Dans la paracha de cette semaine, nous découvrons les tensions entre Itshak et les Philistins. Ces derniers, ayant obstrué les puits qu’il avait creusés, le mettent à rude épreuve. Mais lorsque le roi des Philistins, Aviméleh, reconnaît les bénédictions dont bénéficie Itshak, il sollicite un pacte de paix avec lui, comme le mentionne le texte : « Qu’il y ait, je te prie, une alliance entre nous, entre toi et nous, et concluons un pacte avec toi. »
Cependant, Itshak refuse de sceller une nouvelle alliance, se contentant de prêter serment : « Ils se levèrent tôt le matin et se jurèrent l’un à l’autre. Puis Itshak les renvoya, et ils partirent en paix. » Contrairement à Avraham, qui conclut à la fois une alliance et un serment, Itshak se limite à ce dernier.
Quelle différence entre alliance et serment ? La distinction entre une alliance et un serment est fondamentale. Un serment représente un engagement bilatéral, souvent lié à un accord ou un partenariat. En revanche, une alliance a une portée bien plus profonde. Selon le Ramban (parachat noah), le terme « berit » (alliance) dérive de « beriya » (création), ce qui peut être interprété comme impliquant une union complète entre les parties, comme si une nouvelle réalité était créée. Il s’agit d’un lien essentiel et indissociable.
L’alliance d’Avraham : une décision discutable ?
Concernant l’alliance que Avraham conclut avec les Philistins, les sages du Midrach critiquent sévèrement cette démarche, affirmant qu’elle a entraîné des conséquences tragiques pour l’histoire du peuple d’Israël. Le Midrach (berechit raba 54:4) rapporte ces paroles de D-ieu à Avraham : « Parce que tu as offert sept brebis sans mon consentement, tes descendants verront leur joie retardée de sept générations… De plus, sept justes parmi eux seront tués par les descendants des philistins… Et enfin, sept sanctuaires seront détruits par eux. »
Cependant, on ne peut s’empêcher de poser la question suivante : Est-il juste et raisonnable que tant de calamités s’abattent sur notre peuple à cause d’un compromis qu’Abraham a conclu ? Ne serait-il pas plus logique d’y voir le résultat des comportements et péchés des générations suivantes plutôt qu’une simple conséquence des actes d’Avraham ?
Le lien avec l’épisode de la Akédat Itshak
Le Rashbam va encore plus loin en liant la Akédat Itshak à cette alliance. Il souligne la proximité des récits et interprète les mots d’introduction « après ces événements » comme un lien de cause à effet. Selon lui, la Akéda était une réponse punitive au pacte conclu par Avraham, en contradiction avec l’injonction divine de ne pas permettre la survie des idolâtres : « tu ne laisseras pas subsister une âme » (devarim 20 :16).
Cependant, cette interprétation est difficile à accepter. Comment un acte aussi sacré et ultime que la Akéda, accomplie sur le mont Moriah dans un élan de foi absolue, pourrait-il être perçu comme une sanction ?
Afin d’apporter une perspective éclairée sur la question, je souhaiterais rapporter les propos d’un autre Midrach. Le Tana Devei Eliyahou (chap 7) rapporte que les anges se plaignirent également de cette alliance, mais D-ieu leur répondit : « Si je lui demande de sacrifier son fils unique, et qu’il accepte, cela prouvera que vous avez tort. » Cet épisode démontrera que Avraham, bien qu’ayant conclu l’alliance, avait des intentions nobles. Mais la question demeure justement de savoir comment la Akéda prouve que Avraham avait raison dans sa démarche ?
Le Meorei Or explique (dans son commentaire sur ce midrach) que, bien qu’un accord mutuel entre Israël et les nations idolâtres soit prohibé, D-ieu a reconnu la sincérité du cœur d’Avraham, qui a conclu cet accord dans un esprit de paix. En tant qu’homme avisé, Abraham cherchait à rapprocher ceux qui étaient éloignés, espérant que les voies de la paix engendreraient une influence positive. Ainsi, D-ieu lui donna un signe attestant que son cœur était pur et que son âme n’avait pas été corrompue au contact de Aviméleh, comme cela apparut à travers l’épisode de la Akédat Itshak.
Un héritage qui influencera les générations
Néanmoins, Le Tana Devei Eliyahou conclut que toutes les nations ayant asservi Israël au fil des siècles l’ont fait en raison du pacte que Avraham avait conclue avec Aviméleh. À première vue, cette déclaration semble ambiguë, car il a été clairement établi auparavant dans ce même midrach que Avraham n’a enfreint aucune interdiction, ses intentions étant, en réalité, nobles et empreintes de bienveillance.
Le Meorei Or nous explique que la cause principale des exils successifs résidait dans les péchés des générations concernées. Toutefois, le Tana Devei Eliyahou révèle ici une cause sous-jacente : la tendance, enracinée dans le cœur des enfants d’Israël, à conclure des alliances avec des idolâtres. Contrairement à Avraham qui cherchait à élever moralement ces nations, ces alliances étaient plutôt le reflet d’une déchéance, où ils s’abandonnaient aux influences des nations.
Ainsi, les malheurs d’Israël découlaient de leurs propres fautes, mais la racine de ces fautes remontait à ces alliances, qui les exposaient aux influences négatives des nations environnantes. Par ces alliances, ils adoptaient les mauvaises pratiques de leurs partenaires, ce qui entraîna les sanctions divines qui s’abattirent sur eux.
L’approche radicalement différente de Itshak
Contrairement à Avraham, dont l’attitude était empreinte d’ouverture, Itshak adopte une approche totalement différente. Avraham répond immédiatement à la demande de Aviméleh et propose même un accord avant de mentionner l’injustice subie, comme le rapportent les versets : « Avraham dit : je le jurerai. Et Avraham reprocha à Aviméleh à propos du puits d’eau que les serviteurs d’Aviméleh avaient volé » (Béréchit 21:24-25). Itshak, quant à lui, conditionne son dialogue avec Aviméleh à ses propres termes. Il refuse de discuter avant que Aviméleh n’expose ses arguments et n’admette que sa démarche repose sur un intérêt personnel. Par ailleurs, Itshak ne leur offre aucun présent, bien qu’il les accueille avec honneur.
Avraham, en homme de bien, cherchait à conjuguer la construction du peuple hébreu en terre d’Israël avec sa mission universelle de diffuser le message divin, dans un esprit de paix avec toutes les créatures de Dieu. En revanche, Itshak met l’accent sur la qualité de rigueur, qui vient limiter la bonté et lui conférer une solidité. À ses yeux, une confiance excessive dans les promesses humaines, dans un monde imparfait où la bonté d’Avraham fait défaut, est risquée. Le rêve de paix universelle porté par Avraham est un idéal à poursuivre, mais pour y parvenir, il faut d’abord assurer notre existence dans ce monde hostile.
Itshak, un homme de paix ?
Nous savons que Itshak aussi était un homme de paix. Le Meshekh Hokhma explique que Itshak n’a pas érigé d’autel pour remercier D-ieu lorsque celui-ci lui a promis toutes ces terres, mais seulement après la seconde révélation divine quand Dieu lui dit « Je te bénirai », par le fait qu’il n’était pas correct moralement de publier la promesse divine de la terre au vu et au su de ses habitants, ce qui aurait été perçu comme une revendication sur leur territoire, troublant ainsi la paix existante.
Malgré tout, Itshak nous enseigne qu’il ne faut pas conclure d’alliance véritable et permanente avec le mal ou l’hostilité. Il est certes possible de prêter serment pour garantir des relations correctes et un engagement mutuel, mais une alliance, qui symbolise une amitié profonde, n’est pas envisageable. Ainsi, cette paracha se termine par : « Itshak les renvoya, et ils partirent en paix », et non « vers la paix ». La Guemara (Berakhot 64) explique que la bénédiction adressée à une personne vivante est « לך לשלום – va vers la paix », car elle indique un objectif, une quête perpétuelle d’élévation. En revanche, pour une personne décédée, la bénédiction est « לך בשלום – va dans la paix », marquant une fin sans avenir.
En cela, Itshak nous enseigne qu’il ne faut pas bâtir un accord avec le mal en y plaçant toutes nos attentes et nos espoirs, comme l’avait fait Avraham.
Bien que nous devions aspirer à amener le monde vers une plénitude où règnent la paix et l’harmonie, tant que nous n’y sommes pas parvenus, il est primordial, avant de nouer une alliance ou de signer un accord, d’évaluer le niveau moral de l’autre partie. Si celle-ci n’est pas à la hauteur, il est sage de se contenter d’une paix temporaire fondée seulement sur des intérêts communs.
Pour conclure
Cette section de la paracha se termine sur une note poignante, révélant qu’Itshak a choisi de nommer la ville « Beer Cheva ». Bien qu’Avraham, son père, ait déjà attribué ce nom à cet endroit, c’était en référence à un serment, un serment qui a été trahi une génération plus tard. Pour Itshak, Beer Cheva représente non pas un serment éphémère, mais le fruit de sa ténacité — c’est le septième puits qu’il a creusé, comme le souligne Sforno.
Le texte souligne avec force que le nom de cette ville est resté « jusqu’à ce jour », témoignant de l’héritage d’Itshak plutôt que de celui d’Avraham. Ce choix symbolise une affirmation profonde : ce n’est pas par des accords politiques ou des alliances fugaces que l’on bâtit un avenir, mais par la force de la détermination et de l’amour pour la terre d’Israël. Itshak, avec une résilience touchante, incarne cette volonté inébranlable de s’accrocher à son héritage, défiant les difficultés et les obstacles qui se dressent sur son chemin.