Chavouot – Matan Torah : Savoir Recevoir

Chavouot – Matan Torah : Savoir Recevoir

Entre Rout et Orpa

Lors de la fête de Chavouot, nous avons coutume de lire la méguila de Rout, qui raconte l’histoire de la conversion de Rout la Moabite et la bonté exceptionnelle qu’elle manifesta envers Naomi.

Mais je voudrais m’arrêter sur la différence entre le comportement de Rout et celui d’Orpa. Quand Naomi, leur belle-mère, décide de retourner à Beth-Lékhem, toutes deux font face au même dilemme, mais chacune réagit différemment. Orpa, malgré son amour pour Naomi, retourne vers son peuple et ses dieux, tandis que Rout s’attache à Naomi avec détermination et amour profond, sans savoir ce que l’avenir lui réserve, et prononce ses paroles immortelles : “Car où tu iras j’irai… ton peuple sera mon peuple et ton Dieu mon Dieu”.

Qu’est-ce qui cause cette différence ? Comment comprendre que deux femmes, qui ont vécu la même perte et aiment leur belle-mère Naomi, réagissent ainsi de manière si différente ? Qu’avons-nous trouvé chez Rout qui n’existe pas chez Orpa ?

Pour comprendre cette différence, nous devrons d’abord comprendre un principe fondamental qui apparaît dans le don de la Torah – le principe du “donneur” et du “receveur”.

Matan Torah – le jour du donneur et le jour du receveur

Lorsqu’on fait le compte des jours qui séparent la sortie d’Égypte du don de la Torah, on s’aperçoit que celui-ci eut en réalité lieu le 51ᵉ jour de l’Omer. En effet, les enfants d’Israël sont sortis d’Égypte un jeudi, et le don de la Torah a eu lieu un chabbat. Dès lors, une question célèbre se pose, soulevée notamment par le Magen Avraham : pourquoi célébrons-nous Matan Torah le cinquantième jour de l’Omer, si en vérité le don de la Torah eut lieu le lendemain, le cinquante-et-unième jour ?

Le Maharal explique selon la Guemara que Moché ajouta un jour de son propre chef. C’est-à-dire qu’en principe, le don de la Torah devait avoir lieu le 50e jour, et fut reporté au 51e jour.

Mais le Maharal explique qu’il ne faut pas comprendre cela comme un report de date, mais qu’il faut faire une dichotomie entre le donneur et le receveur. Le don de la Torah du côté du donneur, qui est le Saint béni soit-Il, reste au 50e jour, tandis que du côté du receveur, qui sont les enfants d’Israël, ils reçurent le 51e jour. C’est-à-dire que le receveur n’a pas reçu le jour du donneur.

Certes la Torah fut donnée à l’homme, mais elle vient d’une source supérieure et transcendante, et l’homme ne peut pas être et se connecter au jour du donneur.

Mais si c’est ainsi, la question se pose : pourquoi alors célèbre-t-on aujourd’hui Chavouot le cinquantième jour et non comme au moment de la sortie d’Égypte le 51e jour ?

On pourrait proposer une réponse qui donne à la fête de Chavouot une dimension nouvelle : entre-temps s’est produit un événement qui a transformé l’humanité – le don de la Torah. À l’époque de la sortie d’Égypte, il fallait un jour supplémentaire pour que le peuple soit prêt à recevoir la Torah. Mais aujourd’hui, puisque la Torah est déjà présente en nous, inscrite dans notre identité, nous pouvons nous reconnecter directement au jour du Donneur, dès le cinquantième jour. Le délai qui était autrefois nécessaire n’a plus lieu d’être : la Torah est déjà là, intérieure, vivante, et nous permet de revivre ce moment dès que le temps spirituel y est propice.

Le principe qui émerge ici est très important : il y a l’aspect du donneur et l’aspect du receveur, et ils ne se produisent pas nécessairement au même moment. Ce principe s’exprime dans d’autres aspects du don de la Torah.

Les deux tables comme symbole du donneur et du receveur

En réalité, il faut aller plus loin que la simple distinction entre le jour du Donneur et celui du receveur. Car au moment du don de la Torah, nous n’avons pas seulement reçu en tant que receveurs — nous avons reçu le Donneur Lui-même. Un éclat de Son essence, de Son aspect de Donneur, s’est déposé en nous. Ainsi, ce que nous avons reçu, ce sont deux choses : l’aspect du receveur, et l’aspect du donneur.

C’est pourquoi nous avons reçu les deux tables de l’alliance. Car on pourrait demander pourquoi deux et non une ? Et le Midrash répond : correspondant au masculin et féminin ou correspondant au ciel et à la terre. En d’autres mots, correspondant au donneur et au receveur.

La première table est la table par laquelle, on se connecte à l’aspect du donneur – on se connecte à la foi en Dieu, au Sabbat, etc. Tandis que la seconde table est comment recevoir cela dans notre monde matériel, et la réponse est : seulement par les relations entre l’homme et son prochain. La socialité est ce qui porte l’aspect divin sous forme de corps et de matière.

C’est pourquoi Matan Torah est divisé en deux parachiot distinctes. La paracha de Yitro se termine par l’injonction : « Tu ne feras pas de dieux d’argent ni de dieux d’or… » — un rappel solennel de notre relation directe avec Dieu, du lien entre l’homme et le Donneur. Puis vient la paracha de Michpatim, qui traite des lois entre l’homme et son prochain, des détails concrets de la vie sociale. Et ce n’est qu’après cela que la Torah conclut le récit du don de la Torah — avec l’alliance, l’autel, le sang, et la déclaration solennelle : « Na‘asseh venishma ».

Cela reflète profondément ce que nous avons reçu : non seulement la parole divine d’en haut, mais aussi sa capacité à descendre et à se traduire dans la vie quotidienne, dans l’éthique, dans la société. Nous avons reçu les deux dimensions — celle du Donneur transcendant, et celle du Donneur immanent en nous, qui s’exprime dans notre manière de vivre, de juger, de respecter l’autre. C’est cela, les deux tables de l’alliance.

Ce sujet du donneur et du receveur s’exprime de manières supplémentaires dans la Torah et dans nos vies spirituelles.

La Torah du point de vue du “receveur”

Cette double dimension de la Torah se reflète aussi dans les bénédictions que nous récitons autour de l’étude de la Torah. Avant l’étude, nous bénissons Dieu en disant : « Béni sois-Tu… qui donne la Torah » — l’accent est mis sur le Donneur, sur Celui qui parle, qui transmet, qui révèle. Après l’étude, nous ajoutons : « …et la vie éternelle Il a plantée en nous ». Ici, le centre de gravité se déplace vers ce que nous avons reçu — une vie, une intériorité, une Torah plantée en nous comme une graine vivante.

C’est en fait le reflet des deux visages de la Torah : la Torah écrite, qui vient d’en haut — et la Torah orale, qui se développe en nous, dans notre langage, notre intelligence, notre vie.

C’est dans cet esprit que le Maharal explique que le livre de Dévarim appelé Michné Torah est une répétition de la Torah mais du point de vue du receveur. C’est pourquoi il est écrit que ce livre fut dicté par la bouche de Moché – ce qui ne signifie pas que Moché l’inventa, mais c’est la même Torah du point de vue du receveur.

Pour cette raison nous trouvons des différences comme par exemple concernant le Sabbat : dans la paracha de Yitro il est écrit zakhor – souviens-toi” tandis que dans Vaethanan il est écrit chamor – observe”. “Souviens-toi” c’est la sanctification, c’est la compréhension qu’il y a un “donneur”, qu’il y a quelque chose au-delà de notre compréhension. Tandis qu'”observe” vient commander l’interdiction du travail qui appartient à la matérialité, au receveur.

Ce principe du donneur et du receveur n’est pas limité seulement au monde spirituel, mais il caractérise tous les aspects de la vie.

Donneur et receveur dans tous les aspects de la vie

Le concept de donneur et de receveur caractérise le masculin et le féminin : la nature de l’homme est de donner, celle de la femme de recevoir. Dans la Kabbale : l’homme est souvent vu comme le donneur (mashpia), et la femme comme la receveuse (mekabelet). On dit d’ailleurs que la femme reçoit les invités avec plus d’attention. Il ne s’agit pas d’une réception passive : la femme reçoit pour transformer, enrichir, faire fructifier.

En réalité, cela ne concerne pas uniquement l’homme et la femme : tout dans le monde se divise en donneur et receveur — la pluie et la terre, la prise et la prise femelle, etc. C’est ainsi seulement que le monde peut s’unifier ; il n’existe pas d’autre moyen d’unifier sans cette relation.

Or, nous vivons aujourd’hui dans un monde qui ne valorise que l’égalité, la mise sur un même plan. Le concept de « receveur » est perçu comme une forme de faiblesse — ce qui nourrit par exemple l’idéologie féministe.

Mais il faut d’abord comprendre que cette répartition entre donneur et receveur n’est pas une obligation rigide liée forcément au genre masculin ou féminin. Ce principe de donneur-receveur existe de manière fondamentale, bien avant toute considération de genre, même si dans la pratique cette répartition se manifeste souvent ainsi. Il est surtout essentiel de saisir qu’aucun de ces deux rôles n’implique domination ou supériorité : ils sont les deux aspects complémentaires et indissociables d’une même réalité, comme les deux faces d’une pièce.

Hessed : savoir donner mais aussi recevoir

Nous avons l’habitude de définir le ‘hessed comme la bonté ou la capacité de donner. De même, on pense que l’amour naît du don — comme l’explique longuement le Rav Dessler, selon qui le fait de donner crée l’attachement. Mais on oublie souvent de souligner l’autre aspect fondamental : la réception n’est pas moins importante.

La véritable bonté comprend deux mouvements indissociables : donner et recevoir. L’un ne peut exister sans l’autre. À la racine, il s’agit d’une seule et même chose : accepter la réalité de l’autre. Si je reconnais que l’autre existe, alors je suis prêt à lui donner pour combler son manque — mais dans la même mesure, je dois aussi croire qu’il peut m’apporter quelque chose, combler mon manque.

Il y a des personnes qui aiment donner mais refusent de recevoir : cela révèle qu’il ne s’agit pas toujours de vraie bonté. Car donner véritablement, ce n’est pas satisfaire un besoin personnel d’être généreux ou fort — c’est se tourner vers l’autre. Et si c’est réellement pour l’autre, alors il faut aussi reconnaître que l’autre peut me faire du bien, que je peux être récepteur à mon tour.

Symbole de l’amour : les Chérubins

C’est pourquoi le symbole de l’amour dans le Temple sont “les Chérubins” qui avaient des visages d’enfant. Pourquoi ? Car pour aimer il faut voir l’autre comme un enfant et soi-même comme un enfant :

L’autre comme un enfant – c’est-à-dire que je ne donne que sans calcul comme je donne à un enfant. Et moi-même comme un enfant – c’est-à-dire que j’ai besoin de l’autre et que l’autre a quelque chose à m’ajouter et à me compléter, comme un enfant qui dépend entièrement de l’autre

Savoir recevoir c’est accepter le “donneur”

Qu’est-ce que cela signifie réellement, être receveur ? Que veut dire savoir recevoir ?

Souvent l’impossibilité de recevoir est parfaitement légitime. Un petit enfant, par exemple, refuse parfois de prendre la main de son père — non pas par révolte, mais parce qu’il cherche à affirmer son autonomie. De même, une personne en colère ne veut pas entendre de paroles d’apaisement — non pas parce qu’elle rejette l’autre, mais parce que “on n’apaise pas quelqu’un au moment de sa colère” : il y a des moments où l’âme a besoin de rester fermée, pour se protéger ou se construire.

Le vrai problème commence lorsque nous voulons recevoir, mais refusons que cela vienne de l’autre. Il s’agit là d’un blocage plus profond : le receveur veut recevoir, mais refuse de reconnaître en l’autre un donneur. Il ne peut pas lui accorder cette place, il ne peut pas honorer le don parce qu’il ne veut pas se relier à celui qui donne.

Recevoir véritablement, c’est donc accepter que l’autre me donne. C’est lui faire une place, lui reconnaître une part dans ma construction. Et c’est peut-être là le cœur même de toute relation humaine.

Exemples de la vie

Un exemple concret et familier illustre bien cette dynamique : les hommes, en général, hésitent à demander de l’aide pour trouver leur chemin – bien qu’ils soient intéressés par l’information elle-même (et ils utilisent Waze sans problème, quand il n’y a pas de “donneur” humain impliqué), ils ont du mal à permettre à une autre personne d’être dans le “rôle du donneur” pour eux. Les femmes ont généralement moins de difficulté avec ce sujet.

De manière similaire, il arrive qu’une personne refuse un cadeau en disant que “c’est trop cher pour elle”.
En réalité, elle désire le cadeau, mais éprouve une gêne à l’idée que l’autre dépense de l’argent pour elle. Autrement dit, ce n’est pas le cadeau qu’elle refuse, mais le fait que l’autre soit placé dans le rôle de “donneur”.

Un autre exemple familier : quand un homme fait la vaisselle ou accomplit une autre tâche ménagère, il dit parfois à sa femme “je t’ai fait la vaisselle”, et cette réaction peut irriter beaucoup de femmes. La raison profonde est qu’il ne l’a pas fait “pour elle” dans son essence – pourquoi le formule-t-il comme “pour toi” ? Les femmes ne formulent généralement pas ainsi leurs actions ménagères. Ici aussi la femme est heureuse que la vaisselle soit faite, mais mais elle n’a pas forcément envie d’accorder à l’homme le statut de “donneur” dans ce sujet.

Cependant, peut-être a-t-elle raison quand elle est dérangée par cette phrase, car ce qui la gêne vraiment, c’est que lui aussi a cette responsabilité, tout comme elle – il ne l’a donc pas fait pour elle au sens direct ? Mais ici se cache une idée plus profonde : ce n’est pas seulement l’intention de l’acte qui compte, mais la manière dont il est reçu. C’est la réception, cette capacité à accueillir le geste comme venant de lui, qui transforme l’action en un véritable don. Quand la femme reçoit l’action “de lui” – il recommencera à le faire. L’homme cherche un réceptacle qui lui permettra d’être donneur de manière significative.

Un autre exemple qui approfondit le sujet : quand une femme reçoit des fleurs ou un cadeau mais sa réaction n’est pas particulièrement enthousiaste. La raison profonde de cela pourrait être qu’elle souhaite recevoir justement ce dont elle a besoin ou ce qu’elle désire, et pas nécessairement ce que le côté donneur a choisi de donner. C’est un degré plus avancé dans l’apprentissage de l’art de la réception.

Il ressort que “recevoir” c’est reconnaître que l’autre est “donneur” – c’est-à-dire qu’il y a chez moi un manque que seul l’autre peut compléter. C’est cela recevoir la Torah : seulement par la reconnaissance du “donneur”, c’est-à-dire du Saint béni soit-Il. C’est pourquoi le jour du donneur est séparé – d’abord je dois intérioriser qui est et ce qu’est le donneur, et seulement après intériorisation je pourrai recevoir.

Rout comme exemple parfait de vrai receveur

On voit cet élément très fortement chez Rout – elle sait reconnaître que l’autre est donneur, elle sait même plus que cela: créer le donneur.

le mariage avec Boaz

Premièrement, toute l’histoire du mariage avec Boaz est pour racheter et perpétuer le nom du mort. Rout ne fait cela en aucune façon pour elle-même mais elle est entièrement dans la position de receveur, elle met tout son être à disposition.

Boaz s’enthousiasme de sa bonté de ne pas chercher quelqu’un de son âge, il voit en elle une véritable receveuse. Rout de son coté reconnaît que Boaz a quelque chose à donner – il est un vrai “donneur” comme on le voit avec le glanage dans le champ.

La vraie bonté de Rout

Ce qui est appelé dans la meguila “Hessed (bonté)” qui caractérise particulièrement Rout, il semble que c’est exactement la force de recevoir, comme nous l’avons expliqué – la bonté donner mais aussi recevoir.

Rout dit “Pourquoi ai-je trouvé grâce à tes yeux pour que tu me reconnaisses alors que je suis étrangère” – c’est-à-dire qu’elle se met complètement dans la situation où elle a un “manque” d’être étrangère, et que si Boaz la prend il devra combler entièrement ce manque.

La manière dont elle glane

Même dans la manière dont elle glane les épis s’exprime ce même principe : premièrement elle demande permission malgré qu’elle soit pauvre et dit “Je glanerai s’il te plaît et je ramasserai”, et elle glane aussi moins que ce qui lui est permis.

Tout cela montre exactement qu’elle est prête à recevoir, mais d’abord par la reconnaissance qu’il y a un “donneur”. Elle ne “prend” pas mais elle “reçoit”. En bref, Rout est une receveuse active – une receveuse qui crée le donneur.

Cependant il y a chez Rout encore d’autres niveaux de réception qu’il vaut la peine d’examiner.

Niveaux supplémentaires de réception chez Rout

Et en vérité dans la meguila de Rout on peut apprendre de Rout encore d’autres niveaux de ce que c’est que recevoir :

Pudeur comme intériorité

Par exemple la pudeur de Rout comme décrit dans le Talmud – comment elle glanait. Car la pudeur indique l’intériorité, et l’intériorité est ce qui devient “récipient” – une personne sans intériorité n’a pas de récéptacle.

Réception totale

De plus, Rout reçoit d’abord le judaïsme, avant même de se marier comme on le sait. Elle reçoit de manière totale jusqu’à ce qu’elle dise “seule la mort nous séparera”. De cela on voit encore que recevoir ne peut être que de manière totale.

Et aussi Rout prend les épis du matin au soir dans une Torah totale. En vérité c’est aussi l’essence du receveur – se mettre complètement comme récipient pour le donneur.

Rout comme origine de la royauté

De plus, de Ruth est issu David HaMelekh. Et, comme le révèle la Kabbale, la Malkhout (la royauté) est le « receveur » par excellence : c’est la dernière sefira, celle qui ne fait que recevoir sans donner en retour.

Cette dimension représente l’aspect le plus matériel de la réalité — la royauté est enracinée dans la matérialité, et incarne la capacité de recevoir la divinité dans sa forme la plus concrète, de faire descendre le divin jusqu’au monde matériel.

C’est précisément ce rôle, si particulier, qui revient à la femme en général : elle sait intérioriser la divinité dans la matière, en la recevant et en la portant au cœur du monde concret.

Vivre dans le présent

Cela est également lié au fait que la femme intériorise la foi dans le présent tandis que l’homme est plus dans l’avenir. L’homme crée des aspirations etc., et la femme vit le quotidien, élève des enfants etc. Un homme sans avenir perd la foi, et Rout nous a prouvé que même sans avenir – car Naomi lui dit qu’elle n’aura pas d’enfants et qu’il n’y a pas d’avenir pour elle – malgré tout elle vit la foi très fortement dans le présent et ne peut bouger. Le receveur incarne l’expérience au plus haut degré du présent. En effet, tandis que le don tend naturellement à se projeter vers l’autre ou vers l’avenir, seul le receveur est pleinement capable de vivre dans l’instant présent, d’accueillir ici et maintenant.

La différence profonde entre Rout et Orpa

Dès lors on peut dire que c’est ce qui différencia Rout d’Orpa :

Toutes deux connurent le judaïsme, toutes deux aimèrent Naomi, pour toutes deux le mari mourut, mais Orpa apparemment ne reçut pas vraiment le judaïsme, elle ne l’a pas incarné pleinement. Et au moment de l’épreuve elle se sépara.

Tandis que Rout reçut le judaïsme dans l’aspect de vrai “receveur”. Et comme nous l’avons dit, être receveur c’est jusqu’au bout – c’est une partie d’elle, et c’est pourquoi elle ne put se séparer : “ton peuple mon peuple etc.”.

Leçon pratique : Comment réussir à être receveur

Cette difficulté à reconnaître le donneur vient souvent de notre incapacité à véritablement voir l’autre. Les différences nous font peur, car elles semblent nous menacer ; nous souhaitons inconsciemment que l’autre soit comme nous.

La grande erreur est que c’est justement à travers la différence, en la reconnaissant et en l’intégrant, que nous créons l’union et l’amour. Un excellent exemple pour illustrer cette idée est celui du “puzzle” : si nous prenons des pièces similaires, on peut les placer l’une à côté de l’autre mais il n’y a pas de connexion – cela se défait. Pour créer une connexion, créer une unité, il faut de la différence. Et non seulement cela, mais la connexion se fait justement à l’endroit de la différence – exactement ce que l’autre a que je n’ai pas, c’est ce qui causera la connexion, car la connexion vient à l’endroit où l’autre me complète.

Cette difficulté de s’ouvrir réellement à l’autre, d’accueillir sa différence et d’apprécier pleinement son altérité, découle d’un manque de confiance en soi. Lorsque la confiance en soi est absente, notre regard se ferme, et nous ne pouvons pas accueillir l’autre dans sa singularité. À l’inverse, lorsque la confiance en soi grandit, elle nous libère intérieurement, nous ouvre à la découverte de l’autre, nous permet de reconnaître en lui le donneur, d’accueillir sa différence — et enfin, de le recevoir pleinement.

En bref, pour recevoir l’autre, il faut d’abord se recevoir soi-même.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.