Parachat Tétsavé – L’habit ne fait pas le moine ?

Parachat Tétsavé – L’habit ne fait pas le moine ?

Le vêtement vient-il couvrir, dévoiler, ou encore façonner ?

Le sujet central traité dans notre Paracha est le sujet des Bigdei Kehouna, ou habits sacerdotaux. Moché fut intimé par D.ieu de confectionner des « vêtements sacrés » pour son frère Aharon et ses fils, « insignes d’honneur et de majesté ».

Outre le sujet spécifique de ces vêtements, je voudrais, dans cet article, m’attarder sur la notion même de l’Habit, de son sens profond sous le prisme de la Torah, et de son but premier.

Vient-il couvrir ou au contraire révéler ? Est-il prédisposé à couvrir l’homme et à le protéger d’agressions extérieures, ou au contraire sert-il à dévoiler l’identité et à proclamer la personnalité de celui qui le porte, ou même à l’embellir et à l’honorer ?

Ou même, plus qu’une fonction révélatrice, le vêtement contriburait à influencer l’homme et à le façonner. Un homme se conduit bien suivant sa tenue vestimentaire ! Ainsi, même si « l’habit ne fait pas le moine », il le « fait » peut-être quand même.

Il est évident que l’habit a plusieurs utilités, souvent même sociales ou professionnelles. Mais j’aimerais me concentrer davantage sur l’essence du vêtement et de son objectif principal d’après notre Tradition.

Ainsi, il faut noter dans notre Paracha que le Texte a établi une séparation entre la confection du pantalon et celle des autres habits sacerdotaux. Au début, il nous est décrit la fabrication des autres vêtements jusqu’à ce que le verset conclue en ordonnant : « Et tu les vêtiras, Aharon ton frère et ses enfants avec lui » (Chemot 28,41). Ce n’est qu’ensuite (verset 42) qu’il est dit : « Fais-leur aussi des pantalons de lin commun, pour couvrir la nudité de la chair, depuis les reins jusqu’aux cuisses ». Pour quelle raison le pantalon a été mis à part et n’a pas été cité avec les autres habits ?

L’habit à l’origine de l’Histoire 

Afin d’apporter un élément de réponse, attardons nous sur l’apparition de l’Habit, à la genèse de son histoire. Nous faisons évidemment référence au vêtement d’Adam HaRichon, à la suite de la faute originelle. En analysant le Texte, nous pouvons remarquer que l’habit d’Adam est divisé dans le Texte en deux parties : La première se situe immédiatement après la faute d’Adam et ‘Hava. Le verset dira (Bérechit 3,7) « ils connurent qu’ils étaient nus ; ils cousirent ensemble des feuilles de figuier, et s’en firent des pagnes». La seconde partie ne viendra qu’après les diverses malédictions divines, celles du serpent, de ‘Hava et de la terre. Le Texte nous narre comment « D.ieu fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau et Il les vêtirent » (ibid. 21).

Pourquoi le vêtement d’Adam se fit en deux parties, et pourquoi D.ieu attendit pour leur confectionner des tuniques de peau. On peut également remarquer que la première tenue fut élaborée par l’Homme, tandis que la seconde fut créée par D.ieu Lui-même. Quelle en est la raison ?

Il semblerait donc qu’il y ait ici deux objectifs. Le premier habit ne sert apparemment qu’à recouvrir la nudité, semblable à la dimension de « S’éloigner du Mal » (Sour MéRa’). Le second habit, quant à lui, vient apporter une signification à l’homme. Le vêtement ayant comme fonction de couvrir la nudité sera fait par l’homme, tandis que celui apportant une signification profonde sera apporté par D.ieu. Ainsi, les dernières tuniques ne viennent pas recouvrir, ni même dévoiler, mais au contraire installer et révéler un présent divin permettant à l’homme d’atteindre son Tikoun, sa rédemption.

Comme on le sait, la conséquence la plus importante de la faute originelle fut que le Corps de l’homme devint un écran entre l’intérieur et l’extérieur. L’Âme divine devint cachée et captive au sein du Corps. A partir de cela, nombreux sont les commentateurs qui verront donc dans l’habit un moyen de rabaisser et d’occulter l’impact de ce corps, laissant ainsi s’exprimer l’intérieur de l’homme .

Cependant, je pense qu’il y a lieu de nuancer et d’ajouter une idée plus profonde. La Torah a sciemment séparé les premières tuniques utilisées par Adam des secondes. Couvrir le corps et l’annuler n’est vrai que concernant la nudité uniquement. Car comme explique le Malbim (Parachat Vayétsé), cet endroit intime restera à jamais matériel, du fait de son but reproducteur. Il fallait donc que Adam le recouvre avec des feuilles de figuier. Mais le reste du corps a la capacité de changer et d’être sublimé en une chose spirituelle. Ce travail est entre nos mains, car la lumière est à l’intérieur de nous.

L’habit peut révéler la lumière cachée en nous

Rabbi Méir lisait « Koutenot Or », des tuniques de lumière, à la place de « Koutenot ‘Or », des tuniques de peau. Peut-être parce que cet Habit que Dieu offrit à Adam est notre seul et unique moyen de pouvoir retrouver la lumière originelle qui est profondément en nous. Car bien que la lumière originelle, créée le premier jour, fut cachée, elle se trouve en nous, et c’est donc à nous de la révéler. Et ce, uniquement grâce à l’Habit. 

Notre réparation de la faute viendra donc grâce à cette lumière de l’Esprit qui nous habite, lumière qu’il nous faudra concrétiser, grâce à l’Habit. Ce dernier n’est pas seulement une manifestation de cette lumière, c’est l’outil obligatoire pour amener sa potentialité à terme. L’habit façonne l’homme, l’homme avec d’autres vêtements est un autre homme. Nous trouvons ainsi les lois concernant les habits de semaine et ceux de Chabat, et également la loi qui oblige le Sage à faire attention à la propreté de ses vêtements. 

C’est peut-être la raison pour laquelle les tuniques « divines » apparaissent dans le texte uniquement après les malédictions adressées à ‘Hava et Adam. Elles ne devaient pas être le résultat immédiat de leur faute, elles ne viennent pas pour couvrir et cacher comme leurs prédécesseurs. Elles n’ont de but que d’aider à réparer et améliorer, à l’image des malédictions. En effet, si les premières sont venues par l’action de l’homme pour répondre à sa honte, celles ci ont été offertes par Dieu pour un but suprême. Seulement après que D.ieu aura annoncé à l’homme qu’il devra manger son pain à la sueur de son front, et qu’il retournera à la poussière, signe de sa vie limitée, le Texte révèle la nature des premiers vêtements. Ce n’est qu’après avoir réalisé qu’il devra sublimer son corps que l’homme prend connaissance de l’Habit.

[Nous pouvons ajouter qu’un autre verset s’interpose entres les deux habits d’Adam. Il décrit comment Adam a nommé sa femme ‘Hava, car elle était la mère de tous les vivants. Quel rapport y a-t-il avec le cours de l’histoire ? En outre, pourquoi avoir choisi ce moment pour nommer sa compagne ? En réalité, à ce moment, où l’homme devint vulnérable et mortel, Adam HaRichon devina que la réparation de sa faute prendrait des générations. Elle ne s’achèvera qu’à l’aide de ses descendants. La perpétuation des générations ne pouvant se faire qu’à travers sa femme, c’est à cet instant précis qu’il la nomma « Mère de tous les vivants ». C’est également à cet instant qu’il mérita les tuniques, car c’est cet Habit que ses descendants utiliseront. Ces derniers se lieront à lui, leur origine, à l’aide de l’Habit, symbole du pardon sur une faute qu’il aura lui, commise. Le même habit qui façonna le premier homme, façonnera la suite de l’humanité. Nous trouvons chez nos Sages que la tunique offerte par Yaacov à Yossef, l’objet de convoitise des autres frères, était la tunique « divine » transmise à Adam. De même, les habits sacerdotaux étaient, selon certains, les vêtements du premier homme. Ainsi, nous pouvons faire partie de lui, et atteindre notre but.]

De plus, nos Sages affirment que les vêtements que D.ieu confectionna à Adam furent… les habits sacerdotaux. A travers l’enseignement de nos Sages qui affirment que ces Bigdei Kehouna possédaient en eux les insignes des bonnes Middot, expiant ainsi sur les fautes principales. Ces habits révélaient, plus que tout, la dimension divine octroyée à l’Homme. Par le Cohen qui les revêtait, en s’imprégnant de leur essence, sans aucun écran, il pouvait être influencé par eux. Ils révélaient ainsi la lumière cachée en lui. 

Distinction entre le pantalon et les autres habits du Cohen

A présent, la même distinction se trouvant dans les tuniques d’Adam peut être extrapolée à la séparation entre le pantalon et les autres habits du Cohen. Nous pouvons ainsi remarquer qu’au sujet des autres habits, le Texte emploie le terme de « Vêtir », terme utilisé quand D.ieu vêtit Adam et sa femme. En revanche, le verset utilise le verbe « faire » pour le pantalon, en parallèle avec les premiers pagnes qu’Adam se fit…

Cette idée est explicite dans le Maharal de Prague (Gour Arié 28,40) qui affirme: « le pantalon n’était aucunement un vêtement d’honneur, mais n’était là que pour couvrir la nudité et retirer la honte. Les autres habits, quant à eux, servaient à honorer le corps, comme le verset lui-même déclarera à leur sujet : « insignes d’honneur et de majesté ». Le terme de « Vêtir », symbole d’honneur, n’apparaît donc pas au sujet du pantalon » .

Dans la Tradition, des lois spécifiques à ce pantalon, en opposition aux autres habits sacerdotaux, expriment bien son individualité. Le Talmud (Yoma 23b) déclare qu’il fallait qu’il soit le premier habit. En outre, plusieurs opinions tranchent que celui qui pénétrait l’enceinte du Temple sans pantalon était passible de la peine de mort, même lors d’une venue subsidiaire, en-dehors du Service sacré, a contrario des autres habits qui n’entraînaient la mort que si on les oubliait au moment du Service.

L’habit : une influence révélatrice

En conclusion, nous pouvons dire que même si ces pantalons ne venaient que pour recouvrir, les autres vêtements possédaient un objectif positif, fait d’honneur et de majesté. Mais au début de notre article, nous hésitions encore si l’Habit dévoile ou façonne. La véritable réponse inclut ces deux options. Nous ne pouvons déclarer qu’ils viennent juste proclamer sur ce qu’il y a à l’intérieur, car l’intérieur est enfermé et étouffé par les limites du corps, et donc incapable d’être dévoilé. Il n’est pas non plus là simplement pour influencer l’homme qui le porte, car cela n’est pas vrai pour un homme inadéquat à un moment inopportun.

Ce qui est vrai, c’est que grâce à son influence l’habit est capable de révéler la lumière intérieure. On ne peut parler de révélation ou d’influence, mais plutôt d’influence révélatrice, sans elle, nulle révélation, et sans intériorité nulle influence. L’Habit est le seul outil capable de nous ramener au niveau de Adam avant la faute, à faire briller notre intérieur.

Il est donc de notre devoir de méditer sur la symbolique des habits que nous revêtons, comme à la différence entre les vêtements de Chabat et ceux de la semaine. Pour chaque lieu et chaque moment, il y a un habit qui est adéquat, propre à révéler et à sortir la lueur qui est liée à ce lieu et à ce moment. Tel le Cohen Gadol qui changeait plusieurs fois d’habits le jour de Kippour, ou comme Morde’hai qui bien qu’en moment de détresse était vêtu d’un linceul et recouvert de cendres, à l’heure de gloire n’hésita pas à porter avec fierté les habits royaux.

Malheureusement, de nos jours, non seulement les habits ne servent pas cet objectif, mais au contraire ils servent au but inverse, à savoir montrer le corps (ou encore de cacher les défauts de celui-ci, mettant en exergue une perfection factice dudit corps). A nous de comprendre que sans prendre soin de cette lumière infinie qui se cache en nous et à l’allumer grâce à un bon choix d’habits, cette dernière finira par s’éteindre. En montrant notre corps, on se présente aux yeux du monde comme un vulgaire objet. Il n’y a plus d’identité, uniquement de la chair et des nerfs. Plus l’habit servira à la noble tâche d’être un insigne d’honneur et de gloire, plus notre personnalité pourra s’exprimer.

Malgré tout, un jour par an, nous sommes à mêmes à faire sortir notre lumière intime sans l’aide de l’Habit. Le jour de Pourim, jour où le vin nous permet de faire sortir les choses secrètes… Chez les Cohanim, au Temple, le vin leur étant interdit, ce sont les habits qui faisaient office de moyen pour se révéler. Les déguisements que nous avons l’habitude de porter ce jour de Pourim, viennent dénigrer quelque peu l’objectif sérieux de l’habit. Nous déclarons ainsi qu’une fois par an, le vêtement sert à apporter l’expiation, mais pas seulement… 

Une autre dimension nous appelle, dimension qui nous attire et nous inspire : celle d’Adam HaRichon avant la faute…

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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