semble être, comme l’écrit le Ramban (parachat Vaye’hi), que “Yaacov était courroucé que l’on puisse dire que c’est sur son conseil que la chose fut faite, et qu’il y ait une profanation du Nom en ce que le prophète commette violence et pillage”. Le Ramban signifie par-là que Yaacov approuvait en fait l’acte de Chimon et Lévi, et qu’il était seulement important à ses yeux que l’on ne puisse dire que c’est sur son conseil que la chose avait été faite. 

Selon ce qui a été dit, Yaacov et ses fils sont arrivés avec des perspectives différentes, et toutes les deux étaient nécessaires. L’extermination des gens de Chehem n’était justifiée que pour celui qui venait avec une intention pure de ne pas abandonner leur sœur. Pour cela, il fallait un sentiment profond de fraternité, non pas dans un but de vengeance, mais pour une protection absolue de leur identité et de leur sainteté. C’est pourquoi le massacre de la ville était justifié du point de vue de Chimon et Lévi. 

Mais il ne fallait que ce ne soit pas fait en son nom à lui, Yaacov. Au moment où Chimon et Lévi sont partis tuer, il fallait aussi faire entendre la voix de notre père Yaacov, afin que l’on n’oublie pas qu’en fin de compte, le but n’est pas de tuer tout ce qui est différent de nous, mais au contraire d’être une lumière pour les nations. 

Yaacov les réprimanda avant sa mort, car son intention principale à ce moment-là était d’exprimer qu’ils ne pouvaient recevoir le droit d’aînesse à la place de Réouven, et c’est pour cela qu’il fut donné à Yehouda. Car bien que l’acte de Chimon et Lévi ait été nécessaire, pour être roi il faut avoir une vision plus globale des choses. Le sens aigu de fraternité de Chimon et Lévi les empêchait d’avoir une perspective plus large.

Ce sens de la fraternité qui les animait pouvait être dangereux, et c’est lui qui les avait conduits à vendre Yossef, et c’est pourquoi Yaacov visa à l’affaiblir en disant “Je veux les séparer dans Yaacov, les disperser en Israël” (Berechit 49:7).

Plus nous serons authentiques plus nous serons une lumière pour l’humanité

En conclusion, l’acte de Chimon et Lévi n’était justifié que parce qu’il ne procédait pas du conseil de Yaacov mais d’un profond sens de la fraternité.

En fin de compte, il fallait à la fois l’acte d’extermination de Chimon et Lévi, et la voix de la sagesse de Yaacov. Tandis que pour Chimon et Lévi, le déshonneur de leur sœur se dressait face à leurs yeux, Yaacov avait une perspective plus large. Et les deux étaient nécessaires. L’acte ciblé de Chimon et Lévi n’était juste que soutenu par la position de Yaacov de tenir compte de notre image vis-à-vis des nations. Et inversement, l’aspiration de Yaacov à être une lumière pour les nations ne peut exister que si nous combattons comme Chimon et Lévi pour préserver notre sainteté.

Et plus nous serons authentiques dans ce combat pour notre sainteté, plus les nations nous respecteront au lieu de s’élever contre nous. 

Concernant la question de savoir s’il faut tenir compte de l’opinion mondiale, il semble que la réponse soit que tant que nous ne sommes pas dans une démarche de vengeance mais de préservation de notre identité et de notre existence, nous n’avons absolument pas à tenir compte de l’opinion publique, bien au contraire. Mais à une condition : que notre but ne soit pas de nous refermer sur nous-mêmes mais au contraire de répandre la lumière de la vérité dans le monde. Car c’est précisément en conservant nos valeurs que nous pourront être réellement une lumière pour l’humanité.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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