Noah – Apprendre du « déconfinement » de Noah

Noah – Apprendre du « déconfinement » de Noah

Sors de la Téva !

Le covid-19 n’est évidemment pas comparable aux eaux du déluge, mais on serait tenté de relever que c’est la deuxième fois dans l’Histoire de l’Humanité que le monde entier fut contraint d’entrer dans une « Téva – Arche » – avec comme différence cette fois, que chaque famille a sa propre Téva !

L’actualité en Erets d’Israël est au deconfinement progressif, au point qu’il semble impossible de ne pas s’arrêter sur ce verset dans notre paracha « Et Dieu parla à Noah en ces termes : Sors de la Téva, toi et ta femme etc. » (Berechit 8, 17).

Ce verset donne matière à réflexion. Tout d’abord, c’est la première fois dans la Torah que l’Ecriture emploie le mot « vayédaberparler » à la place du terme « vayomer – dire ». Il nous appartient de comprendre ce qui justifie cette expression spécifique. En quoi est-elle plus appropriée ?

On peut encore s’interroger du fait que Noah savait que la terre avait séchée, et malgré tout, il ne sortit pas de l’Arche jusqu’à ce que l’injonction vienne directement de Hachem, comme il est dit : « Tsé min haTéva – Sors de la Téva ! ». Selon nos Sages (Tanhouma 13 ; 14), Noah dit : « de même que je ne suis entré dans la Téva qu’après en avoir reçu la permission, je n’en sortirai qu’une fois autorisé à le faire ». Quel est le sens d’une telle déclaration, lorsqu’on sait que la Téva n’était qu’un secours, et qu’une fois le Déluge passé et la terre raffermie, il n’y avait plus aucune raison d’y rester ?!

Le Midrach (Béréchit raba 34 ;6) explique que Noah ne souhaitait pas sortir de la Téva, car il se dit : « sortirai-je pour me reproduire et devenir à nouveau un objet de malédiction? » Cela, jusqu’à ce que Dieu lui garantisse qu’il n’amènerait plus le Déluge sur le monde. Il faut comprendre par-là que Noah refusait de sortir pour reconstruire et repeupler inutilement le monde.

En analysant les versets, il apparaît également que Noah n’agit pas strictement selon l’Ordre Divin lorsqu’il quitta la Téva. L’ordre de Hachem était le suivant : « Sors de la Téva, toi, ta femme, et tes fils et les femmes de tes fils avec toi » (8 ; 16). Cependant, nous remarquons une différence dans l’ordre des choses telles qu’elles se passèrent. Noah fit précéder ses fils à sa femme, comme il est dit « Noah sortit et ses fils et sa femme et les femmes de ses fils avec lui ». L’intention du Créateur était de mettre un terme à la séparation des hommes et de leurs épouses, comme ce fut le cas durant la période du Déluge, afin de reconstruire monde. Mais Noah refusa ici de renouveler ce lien. (Il existe d’ailleurs une discussion chez nos Sages sur la façon d’interpréter ce refus de Noah. Rabbi Yéhouda affirme que Noah a transgressé là l’ordre Divin et fut puni pour cette raison. Alors que Rabbi Néhémya estime que Noah a été au-delà de cet ordre par sainteté, et en fut récompensé. (Midrach Raba Paracha 35 ; 1).

Il nous importe de comprendre la démarche intérieure de Noah, lui qui est dénommé « homme intègre » par la Thora, et qui accomplit avec un profond et absolu dévouement la Volonté du Créateur. Pour quelle raison lui est-il désormais difficile d’obéir ? Quel est son débat avec Hachem ?

La permission nouvelle de consommer de la viande

Une des choses qui fut innovée après la sortie de Noah de la Téva est la permission de manger de la viande. Les commentateurs s’allongent d’ailleurs à ce sujet pour comprendre ce qui a valu à Noah cette permission, alors que celle-ci ne fut pas accordée à Adam, le premier homme ! Certains expliquent même que suite au Déluge, il n’y avait plus de nourriture en dehors de la viande des animaux.

Mais le Maharal (Nétivot Hathora 15) propose une interprétation à partir du verset qui qualifie Noah de « איש אדמה homme de la terre » (9 ; 20). Le Maharal voit dans ce terme un niveau plus élevé que celui de « אדם – Homme », dont l’étymologie indique simplement que son origine se trouve dans la terre. Cela signifie qu’il dominait la terre et détenait une emprise sur elle. Dès lors, tout ce qui a trait au monde animal lui était soumis, et c’est la raison pour laquelle lui fut permise la consommation de viande.

Dans le même ordre d’idée on peut remarquer qu’alors que pour Adam Harichon il est écrit : « Remplissez la terre et conquérez-la et dominez les poissons de la mer etc. », lorsque Noah sortit de la Téva, il est dit « Et la crainte et la terreur de vous sera sur tous les animaux de la terre… et sur tous les poissons de la mer ; ils seront livrés entre vos mains » (9 ; 2). Le Malbim explique cette différence ainsi: Adam Harichon était encore proche du niveau du monde animal, c’est pourquoi il lui fallait les combattre et les vaincre. Par contre Noah, étant naturellement supérieur aux bêtes n’avait nul besoin de les combattre ni de les dominer.

Qu’est-ce qui a donc engendré ce changement d’état chez Noah, qui lui permis de passer de « Adam – issu de la terre » à « Ich Adama – homme de la terre » ?

La Téva de Noah : un partenariat avec Dieu dans la création du monde

Il est écrit dans le Midrach (Béréchit Raba 34 ; 6) : « sors de la Téva », cela est semblable à un notable quittant son lieu de résidence qui installe un intérimaire à sa place; en revenant, il lui intime : sors de ta place !

On pourrait apprendre de ce Midrach que Hachem a en quelque sorte « cédé Sa place à Noah ». Cela signifie que Noah, en intégrant la Téva, endossa la responsabilité de tous les êtres vivants ! Sous un tel angle, on peut y voir un partenariat entre Noah et Hachem pour la survie du monde.

Pour quelle raison ?

Hachem vit que l’attachement profond de l’homme à la terre lui nuisait et le corrompait. Déjà, à l’époque de Adam et du temps de Caïn, la terre avait fait fauter l’homme et en fut maudite. A la génération du Déluge, tous les êtres vivants se pervertirent sur terre. Hachem entreprit alors de mettre un terme à cette relation et séparer l’homme de celle-ci. Il le fit en premier lieu par le biais des eaux du Déluge. Hachem affaiblit toute la Création pour minimiser l’attrait du monde matériel et faire en sorte que la terre soit moins agressive envers l’homme.

Mais le fait d’introduire toute la Création dans la Téva avait une fin en soi, non seulement celle de sauver les êtres vivants du Déluge, mais également de permettre à l’homme de se considérer comme le « partenaire légitime » de Hachem dans l’existence du monde, et pas seulement une de Ses créatures parmi les autres.

Lors de la Création du monde, Adam fut créé en même temps que le monde animal, et malgré le souffle de vie particulier qui l’inspira, il persista à être une partie de ces créatures. Par contre, au moment du Déluge, sorte de renouveau de la création, Hachem désira faire de l’homme Son partenaire dans l’existence même du monde. Ainsi, du stade de simple créature comme n’importe quel autre produit de la terre, l’homme s’éleva pour dominer la terre. En d’autres termes, passer du statut de « Adam » à celui de « Ich Adama ».

Nous remarquons d’ailleurs qu’avant son entrée dans la Téva, la Thora s’adresse à Noah à égalité avec les animaux comme il est écrit : « Et toi, prends pour toi de toute nourriture qui puisse se manger et tu la rassembleras vers toi et ce sera pour toi et pour eux pour subsister » (6 ; 21). Cela vient confirmer le statut de Noah comme étant au même niveau que celui des animaux. Il serait sauvé pour préserver l’espèce humaine et pas davantage.

Cependant, durant tout son séjour dans la Téva, Noah se comporta et agit avec une extrême bonté envers les créatures qui s’y trouvaient, suivant ainsi la façon d’agir du Maître du monde. Pendant les 12 mois que dura le Déluge, Noah s’occupa avec un dévouement infini de la gente animale, que ce soit des animaux sauvages, domestiques ou des volailles qui se trouvaient avec lui dans la Téva. Il est impossible de décrire le sacrifice dont Noah fit preuve pour nourrir autant d’animaux, chaque espèce selon ses besoins spécifiques et précis. Au point où il lui arriva un jour de tarder à nourrir le lion, qui le blessa pour ce manquement.

Le traité Sanhédrin (108b) rapporte que Eliézer, le serviteur de Avraham avinou demanda à Chem, le fils de Noah, comment Noah et ses fils étaient parvenus à tenir ce rythme infernal de sustenter autant d’animaux dans la Téva ! Il répondit qu’ils en éprouvèrent une grande souffrance. C’était très dur à vivre, et durant une année entière, ils ne purent goûter au sommeil. « Un animal qui avait l’habitude de manger de jour, nous l’avons nourri le jour, et celui dont l’habitude était de manger la nuit, était nourri la nuit ». Chem raconta également au sujet d’une créature appelée zakita qui était dans la Téva et dont Noah ignorait ce qu’elle mangeait. Un jour, il lui arriva de couper une grenade de laquelle tomba un vers que la zakita mangea. Dès lors, Noah prépara à son intention un mélange de son et d’eau avec lequel il la nourrissait. A ces difficultés, il y a également lieu d’ajouter l’interdit dont était frappé Noah et sa famille de mener une vie conjugale durant une année entière. Tout cela nous fait réaliser l’investissement total de Noah, corps et âme, en faveur des créatures embarquées avec lui dans la Téva. On peut dire que Noah s’est pleinement associé à la façon d’agir de Hachem, à partir de laquelle le monde fut créé, comme il est dit «  Olam hessed yibané – le monde est créé à partir de bonté ».

Rappelons également que durant toute cette période, Noah et sa famille voguaient sur les eaux, loin de la terre. De cette manière, ils se coupèrent totalement du monde et revinrent à ce qui existait avant que ne soit créé le monde, dans la perspective du « Souffle de D ieu qui planait à la surface des eaux » (1 ; 2).

Ainsi, le monde vivant qui se trouvait à l’intérieur de la Téva, et tout particulièrement l’Homme, changea du tout au tout. Le Noah qui sortit de la Téva ne ressemblait pas au Noah qui y entra. Il n’était plus désormais une simple créature parmi d’autres, mais s’était associé à part entière dans la nouvelle création du monde. De cette manière, se renforça son « Tsélem Elokim – son image Divine ».

Ce n’est pas par hasard qu’il est alors ordonné : « celui qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé, car à l’image de D ieu Il a fait l’homme. » (9 ; 6). C’est pourquoi, aussitôt après être sorti de la Téva, Noah construit un autel pour y offrir un korban. Cela signifiait qu’il avait bien intégré le fait qu’au lieu d’être influencé par la terre, il nous appartient de la dominer pour en faire un autel, transformer l’animal en une offrande d’un autre niveau, plus élevé.

C’est là, la raison de l’injonction de Hachem à Noah de sortir de La Téva en vertu du terme « vayédaber – parler » et non « vayomer – dire ». En effet, ce dernier s’adresse à une personne qui n’entend pas forcément ce qui est dit (comme les dix paroles dites avant-même la création de l’homme). En revanche, le mot « dibourparole » est utilisé lorsqu’il y a un auditeur en face. Jusqu’à la sortie de Noah de la Téva, le mot « dibour » ne fut jamais mentionné, car Dieu n’avait pas encore de « partenaire ». Seul Noah à l’issue de ces 12 mois dans la Téva acquit ce titre d’associé avec Hachem dans l’existence du monde.

Noah ne prit pas conscience du profond changement que son séjour dans la Téva engendra

Noah ne perçut pas pleinement le changement qui s’était opéré. Il pensait qu’en sortant de la Téva et en retrouvant son quotidien, le monde retournerait à cette fatalité auto-destructrice. Construire une Téva et y entrer, Noah en avait parfaitement compris le sens. Il avait compris qu’il fallait un salut particulier pour les tsadikim, c’est pourquoi il est mentionné à chaque occasion qu’il accomplit fidèlement l’ordre de Hachem. Par contre, de sortir de la Téva dans l’esprit de construire un nouveau monde, il ne le comprit pas. Il supposa que le monde reviendrait de nouveau à sa perversion, provoquant sans aucun doute un nouveau Déluge.

Noah avait comprit que la Téva était un monde en soi, différent, mais il ne comprit pas que c’était en réalité le commencement d’un nouveau monde et non un substitut au monde.

C’est seulement lorsque Noah vit que Hachem agréa « l’odeur agréable » de son offrande, qu’Il lui promit de ne plus maudire la terre, le bénit lui et ses fils de fructifier, se multiplier et remplir la terre, qu’Il fit en sorte que les animaux se soumettent à lui et lui permit même la consommation de la viande, qu’Il lui fit connaitre les lois relatives au meurtre eu égard au fait que l’homme a été créé à l’Image Divine, que Noah comprit que son séjour dans la Téva avait opéré un profond changement en lui, au point que même en permettant aux humains et aux animaux de retrouver le monde, ils n’en arriveraient plus à ce degré de corruption tel qu’il existait avant le Déluge. Et ce, pas uniquement, parce que le monde avait changé par l’effet de l’eau, pas seulement parce que les animaux avaient changé en vertu de leur séjour dans la Téva, mais essentiellement parce que l’homme, lui, avait changé ! Il avait pris ses distances par rapport à la terre, et avait ainsi acquis son titre de « partenaire » du Maître du monde.

Le message de notre période de confinement

Un message fondamental ressort cet épisode de la Thora relativement à la période que nous vivons actuellement. Le confinement fait que nous vivons davantage à l’intérieur de nos maisons, entourés de notre famille immédiate, à l’image de Noah et sa famille dans la Téva. Nous ressentons plus intensément nos responsabilités familiales à tous les niveaux ; celle de l’éducation des enfants, du choix judicieux de leurs activités, de la sérénité du foyer, etc. Cette étape est l’occasion de réaliser combien dans notre routine nous manquons d’attention vis-à-vis de nos enfants. Nous ne sommes pas toujours sensibles aux détails de leur activité, au contraire, nous nous en déchargeons lorsque nous les envoyons dans leur structure scolaire.

Durant cette période, notre comportement exerce une influence renforcée sur nos enfants, bien plus qu’en temps normal. Que ce soit à notre lever déjà, de la manière dont nous prions, dans l’organisation de notre journée, notre comportement vis-à-vis d’autrui, etc. Tout cela nous oblige bien davantage et pas seulement ponctuellement, mais en permanence, car il n’est pas un seul instant où il nous est possible de nous dérober.

Il est vrai que ce n’est pas facile, mais comme pour Noah, cette situation a le potentiel de nous élever et transformer nos personnalités, faire de nous de nouveaux êtres. En nous impliquant davantage dans le monde dans lequel nous vivons et dans ses valeurs, et ne nous contentant pas de rester simplement passifs. Pour nous élever, gravir ces échelons, nous devons en avoir conscience et rester éveillés, sur le qui-vive.

Ce n’est que de cette façon que la sortie de ce confinement nous mènera vers une vie d’une dimension nouvelle, où nos valeurs seront plus fortes et auxquelles nous serons davantage attachés. Il nous appartient donc de mettre à profit cette période très particulière pour à sa sortie, avoir façonné un changement et être apte à édifier pour nous-mêmes un nouveau monde.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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