Parachat Emor – Le Cohen, en retrait ou au centre du peuple ?

Parachat Emor – Le Cohen, en retrait ou au centre du peuple ?

En méditant sur les principales lois du Cohen en général et du Cohen Gadol en particulier, on peut remarquer un certain paradoxe. D’une part, il est au service du peuple et a pour tâche d’assurer l’offrande de leurs sacrifices. C’est donc lui qui amène l’expiation au peuple, d’une manière que les Sages le considèrent comme l’intermédiaire d’Israël.

D’autre part, il est séparé du peuple et coupé de la vie sociale. Il n’est pas impliqué dans la vie professionnelle sans même être soucieux de son gagne pain, car il se nourrit de Teroumot et Maasserot et d’autres dons venant du peuple. Il n’a pas de part dans la partition des terres. Il ne s’occupe pas des morts même en ce qui concerne ses proches comme dit le verset « Il n’approchera d’aucun corps mort; pour son père même et pour sa mère il ne se souillera point, et il ne quittera point le sanctuaire » (vaykra 21;11). Il n’épouse pas de femme veuve ou divorcée. De cette façon, il n’est pas impliqué dans les peines et les tourments de la vie. En bref, le Grand Prêtre est une entité distincte, il est le seul à pouvoir entrer dans le Saint des Saints à Yom Kippour.

Mais dans un regard plus profond, il semble que cette séparation du Cohen, est l’expression même de son attachement au peuple. Il ne s’agit pas d’une suprématie le détachant de l’assemblée, mais au contraire cet écart lui permet d’être inclusif de toutes les facettes du peuple, comme l’exprime le verset « Et Aharon portera sur son cœur, lorsqu’il entrera dans le sanctuaire, les noms des enfants d’Israël, inscrits sur le pectoral du jugement » (Chemot 28;29).

Il est impossible d’être le délégué de la nation entière et porter toutes les âmes d’Israël, sans créer un certain détachement où une certaine hauteur. Seul en s’extrayant d’une conformité sociale et en s’élevant par rapport à l’assemblée, le Cohen pourra être englobant et sera en mesure de ressentir l’intégralité de la nation.

Il existe deux types de séparation, le début et le centre. De la même façon que le début de chaque chose se distingue du reste, comme l’aîné de famille, le début d’année, les prémices d’une production ou autres, ainsi tout centre se démarque comme étant unique et particulier, il est le seul point à égale distance des extrémités. Si le début permet une suite et que dans tout départ est inscrit ce qui va suivre, le centre englobe et inclut. Et tout comme pour être en tête cela nécessite une séparation, pour être milieu aussi cela exige un retrait.

Être le centre nécessite paradoxalement un certain écart, et de cette façon le retrait du Cohen ne vient pas exprimer une distance mais une centralité. Les sages nous disent que Moché est comparé au cerveau du peuple et Aharon au cœur. Le cerveau ou la tête c’est le début, le cœur c’est le centre. En d’autres termes Moché amène la parole d’Hachem sur terre, il incarne le début de la relation entre Hachem et le peuple. Aharon se distingue aussi mais non pas comme un début mais comme un centre, il repend cette parole à l’ensemble du peuple.

Le Maharal de Prague révèle que le nom Aharon est composé essentiellement de lettre du milieu, à savoir Hé, Rèch et Noun. La lettre de valeur numérique cinq, est le milieu des unités, c’est-à-dire entre le Aleph et le Teth. La lettre Rèch est le milieu entre la lettre Kouf et le Tav. Et le Noun de valeur numérique cinquante est le milieu des dizaines, donc entre le Aleph et le Tsadi.  Autrement dit, les lettres de son nom indiquent qu’il est un milieu. Seule la première lettre de son nom n’est pas une lettre du milieu, il s’agit du Aleph qui est la première lettre de l’alphabet, comme pour dire que sa centralité l’oblige à être quelque peu séparé.

Aharon HaCohen était un véritable centre, comme le décrit Hillel dans Avot (1;12) « Il aimait la paix et recherchait la paix, il aimait les créatures et les rapprochait de la Torah ». Hillel nous apprend qu’Aharon ne s’est pas contenté d’aimer seulement le peuple, mais prenait peine également de faire la paix entre eux. Ainsi est rapporté dans Avot de Rabbi Nathan: lorsqu’il apprenait que des gens s’affrontaient dans une querelle, il prenait à part successivement chacun des antagonistes et les incitait à faire la paix. En les rapprochant de la Torah, il faisait la paix entre le peuple et Dieu.

Pour être un centre, il ne suffit pas d’aimer les gens, mais cela exige surtout une vision générale et une capacité à les relier et les connecter. (D’ailleurs en football lehavdil, le « milieu de terrain » est un joueur capable d’avoir une vision générale et de créer des liaison entre les joueurs, et entre la défense et l’attaque. Et la réussite du jeu dépend essentiellement de lui. D’une part, son travail est singulier, mais c’est lui seul qui a la lecture de l’ensemble jeu et qui crée les liaisons).

Ce statut de « centre » est très bien représenté dans le commentaire suivant du Maharal:

A la mort de Aharon il est dit « La communauté voyant qu’Aaron avait cessé de vivre, toute la maison d’Israël le pleura trente jours » (Bamidbar 20;29). Et Rachi d’expliquer: la raison pour laquelle le verset insiste « toute la maison d’Israel « alors que pour Moché il est dit simplement « les Bnei Israel », est que la mort d’Aharon concernait également les femmes, car il renouvelait l’amour dans les couples.

Le Maharal (Gour Arié) approfondie le sujet en expliquant, que bien que Moché aussi apportait un bienfait aux femmes, car par son mérite elles pouvaient se nourrir de la Manne, seul pour Aharon les femmes ont pleuré. La raison à cela est que Aharon avait une double action. Afin des résoudre les désaccords dans les couples, Aharon ne se suffisait pas d’intervenir au sein du couple, mais il s’adressait à chacun des conjoints en alternance, il trouvait les mots pour chacun de son coté, jusqu’à ce que leur amour se renouvelle. Face à cette double action qui s’adressait aussi bien aux femmes qu’aux hommes, le verset insiste que les femmes aussi ont pleuré sa mort.

Le Cohen Gadol doit donc être un véritable centre, un médiateur entre Israël et Dieu, et un conciliateur entre les parties du peuples. Il doit être capable d’être à la fois l’intermédiaire de Dieu et du peuple.

C’est ainsi que Pin’has gagna la Kehouna par son propre mérite, comme il est dit  « Lui et sa postérité après lui posséderont, comme gage d’alliance, le sacerdoce à perpétuité; parce qu’il a pris parti pour son Dieu et procuré expiation aux enfants d’Israël » (Bamidbar 25;13). A travers son acte, Pin’has a non seulement prouvé une grande sensibilité envers la colère de Dieu, mais à la fois un sentiment profond de responsabilité envers les Bnei Israël, comme insiste le verset « Il se leva du milieu de la communauté » (ibid. 7). Sans ce sentiment de mission envers tout Israël, son acte aurait été disqualifié.

Cette approche nous permet de comprendre la lourde punition que méritèrent les fils d’Eli HaCoen, car l’irrévérence qu’ils manifestaient en accomplissant leurs tâches sacerdotales prouvait une profanation du sens même de la Kehouna. Les sages relatent qu’ils étaient manifestement insensibles faces aux personnes qui apportaient des sacrifices, en particulier aux femmes qui venaient apporter leurs offrandes suite aux naissances. Quand elles venaient, ils les faisaient attendre lourdement afin qu’elles tardent à retrouver leur mari (Yoma 9b). D’ailleurs Abayé disait que le pardon de cette faute ne viendra pas en apportant des offrandes et des sacrifices, mais uniquement en accomplissant la Torah et le ‘Hessed (Rosh Hashana 18a).

Selon ce concept, la réponse à la question de savoir comment Aharon a pu coopérer dans la faute du Veau d’or, est sans doute qu’Aharon a choisi de s’associer avec le peuple même pendant leur péché plutôt que de se séparer d’eux. Et cela, non seulement pour les empêcher de fauter ou de tenter de retarder la faute, mais surtout pour pouvoir leur apporter plus tard l’expiation. Seul celui qui comprend la personne dans son péché et ressent sa faiblesse, peut lui apporter un pardon.

Si c’est le cas, il semble que le sacrifice qu’Aaron a dû apporté lors de l’inauguration du Tabernacle pour expier le péché du veau d’or, n’était pas seulement afin de se faire pardonner pour pouvoir entamer le service sacerdotale, mais que l’essence même de la kéhouna était inscrite dans cette offrande. A travers le péché du veau d’or, Aharon a établi un lien avec le peuple même pendant sa faiblesse et sa dégradation, et c’est seulement ainsi qu’il pouvait être son intermédiaire dans le Michkan et expier pour lui.

Ainsi nous trouvons dans les commentateurs sur Avot, que lorsque Aharon apprenait qu’une personne avait commis une faute, il se liait à lui. Cela est très bien illustré dans les Avot de Rabbi Nathan (12): « il détourna de l’iniquité beaucoup de gens », quand Aharon croisait un impie, il le saluait, le lendemain lorsque cette personne s’apprêtait à transgresser un interdit, elle se rappelait de Aharon et se demandait comment allait-elle le regarder dans les yeux, et abandonnait ainsi la faute.

On peut à présent comprendre la différence profonde entre le Cohen et le Nazir (moine). Car même si nous trouvons de nombreux liens entre eux, comme dans la langue biblique où il existe pour ces deux personnages les termes de Nazir et de Kadoch, ou comme l’interdiction de se rendre impur qui est commune au deux. Malgré tout, le Nazir est considéré comme un fauteur, raison pour laquelle il a le devoir d’apporter un sacrifice à l’issue de sa Nezirout, alors que le Cohen n’est qu’un atout et un privilège  (voir également Maimonide Déot 3;1 et introduction de ‘Helek). Car si le Nazir est séparé du monde, le Cohen est lié au peuple, son écart n’est qu’au service de l’assemblée.

Prenons exemple sur le Cohen qui malgré son élévation il reste au cœur du peuple. Ou plus encore, son retrait ne vient que pour lui permettre d’être sensible au peuple entier. Sa séparation l’emmène à une centralité plutôt qu’à une suprématie, à l’image de la flamme centrale de la Ménorah. Soyons les disciples d’Aharon, qui était empathique aux Bnei Israël même dans leur dégradation, et qui était convaincu de la lumière infinie qui réside et se cache dans chaque juif.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

Comments (3)

  • md

    Très belle analyse – Réflexion instructive et originale –
    Une petite remarque si cela est possible d’expliciter :
    Je n’ai pas trop compris l’affirmation de ce principe :” Il existe deux types de séparations le début et le centre ” en quoi est-ce des séparations ?
    Merci beaucoup

    • Rav A. Melka

      Merci beaucoup. Ce que je veux dire c’est que de même que nous comprenons que le début de chaque chose se dénote du reste, comme par exemple l’aîné de famille, le début d’année qui se nomme “roch” hachana, la tête d’une course, les prémices de la récolte, ou même le début d’une droite qui se distingue comme étant l’extrémité. Et cette distinction exprime quelque part une certaine supériorité. De la même façon, le centre aussi se distingue comme étant unique et particulier, le centre d’un cercle est le seul point à égale distance de tous les extrémités du cercle, c’est un point unique. Dans un nombre impair le centre est unique (dans un nombre pair il n’y a pas de centre), comme le centre de la ménorah. Le centre du monde est bien Erets Israel, ou plus exactement le Beit Hamikdach. Les sages donnent de l’importance aussi bien sur les prémices que sur le centre: la Torah, Israel et Bikourim sont les prémices dans ce monde, La terre d’Israel et le beit hamikdach sont le centre. L’idée que je veux faire passer est que pour être un centre, paradoxalement il faut créer un certain écart, et donc le retrait du Cohen ne vient pas exprimer une distance mais une centralité. Chabbat Chalom.

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