Comment la haine des Juifs est née
L’antisémitisme dans le monde a atteint des niveaux alarmants en 2024. Depuis les événements du 7 octobre, une forte augmentation des incidents antisémites a été enregistrée dans de nombreux pays. Les contenus antisémites sur les réseaux sociaux ont explosé, avec une augmentation de près de 1 000 %. Les actes de violence sont devenus une réalité quotidienne sur les campus universitaires et dans l’espace public, et de nombreuses communautés juives signalent un sentiment croissant d’insécurité.
C’est pourquoi je souhaite tirer des enseignements de la parasha sur la plus ancienne forme d’antisémitisme dans l’histoire et en apprendre davantage sur les comportements à adopter face à ce phénomène.
La contradiction entre la Haggadah et le récit de la Torah
La Haggadah de Pessa’h définit Lavan l’Araméen comme l’un des ennemis les plus redoutables du peuple juif. Contrairement à Pharaon, qui n’avait proclamé son décret d’extermination que à l’encontre les mâles, l’auteur de la Haggadah affirme que « Arami oved avi – Lavan a cherché à tout détruire », selon le verset dans Devarim (26:5).
Cependant, une lecture simple du récit de la paracha de Vayétsé ne révèle aucune dimension d’extermination physique. Dans le récit biblique, il semble que le conflit entre eux tourne autour d’enjeux financiers et personnels : Yaakov se plaint des conditions de travail difficiles et du fait que Lavan « a changé sa rémunération dix fois » (Béréchit 31:41).
Il nous faut également comprendre : au début, Lavan semblait satisfait de la présence de Yaakov et voulait même lui donner ses filles plus qu’à tout autre homme. Que s’est-il passé soudainement pour qu’il devienne un ennemi ?
Qu’est-ce qui a provoqué le changement d’attitude de Lavan ?
Il semble que le basculement dans l’attitude de Lavan se produise lorsque Yaakov exprime son désir de retourner en Terre d’Israël : « Laisse-moi partir vers mon lieu et mon pays » (Ibid 30:25). Tant que Yaakov faisait partie de la maison de Lavan, il était considéré comme faisant partie de la culture de ‘Haran, et était également perçu comme apportant la bénédiction.
Cette dynamique s’exprime lorsque Lavan justifie le mariage de Léa avant Ra’hel en expliquant que « on ne fait pas ainsi dans notre lieu de donner la cadette avant l’aînée » (Ibid 29:26). Lavan voulait que Yaakov adopte les coutumes et traditions locales. C’est une invitation implicite à s’assimiler, à renoncer à sa singularité. Contrairement à Avraham qui a quitté sa terre natale, Lavan souhaitait sortir Yaakov de la Terre d’Israël, annulant ainsi le projet divin du « Lekh Lekha ».
Mais dès que Yaakov a aspiré à revenir en terre d’Israël et à se détacher de Haran, Lavan a compris que Yaakov ne faisait pas partie de lui, mais qu’il poursuivait l’héritage d’Avraham. Le désir de Yaakov d’emmener ses épouses et ses enfants en terre d’Israël marquait, pour Lavan, une rupture définitive, non seulement sur le plan personnel, mais aussi sur les plans culturel et spirituel.
L’intention d’exterminer tout
On peut comprendre ainsi l’intention de l’auteur de la Haggadah. Lavan ne cherchait pas à assassiner Yaakov, mais à lui faire oublier sa destinée et ses racines. Si Yaakov était resté à ‘Haran, s’intégrant à la culture locale et renonçant à son retour en Terre d’Israël, il aurait perdu l’héritage d’Avraham. Telle est la signification de l’expression « il souhaitait tout déraciner », Lavan voulait extirper l’identité unique du peuple juif.
La tentative de Lavan d’« extirper tout » se manifeste dans sa volonté de transformer Yaakov en un fils de ‘Haran, dépourvu de toute singularité spirituelle. Tant que Yaakov demeurait dans la cour de Lavan, il participait à sa prospérité, comme en témoigne le verset : « Je me suis enrichi et l’Éternel m’a béni grâce à toi » (Béréchit 30:27). Néanmoins, au moment où Yaakov exprime son désir de retourner en Terre Sainte, accompagné de ses femmes et de ses enfants, Lavan comprend alors que Yaakov n’est pas simplement un serviteur fidèle, mais le continuateur de la mission d’Avraham : établir un peuple unique, profondément ancré dans la Terre d’Israël et engagé dans l’alliance divine.
Le Juif face au monde : connexion et différence
Le peuple juif possède une capacité unique, supérieure à toute autre nation, de s’intégrer aux cultures et aux peuples environnants. Cette aptitude provient du fait que la racine du peuple juif englobe les soixante-dix nations, lui conférant ainsi la capacité de se connecter à toute culture et même de la renforcer. À l’image de Yaakov dans la maison de Lavan, le Juif apporte avec lui une bénédiction : il améliore l’économie, enrichit la culture et ajoute du succès aux lieux où il réside. Le Juif peut se distinguer comme partie intégrante du monde qui l’entoure, et y contribuer de manière sans précédent.
Pourtant, cette intégration n’altère en rien son appartenance intime et profonde à son héritage propre. Le Juif, même lorsqu’il est connecté à d’autres peuples, maintient son lien intrinsèque avec le Créateur, la Torah et la terre d’Israël. C’est précisément ce qui suscite la colère des nations. Ils perçoivent le Juif comme une figure capable de s’intégrer au monde sans jamais s’y fondre complètement.
Cette combinaison singulière – la capacité de se connecter et de s’intégrer tout en restant attaché à quelque chose d’autre et de différent – ne suscite pas seulement l’étonnement, mais ébranle également la conscience des nations. Ce point, qui exprime à la fois une similarité et une altérité, ne peut être ignoré, et soulève des questions existentielles sur l’essence et la place des nations face à la dimension éternelle et immuable du peuple juif.
Aussi, lorsque le Juif commence à exprimer son appartenance à son héritage, comme par le désir de retourner en Terre d’Israël, cela est interprété comme une menace existentielle aux yeux des nations.
L’antisémitisme comme symptôme de l’existence juive
Ce phénomène est perceptible tout au long de l’histoire. À l’époque de Haman et Ahachvéroch, la haine envers le peuple d’Israël s’est réveillée après le retour à Sion. Durant la période de la Shoah, la haine a atteint son paroxysme précisément lors du processus de retour national en Terre d’Israël. L’antisémitisme, dans sa dimension la plus profonde, n’est pas liée au succès ou à l’échec du Juif, à sa richesse ou sa pauvreté. Elle ne provient ni de la droite ni de la gauche, mais de la collision avec la racine juive : la connexion entre le peuple d’Israël, sa Torah et sa Terre.
L’antisémitisme est le résultat de la conscience profonde des nations que le Juif ne peut se détacher complètement de ses racines divines. Cette haine apparaît comme un symptôme de l’existence du judaïsme, et souvent s’intensifie précisément lorsque le Juif tente d’exprimer sa singularité nationale et spirituelle.
L’antisémitisme ne crée pas le Juif, comme l’a soutenu Sartre, mais fonctionne comme un symptôme de quelque chose d’intrinsèquement profond et unique qui existe chez le Juif, et qui ne peut être saisi par des mots. On peut affirmer que s’il existe de la haine, elle témoigne de l’existence d’un judaïsme vivant et présent. Précisément pour cette raison, il existe une forme de vérité dans les propos de ce philosophe : face à la haine, l’identité intérieure ne disparaît pas, mais s’amplifie, se renforce et approfondit l’essence juive. Plus on tente de l’effacer, plus elle surgit avec une puissance démultipliée.
Plus la morale est élevée, plus la haine s’intensifie
Le récit entre Lavan et Yaakov ne traite pas d’actes antisémites violents, mais en révèle la profondeur – l’antisémitisme ne provient pas de raisons externes, mais de notre connexion unique avec le Divin. L’opposition à notre égard émane de notre destin spirituel, qui est vécu comme un séisme dans le monde.
À chaque fois qu’il semble que le peuple juif s’est intégré avec succès dans la société environnante, de nouveaux symptômes antisémites refont surface. Si autrefois on tendait à l’attribuer à l’extrême droite, aujourd’hui nous voyons clairement qu’elle apparaît également à gauche. Il n’existe pas de recette magique pour éliminer l’antisémitisme, car il n’est pas simplement une réaction externe, mais une partie intégrante de l’existence juive.
L’antisémitisme ne disparaît pas à mesure que nous tentons de ressembler aux peuples qui nous entourent ; bien au contraire – la tentative de brouiller notre singularité accentue le contraste entre notre aspect extérieur et notre identité intérieure et unique. Dans le conflit avec les Palestiniens, par exemple, même si nous nous efforçons de nous présenter comme une armée morale et un peuple humaniste, cela n’apaisera aucunement la haine dirigée contre nous. C’est précisément cette combinaison – notre connexion à l’humanité aux côtés de notre lien divin – qui suscite le ressentiment le plus intense à notre égard.
Une leçon pour les générations
Il ne nous appartient pas de chercher à plaire aux nations, de nous excuser ou de nous conformer, mais d’approfondir notre connexion au point racine du judaïsme – à notre héritage, notre foi et notre mission en tant que peuple d’Israël.
La haine n’est pas une raison de nous éloigner de notre identité ; elle est un appel à nous y ancrer davantage. Plus nous utiliserons l’opposition dirigée contre nous pour devenir des Juifs plus connectés et plus significatifs, plus nous découvrirons que l’identité juive ne fait que s’amplifier et conduire à l’accomplissement de notre mission dans le monde.