Parachat Béhar – Chemita et Yovel: Halte ou Destination

Parachat Béhar – Chemita et Yovel: Halte ou Destination

La paracha de Béhar traite des lois relatives aux années saintes de Chemita et Yovel. Ces années là sont évoquées également dans la paracha de Be’houkotaï, mais dans un contexte assez dur, celui de l’exil.  

En effet, le Texte nous met en garde en ces termes :

« Et vous, je vous disperserai parmi les nations, et je vous poursuivrai l’épée haute. Votre pays restera solitaire, vos villes resteront ruinées. Alors la terre acquittera la dette de ses chômages, tandis qu’elle restera désolée et que vous vivrez dans le pays de vos ennemis ; alors la terre chômera et vous fera payer ses chômages. Durant toute cette période de désolation, elle chômera pour ce qu’elle n’aura pas chômé dans vos années sabbatiques, alors que vous l’habitiez. » (Vaykra 26, 33-35)

Une relation très forte semble exister entre l’exil et les années sabbatiques. Nos Sages y ont d’ailleurs vu plus qu’une simple symbolique, car ils justifièrent les années de l’Exil de Babylone grâce à l’absence de ces années de chômage. Durant les 436 années du Premier Temple, 62 années de Chemita et 8 années de Yovel furent ignorées. La terre répudia ses habitants pendant 70 ans. (Cf. Rachi)

Notre réflexion portera sur un détail qui attise la curiosité du lecteur attentif.

Dans la Parachat Behar, la Chemita est nommée par le Texte comme ‘Chabbat pour D.ieu’. Cette appellation semble spécifique à cette année, car elle est absente du passage annonçant le Yovel. Pourtant, ces deux années sont saintes et se ressemblent dans leurs interdictions. Pourquoi alors cette distinction ?

De plus, dans le passage prédicateur de l’exil, ces deux années spéciales entrent dans la périphrase ‘années sabbatiques’. Comme si, dès lors que le peuple est arraché à sa patrie, le Yovel rejoint la Chemita. Comment comprendre une telle association ?

Pour répondre, il nous faut introduire une définition du Maharal de Prague expliquant la notion du Chabbat. A travers elle, il justifie l’emploi de ce mot pour désigner la fête de Pessa’h. En effet, le compte du ‘Omer se doit de débuter ‘au lendemain du Chabbat’. (Cette expression fut d’ailleurs la source de nombreux conflits entre les pharisiens et les saducéens, tout au long de notre Histoire.)

Le Maharal développe qu’il existe deux types de repos. Pour illustrer ses dires, nous pouvons concevoir l’image d’un voyageur allant vers sa destination. Sa route sera jonchée d’étapes, lui permettant de se ressourcer et de reprendre des forces pour la suite du trajet. Arrivé à bon port, il prendra un repos bien mérité, un retour au calme. Si le premier est une interruption, le second exprime l’idée de cessation. Ainsi, le Chabbat selon le Maharal ne fait qu’exprimer l’idée d’une halte, d’un moment de répit pour mieux reprendre son activité.

La Torah a donc utilisé ce terme du Chabbat en désignant Pessa’h, pour bien nous faire comprendre que la liberté acquise en cette fête ne doit pas être une finalité en soi. Atteindre le message divin par une préparation adéquate, tel est le but de cette sortie d’Egypte. Cette liberté n’est que le moyen de recevoir la Torah à Chavou’ot.

En réalité, même le jour du Chabbat ne doit surtout pas être perçu comme la destination finale, la fin de semaine. Il doit au contraire se retrouver au centre de la semaine, être une source d’inspiration pour mieux assimiler et adapter la sainteté de ce jour à notre quotidien. D’ailleurs, Mercredi est réellement le début de la semaine, l’influence du Chabbat précédent se percevant jusqu’au Mardi. (D’où la possibilité a posteriori de faire la Havdala jusqu’à ce jour.)

Ainsi, le Yovel n’est pas désigné par cette expression de ‘Chabbat pour D.ieu’Cette année représente une finalité, la conclusion d’un cycle. Cette idée peut être retrouvée chez Rabeinou Ba’hayé, qui justifie une dissimilitude de style entre le passage traitant de la Chemitah (et du Chabbat) et le passage du Yovel. Dans le premier, le style est personnel, on parle de ‘ton champ’‘ta vigne’… tandis que dans le second, le style est impersonnel, ‘les champs’‘la vigne’

Il explique cette différence en définissant l’essence de ces deux années. Si l’année de Chemita ne se trouve être qu’une halte pour mieux reprendre le travail agricole à l’issue de celle-ci, l’année de Yovel exprime l’idée de repos complet, où tout retourne à la source. Intégrer le fait que tout Lui appartient, rediriger la Création au Créateur, tel est l’essence de cette cinquantième année, de la fin du cycle naturel de la Nature. La possessivité est annulée, seul compte la conscience de Sa présence.

La Chemita est donc une halte, le Yovel est la destination. Le terme du Chabbat est donc adéquat à la Chemita, car elle entraîne une suite après elle, un retour à la normal, alors que le Yovel en est la finalité.      

Nous pouvons approfondir cette idée par les propos du Mecheh Hochma qui distingue entre la Chemitah du Yovel de la même distinction que nous trouvons entre le Chabbat et le Yom-Tov – fêtes juives. Si le Chabbat est un cycle installé depuis la création du monde, le Yom-Tov dépend de l’action humaine, sa date résulte de la fixation des mois par le Beth Din. De cette façon-là, alors que la Chemita est imposée par Dieu et rend les champs agricoles accessibles à tous quel que soit notre volonté, le Yovel dépend du son du Choffar sonné par le Beth Din. Certes dans tous les cas l’idée centrale est un arrêt, mais en réalité il s’agit de deux actions opposées. La Chemita comme le Chabbat viennent sanctifier les jours de travails, et installent ainsi une dimension spirituelle dans nos actions. Contrairement à cela, le Yom-Tov ou le Yovel sont une destination ou plus exactement un retour vers Dieu (les fêtes juives sont d’ailleurs appelées “Moed “- Rendez-vous), nous ramenons le fruit de notre travail vers Hachem. Il semble que pour cette raison-là, ils sont fixés par l’homme, car il est de notre devoir de créer cette destination et de nous tourner vers Hachem, non pas comme le Chabbat et la Chemita où c’est Lui qui se tourne vers nous afin de nous sanctifier.

Cependant, en temps d’exil, où le peuple juif se retrouve déraciné de sa Terre, le Yovel prend un autre sens. Quand le Choffar annonçant cette année si importante se retrouve muet par le silence du peuple annonciateur, la sainteté fait défaut. Cette année qui devrait symboliser le retour vers D.ieu se retrouve être l’opposé, une parenthèse de Sa Présence. Un peuple refusant de rediriger ses possessions vers le véritable propriétaire de ces derniers aura rendu tout repos impossible. La véritable finalité est en fait eux-mêmes et non D.ieu. Le Yovel trouve un statut nouveau, restrictif, de la Chemitah. Non plus un but, mais un simple moyen.

Avec l’expulsion du peuple renégat, la Terre revendique ses Chabbatot, ses années où l’Homme prit la place du Divin…

Pour retrouver le statut de peuple libre sur sa Terre, exprimant les valeurs de la Torah, il nous faudra rendre au Yovel son véritable statut, l’extirper du rôle emprunté d’un simple repos chabbatique, pour restituer son essence divine, celle d’un retour au Créateur…  

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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