Parachat Vayétsé – Monte sur l’échelle !

Parachat Vayétsé – Monte sur l’échelle !

Le songe de Yaakov

Solitaire et démuni de tout, Yaacov avinou quitte la maison de ses parents. Loin de sa terre natale, il fait face à un avenir incertain. Et voilà qu’au cours d’une nuit significative au cours de son chemin, Yaacov voit un rêve, révélation qui compte parmi les prophéties les plus élevées de la Thora.

En se réveillant de son sommeil au lever du jour, la perspective de Yaacov a radicalement changé : il n’est plus seul, Hachem est avec lui ! Du même coup, il ne manque plus de rien car toute la terre lui appartient… Désormais, son avenir s’éclaircit et le trouble qu’il pouvait craindre disparaît, car cette vision lui promet un futur prodigieux.

Face à ce dévoilement divin, Yaacov est rempli d’émotion, et sa réplique se traduit par l’expression d’un vœu comme suit :

 « Si Elokim est avec moi, et qu’Il me garde dans ce chemin dans lequel je m’engage et qu’Il me donne du pain pour me nourrir et un vêtement pour me vêtir, et que je retourne en paix dans la maison de mon père, Il sera pour moi un D.ieu » (Béréchit 28:2).

Un néder qui laisse planer le doute !

La formulation du serment de Yaacov avinou suite à cette Promesse Divine, assorti de cette condition qu’évoque le mot « im – si » suscite le questionnement relativement au niveau de Emouna de Yaacov. Cela apparaît comme une hésitation qui laisse planer un doute. Comment est-il possible que Yaacov, l’élu parmi les Avot Hakédochim, puisse suggérer une telle ombre ? Le Ramban et d’autres commentateurs se sont arrêtés sur cette interrogation. Le Abrabanel également, demande avec encore plus de force : pourquoi Yaacov aborde-t-il ainsi les choses, comme s’il servait Hachem de manière intéressée en disant : « Si cela se passe de telle manière, je reconnaîtrais que cela provient de Hachem » ! Une telle approche diffère radicalement de la Emouna inconditionnelle de Avraham avinou, qui résista aux différentes épreuves sans s’interroger davantage.

De la révélation à la réaction

Explorons différents points de vue concernant le message que véhicule Hachem à Yaacov à travers son rêve, ainsi que la réaction de Yaacov à cette annonce divine.

Le message de D.ieu à Yaacov se divise naturellement en plusieurs parties. Le premier morceau contient une promesse concernant un avenir lointain. Il y est question du futur Peuple qui naîtra de sa descendance, ainsi que de l’héritage de la Terre d’Israel. Cette promesse insiste sur le rôle spirituel ainsi que sur la mission que les descendants de Yaacov auront de mener le monde à son Tikoun. L’autre partie du message contient une promesse relative à un présent imminent, qui annonce à Yaacov sa réussite matérielle au cours de son voyage actuel, et qui lui garantit un retour dans son pays d’origine.

Il nous importe alors de comprendre pourquoi les deux données sont formulées dans cet ordre. Il conviendrait en effet qu’elles soient énoncées dans l’ordre inverse. En premier lieu, la promesse d’un présent serein, et seulement après, l’annonce de son but élevé dans le monde, objectif distant dans le temps.

Il est également intéressant de relever la réponse de Yaacov relativement à cette révélation. Yaacov se concentre exclusivement sur la seconde partie de la promesse divine. Celle qui touche à sa protection au cours de son voyage. Le plus curieux tient dans le fait qu’il ne mentionne absolument pas explicitement la première partie de la Promesse concernant les générations à venir et leur héritage de la Terre. Plutôt que de reconnaître l’engagement divin envers ses descendants et leur héritage de la terre, Yaacov choisit de ne se focaliser que sur la promesse de sa sauvegarde et de sa sécurité immédiate. Cette omission flagrante d’un aspect aussi crucial laisse perplexe.

Relevons également le fait que Yaacov, dans son néder, revient sur les termes de la promesse consentie par Hachem – d’être avec lui, de le protéger et de le ramener dans la maison de son père. Yaacov ajoute néanmoins un détail de son cru quant à la protection qui lui est garantie, en disant : « qu’Il me donne du pain pour me nourrir et un vêtement pour me vêtir ». Cet ajout accentue encore davantage la question. Qu’est-ce que cela vient nous enseigner sur le devenir spirituel de Yaacov ?!

Yaacov refuse de monter sur l’échelle

En réalité, le Zohar Hakadoch (Vayetsé 151a) s’intéresse à la première question, de savoir pourquoi Yaacov s’exprime d’une façon qui jette le doute sur la Promesse d’Hachem. Selon le Zohar, il est évident que Yaacov a une grande confiance en Hachem, seulement en revanche Yaacov ne croit pas en lui ! Il craint de commettre une faute qui l’empêcherait de revenir en paix sur sa terre. Ce manque de confiance en soi conduit Yaacov au doute. C’est pourquoi, il semble plus important de comprendre pourquoi Yaacov demeure hésitant sur ses propres capacités, et comment ce regard négatif exerce son influence sur l’Histoire.

Le cœur du rêve de Yaacov tourne autour de l’échelle sur laquelle montent et descendent des Malakhim. Les commentaires concernant le sens à donner à cette histoire sont nombreux. Dans l’un des Midrachim, nous rencontrons une critique surprenante concernant le manque de réactivité de Yaacov face à cette révélation de Hachem. Selon le Midrach, les Malakhim qui montent et descendent, symbolisent les nations du monde et en particulier, les quatre représentants des plus grands Empires : la Babylonie, les Mèdes, les Perses et Edom, qui au début montèrent mais qui finalement redescendirent. HKBH demande à Yaacov pourquoi il ne monte pas. Yaacov répond que, de même que les Malakhim ont tous fini par redescendre, il craint de chuter également. C’est à ce sujet que HKBH répond à Yaacov et lui affirme que s’il prend le parti de monter, il ne risquera pas de retomber. Mais malgré la promesse d’Hachem, Yaacov ne prête pas encore foi et fait le choix de ne pas monter. Le Midrach suggère que le manque de Emouna de Yaacov fut une erreur de sa part, qui engendrera le fait que ses descendants soient asservis par les quatre grands empires du monde.

Des paroles du Midrach, nous constatons à nouveau le manque de Emouna de Yaacov refusant de monter sur l’échelle. De quoi avait-il peur ? Il semble qu’il ait eu peur de l’échelle. Yaacov ne pensait pas devoir monter sur l’échelle que les nations du monde avaient emprunté.

Les échelons de l’échelle

« L’échelle est posée à terre et son sommet parvient au ciel » (Berechit 28:12), cette formulation symbolise la connexion entre le Ciel et la Terre. Les échelons de l’échelle représentent les forces terrestres qui évoquent l’économie, le pouvoir législatif, les forces de l’ordre, le monde politique, le système éducatif etc. Autant de domaines nécessaires au fonctionnement de notre monde qu’il nous incombe de mettre à profit, d’améliorer, d’affiner, jusqu’à les connecter au monde spirituel, le Ciel. Cependant, Yaacov s’en est étonné : est-ce bien là l’échelle sur laquelle je suis supposé monter ?

Yaacov, personnage « assis à étudier dans la tente », ne comprend pas pourquoi il doit utiliser ces échelons de l’échelle pour accéder au Ciel. De son point de vue, les Malakhim des nations représentent le yetser hara. Il lui faut donc s’en éloigner et ne surtout pas monter sur leur échelle. Ces ‘Malakhei Elokim’, selon l’approche de Yaacov, sont les représentants des nations du monde qui sont en compétition pour dominer la terre, car ‘Elokim’ a la même valeur numérique que téva’ – la nature. Quant à Yaacov, il se sent davantage concerné par cette lumière intérieure, surnaturelle, et comme il lui est annoncé dans son rêve : « Voici que Hachem est posé sur lui »– sur Yaacov, Hachem par opposition au nom Elokim. Sa connexion avec le Ciel, Yaacov la perçoit comme une invitation directe à accéder au plus haut niveau, sans passer par l’échelle. Au contraire, dans son entendement, s’il grimpe les mêmes échelons que les nations, il court justement le risque de tomber.

L’échelle exige de Yaacov à grimper

A cet argument de Yaacov, HKBH répond que sa compréhension est erronée. L’aboutissement de Yaacov ainsi que celui de l’apparition du Peuple Juif dans le monde se fera précisément lorsqu’il se tiendra sur l’échelle. Cette échelle posée à terre exige qu’il y monte et qu’il s’associe à cette course en tant que ‘Malakh Elokim’ – représentant divin – qui se doit de contrôler également la réalité extérieure. Yaacov ne peut oublier qu’il a également pris la charge de Essav en achetant son droit d’aînesse et en recevant les Brakhot. L’amendement du monde, qui comprend également celui des nations, dépend du fait que Am Israel s’empare aussi de la matérialité. Alors seulement, les nations admettrons son niveau et accepteront de s’améliorer par son intermédiaire. Ce n’est que de cette façon qu’Israel pourra véritablement exercer son influence sur les esprits des nations.

La suite du Midrach propose des explications contradictoires concernant le passouk : « Voici que Hachem se tenait au-dessus de lui». Certains interprètent le mot « ‘alav – au-dessus de lui » comme se référant à Yaacov, signifiant ainsi la proximité extrême entre Yaacov et D.ieu. Une autre opinion explique ce mot « ‘alav » comme se rapportant à l’échelle, comme pour souligner la présence divine en l’échelle elle-même.

Ces interprétations apportent un éclairage relativement à l’existence complexe du Peuple Juif. Am Israel vit en tension permanente entre deux antipodes. D’un côté, une nécessité de se protéger face aux nations du monde, au cœur de cette conscience de vivre directement sous l’influence divine. C‘est ce qui est dit dans la Chirat Haazinou qui exprime « car ce peuple est la part d’Hachem, Yaacov est le lot de son héritage ». Avec cela, Am Israel ne peut se couper du profil de l’Humanité sur terre. Au contraire, il lui incombe la responsabilité d’enseigner au monde comment s’élever comme il convient sur l’échelle de la connexion avec le Ciel.

Les deux composants de la promesse divine

D’après ce qui précède, il nous est permis de comprendre pourquoi dans son néder, Yaacov ne fait référence qu’à la deuxième partie de la Promesse divine, la plus difficile à porter pour lui. La deuxième partie, qui concerne la destinée du peuple issu de sa descendance et son appartenance à la terre promise etc, il la vit comme une évidence. Mais le chemin pour y parvenir, symbolisé par son voyage actuel en tant qu’exilé dans un pays étranger, semé de dangers et de frictions avec les nations, cette partie le fait douter et il ne parvient à faire confiance en ses propres capacités dans ce domaine.

L’ordre des promesses faites par D.ieu à Yaacov revêt une signification précise et constitue pour lui une leçon importante. Cela vise à enseigner à Yaacov que l’accomplissement ultime des bénédictions futures, y compris l’émergence de ses descendants qui hériteront de la terre promise, sont étroitement liés au succès de sa mission consistant à fonder une famille à Haran et à finalement retourner sur la terre de ses ancêtres.

Cela peut être formulé ainsi: afin de mener efficacement le monde à son accomplissement, le rôle central de Yaacov et de ses fils en tant que peuple élu nécessite un engagement actif auprès de la communauté des nations sur des questions éminemment pratiques. Cette participation au monde général fait partie intégrante de leur mission.

Pour conclure…

En cette période difficile de guerre, il est crucial pour nous, en tant que peuple d’Israël, de reconnaître et d’apprécier la force intrinsèque qui nous a été conférée pour faire face à nos ennemis. C’est une opportunité pour nous d’approfondir notre compréhension comme quoi le pouvoir de la Torah n’est pas déconnecté de la réalité et ne se limite pas aux individus isolés dans des tentes d’étude. L’influence de la Torah imprègne tous les aspects de notre existence et joue un rôle vital dans la sécurité de notre peuple et de notre terre.

Alors que Essav s’appuyait sur l’alliance de l’épée, symbolisant sa dépendance à l’égard de la force physique, la force de Yaakov réside dans la puissance de sa voix. C’est une voix qui continue de résonner encore même lorsque nos mains sont obligées de prendre les armes – « mains de Essav ».

La voix de la Torah et celle de la Téfilah sont nos meilleures garanties de victoire. Cette profonde vérité a également été perçue par le prophète des nations, Bilam, qui conseilla à ceux qui le consultèrent de visiter les synagogues et les maisons d’étude. Il comprenait que si l’on y trouvait des enfants passionnément engagés dans l’étude de la Torah, alors le triomphe serait insaisissable (Berechit raba).

En cette période, une immense responsabilité repose sur nos épaules : celle d’amplifier la voix de la Torah avec une puissance accrue. Le Zohar interprète le verset de la chira « Ta droite, Éternel, est insigne par la puissance » (Exode 15:6) comme symbolisant la force de la Torah, et à travers cette force, se réalise la fin du verset : « Ta droite, Éternel, écrase l’ennemi ».

Pendant la guerre de conquête, Yéochoua bin Noun et le peuple d’Israël ont été critiqués pour avoir apparemment négligé l’étude de la Torah, au milieu de leurs batailles contre le peuple de Yéricho. En réponse à cette critique, nos sages expliquent que Yéochoua se plongeait pendant la nuit dans les « profondeurs de la ‘Halakha » (Sanhhedrin 44b). L’intention de nos sages en mettant l’accent sur les « profondeurs de la halakha » est de transmettre que l’engagement dans l’étude de la Torah pendant la guerre doit transcender la compréhension superficielle.

Tout comme un combattant doit se débarrasser de ses couches extérieures et plonger au cœur de son être pour puiser dans sa force intérieure, les individus absorbés par l’étude de la Torah doivent également aller au-delà de la compréhension superficielle et plonger dans les profondeurs de la loi juive, en explorant les subtilités de la halakha.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.