Parachat Emor, Lag Baomer – C’est du sommet que l’on contemple la splendeur de la simplicité

Parachat Emor, Lag Baomer – C’est du sommet que l’on contemple la splendeur de la simplicité

Quand la grandeur du juste le porte discrètement au-dessus du commun

En contemplant la personnalité fascinante de Rabbi Chimon Bar Yohaï et sa relation à son entourage, se dessine au premier regard le portrait d’un juste d’exception, semblant s’élever au-dessus de son peuple. Lui-même le confie dans le Talmud (Souca 49b) : « J’ai vu les ‘bnei aliya’, les hommes de haute élévation spirituelle, et ils sont bien peu nombreux. S’ils sont mille, mon fils et moi en faisons partie ; s’ils sont cent, mon fils et moi en faisons partie ; s’ils sont deux, mon fils et moi sommes ces deux-là. » Ces mots tracent l’image d’un être se percevant comme membre d’un cercle restreint d’âmes d’exception. Un épisode du Talmud Yerouchalmi (Sanhédrin 1,19) prolonge cette impression : quand Rabbi Akiva désigna son disciple Rabbi Meïr, le visage de Rabbi Chimon s’assombrit, jusqu’à ce que Rabbi Akiva le réconforte avec délicatesse : « Il te suffit que moi et ton Créateur connaissons ta valeur. »

Cette exigence se retrouve dans la conception que Rabbi Chimon se fait de l’étude de la Torah : selon lui, l’homme doit lui consacrer tout son temps, laissant à d’autres le soin des tâches matérielles. Cependant, la Guemara (Berakhot 35b) rapporte les paroles d’Abayé, qui tempère cette vision : « Beaucoup ont suivi la voie de Rabbi Yishmaël – et ont réussi ; celle de Rabbi Chimon Bar Yohaï – et n’ont pas réussi. » Ainsi, la voie d’un engagement absolu dans l’étude convient surtout à une minorité d’élus, tandis que la majorité doit rechercher un équilibre entre la spiritualité et le travail.

Le célèbre récit du Talmud (Chabbat 33b) illustre ce trait. Après douze ans passés dans une grotte, Rabbi Chimon et son fils découvrent à leur sortie des hommes travaillant la terre. Leur réaction ardente – « Ils abandonnent la vie éternelle pour se consacrer à la vie éphémère ! » – provoque la destruction, par leur simple regard, de tout ce qu’ils voient. Ce n’est qu’après une année supplémentaire d’isolement, et leur retour dans le monde, qu’ils porteront un regard plus tolérant et compréhensif sur la réalité matérielle.

Méron : De la sphère privilégiée à la ferveur populaire

Malgré ce parcours singulier, il est fascinant de constater comment, au fil des générations – et particulièrement à partir du XVIe siècle – la figure de Rabbi Chimon, d’abord réservée à un cercle restreint, est devenue un point de convergence pour tout Israël, rassemblant sages comme gens simples.

Ce phénomène culmine lors du pèlerinage sur sa tombe à Méron le jour de Lag BaOmer, où Rabbi Chimon incarne le lien direct avec le juste, l’adresse vers laquelle se tournent les prières, les détresses et l’espoir de yéchouot – une dynamique qui perdure jusqu’aujourd’hui.

La rencontre avec le monde : une leçon d’humilité

Pour tenter d’expliquer la portée de cette évolution, il convient de revenir à un épisode marquant : lors de leur seconde sortie de la grotte, Rabbi Chimon et son fils croisent un vieil homme courant à l’approche du Chabbat, portant deux bouquets de myrte, l’un pour « Zakhor » (souviens-toi), l’autre pour « Chamor » (garde) – les deux injonctions du Chabbat. À cette vue, Rabbi Chimon s’exclame en direction de son fils : « Vois combien les mitsvot sont précieuses pour Israël ! », et son cœur s’apaise.

La question se pose : Qu’y avait-il dans ce geste simple pour bouleverser à ce point Rabbi Chimon ? Et plus largement, peut-on aussi se demander : Avait-il modifié sa conception première, qui voyait dans l’engagement matériel une forme d’éloignement de la sainteté ?

Il semble que ce ne soit pas un changement fondamental de sa position, mais au contraire : c’est justement la profondeur de son engagement spirituel qui a permis à Rabbi Chimon de percevoir et d’apprécier la valeur des actes simples du quotidien. Ce n’est pas en s’éloignant de ses idéaux qu’il est parvenu à cette compréhension, mais bien grâce à la profondeur et à la sincérité de sa démarche originelle.

« Tu es le Chabbat de la semaine ! »

Le Zohar (Tome 3, 144) rapporte que ses disciples surnommaient Rabbi Chimon « le Chabbat de la semaine », tant il incarnait la séparation du monde matériel au profit de la spiritualité. Pourtant, en voyant ce Juif simple s’empresser vers le Chabbat, Rabbi Chimon découvrit une vérité nouvelle : la grandeur d’un homme ordinaire, qui, tout en travaillant la semaine, préserve dans son cœur une étincelle de sainteté. À ce moment, il comprit que ce travailleur, dont le labeur fait partie intégrante de la vie, est celui qui donne au Chabbat toute sa profondeur, alliant « Zakhor » et « Chamor », le sacré et le profane, et révélant ainsi la valeur du geste quotidien lorsqu’il est illuminé par la sainteté des mitsvot.

En effet, « Chamor » fait allusion à l’absence de travaux pendant Chabbat, une dimension que Rabbi Chimon, retiré du monde matériel, entretenait en fait toute la semaine. De ce fait, le goût particulier de cette abstention – le « Chamor » propre au Chabbat – n’était donc pas ressenti avec la même intensité chez lui.

Rabbi Chimon n’a pas délaissé sa position initiale ; il l’a, au contraire, sublimée et enrichie. Car c’est précisément lorsque le Chabbat infuse sa lumière dans les jours de la semaine et éclaire la réalité quotidienne qu’il révèle pleinement toute sa dimension : la véritable perfection du service de l’homme, née de cette harmonie subtile entre ciel et terre, spiritualité et matérialité, « Zakhor » et « Chamor ».

La valeur d’une personne se mesure-t-elle à son apparence ?

À la lumière de ce qui précède, on peut considérer autrement l’interdiction faite aux prêtres porteurs d’un défaut physique de remplir leur service dans le sanctuaire, telle qu’énoncée au début de notre paracha. Cette règle soulève une question éthique : un défaut extérieur diminue-t-il la valeur d’un individu ? L’apparence physique reflète-t-elle la véritable valeur d’une personne ? Pourquoi une telle distinction envers ceux qui portent un handicap ?

Cependant, comme l’expliquent le Séfer Ha’hinoukh et le Rambam (Guide des Égarés), cette interdiction n’est pas le signe d’un manque de considération pour la personne ou la sainteté du Cohen, mais relève d’un principe symbolique. Le Mikdach, lieu suprême de sainteté, se veut le reflet de la perfection, et cette perfection extérieure devient le symbole d’une perfection spirituelle idéale. Le Cohen atteint dans son corps n’a rien de moins sur le plan intérieur ; il n’est simplement pas appelé à incarner visiblement cet idéal. D’ailleurs, seuls les défauts apparents sont disqualifiants (Rambam Biat Mikdach 6,7), ce qui montre bien qu’il s’agit de l’aspect et non de l’essence.

À partir de ce que nous avons développé, nous pouvons aller plus loin. C’est précisément en parvenant à une véritable maturité spirituelle que l’on devient capable de reconnaître la valeur et la beauté que recèlent aussi le manque et l’imperfection. Plus on s’élève dans la sainteté, plus il devient évident que la dignité humaine n’est aucunement liée à l’apparence extérieure. À l’image de Rabbi Chimon Bar Yohaï qui, après des années de quête spirituelle, a su découvrir la richesse de la simplicité et du quotidien, la Torah nous enseigne que la perfection extérieure n’est pas une condition à la perfection intérieure ; il arrive même que ce soit à travers l’imperfection que se révèlent de nouvelles profondeurs et beautés de la sainteté.

Le récit de Rabbi Elazar et l’homme « laid »

Cette idée trouve un écho dans la célèbre histoire de Rabbi Elazar (Taanit 20).

Après avoir passé une longue période de croissance spirituelle et d’étude à la yeshiva, il croisa un homme dont l’apparence lui sembla particulièrement disgracieuse. Rabbi Elazar lui parla durement en disant : « Homme vide, que tu es laid ! Est-il possible que tous les habitants de ta ville soient aussi laids que toi ? ».

Comment comprendre qu’un érudit puisse se montrer si blessant envers un inconnu à propos de son apparence ? Et pourquoi supposer que toute la ville est ainsi ?

Certains commentateurs (voir Ein Yaakov) expliquent qu’il ne s’agit pas nécessairement de l’aspect extérieur, mais du ressenti de l’érudit lorsqu’il sortait dans le monde de l’action après une longue période passée dans le monde spirituel. Après avoir atteint des sommets de sainteté, tous les aspects matériels lui semblaient alors soudainement « vides », « laids », dépourvus d’élévation. Dans cet élan d’exaltation, Rabbi Elazar avait du mal à percevoir la beauté et le sens de la vie active et matérielle.

La réponse de cet homme – « Va donc t’en plaindre à l’Artisan qui m’a fait » – bouleverse Rabbi Elazar. Il comprend alors que la valeur d’un être humain ne se mesure pas à l’aune de la spiritualité ou de la beauté extérieure, mais à celle de sa place unique dans l’œuvre de la Création.

Rabbi Elazar tire de cette leçon une maxime précieuse : « Que l’homme soit toujours souple comme le roseau et non dur comme le cèdre. » La vraie grandeur dans l’étude de la Torah ne réside pas dans la rigidité ou l’arrogance, mais dans une humilité profonde, capable de reconnaître la valeur de chacun, même dans le monde de l’action.

Il faut de la grandeur pour percevoir la beauté des gestes invisibles

En définitive, le véritable Talmid hakham aspire à grandir dans la Torah jusqu’à posséder les outils qui lui permettront de revenir au monde concret, d’affronter la routine et de l’élever. Tant qu’il se croit séparé de la réalité matérielle, il n’a pas encore achevé sa maturation spirituelle.

Ainsi se dévoile le secret : c’est précisément du sommet de sa grandeur spirituelle, depuis cette vie apparemment détachée des pesanteurs matérielles, que Rabbi Chimon sut reconnaître la noblesse discrète de l’homme simple plongé dans l’action quotidienne. Tel le Chabbat, couronne de sainteté qui ne prend tout son éclat qu’à la lumière des jours ordinaires — lesquels, en retour, puisent leur sens dans la lumière du Chabbat — Rabbi Chimon, par son attachement absolu et sans concession au monde de l’esprit, fut le seul à saisir, avec une délicatesse véritable, la beauté et la force silencieuse qui habitent les gestes humbles de l’homme au quotidien.

Tant qu’une personne n’a pas véritablement construit et démontré une fidélité profonde aux valeurs de l’esprit, l’estime pour l’action peut paraître pour un compromis ou de l’abandon. Seul celui qui vit pleinement et sincèrement la quête spirituelle sait discerner la grandeur cachée dans les gestes du quotidien. Tel Rabbi Chimon, qui, du sommet de son élévation, pouvait s’émerveiller et dire : « Comme les mitsvot sont chères à Israël » — non par renoncement, mais parce que la lumière de l’esprit révèle toute la splendeur du monde de l’action.

Ainsi, la figure de Rabbi Chimon rayonne précisément parce qu’elle unit la hauteur spirituelle et la grandeur du quotidien, offrant à chaque Juif, sage ou simple, une place auprès du juste. En lui, tout Israël trouve un point de rencontre, une adresse pour ses prières et son espérance, jusqu’à aujourd’hui.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.