Parachat Kedochim – Le secret de la Kedoucha : de l’Unité vers l’Amour

Parachat Kedochim – Le secret de la Kedoucha : de l’Unité vers l’Amour

La paracha Kedochim s’ouvre par le commandement « Soyez saints, car Je suis saint, Moi l’Éternel » (Vayikra 19:2). La Torah nous ordonne d’être « saints », mais contrairement à d’autres commandements de la Torah qui sont généralement pratiques et bien définis, ce précepte semble abstrait et ambigu. Quelle est la signification de la sainteté ? Comment devons-nous comprendre cette exigence de ressembler à la sainteté divine ?

Au-delà de l’abstinence : qu’est-ce que la sainteté en réalité ?

Cette question a préoccupé les commentateurs et les philosophes à travers les générations. Les commentateurs classiques ont interprété la sainteté comme une forme d’« abstinence » – Rachi explique que cela signifie « se tenir à l’écart des relations interdites », tandis que Ramban étend cette interprétation en suggérant que nous devons nous abstenir même de choses permises, c’est-à-dire nous éloigner des plaisirs superflus de ce monde.

En effet, le concept de « sainteté » en hébreu exprime souvent la séparation et la distinction, comme nous le trouvons dans les lois du mariage (kidouchin), où la femme devient distincte et réservée à son mari, interdite aux autres.

Cependant, certains commentateurs estiment que cette explication ne couvre qu’un aspect de la sainteté. L’abstinence n’est après tout qu’une expression extérieure d’une valeur intérieure plus profonde, qui est l’essence même de la sainteté. L’Éternel est séparé du monde en raison de Son essence sublime qui ne s’accorde pas avec la matérialité mondaine – et c’est là l’essence de la sainteté.

Comme l’a demandé Rav Shimon Shkop (dans l’introduction à Shaarei Yosher), les questions de relations interdites et de plaisirs mondains ne concernent absolument pas l’Éternel, alors comment pourrions-nous ressembler à Sa sainteté en nous abstenant de ces choses ? Il est nécessaire qu’il existe une possibilité de ressembler à Dieu à travers une qualité essentielle que nous partageons avec Lui.

La sainteté comme construction de l’« Un »

Il semble que Rachi ait compris ce commandement comme une continuation de la paracha Aharei Mot, qui traite des lois sur les relations interdites. Mais on peut également le voir comme une introduction aux nombreux commandements de la paracha Kedochim. Comme l’ont dit nos Sages, « la plupart des principes fondamentaux de la Torah en dépendent », et une part significative des commandements dans cette paracha concerne les relations interpersonnelles : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », « Tu ne haïras point ton frère en ton cœur », « Tu ne resteras pas indifférent au danger qui menace ton prochain », « Tu jugeras ton prochain avec justice ». Ces commandements expriment précisément la connexion et l’unité, et non l’abstinence et la séparation.

Il semble donc qu’il existe un lien profond entre la sainteté et les commandements qui régissent les relations interhumaines.

Sur cette base, on peut proposer une définition profonde du concept de sainteté : créer « l’Un » – transformer une réalité fragmentée en unité. Nous transformer nous-mêmes en un être unifié, et transformer le peuple d’Israël en un corps uni. L’Éternel a dit à Moché avant le don de la Torah : « Vous serez pour Moi une dynastie de prêtres et une nation sainte » (Chemot 19:6). Un processus semble décrit ici : lors de la sortie d’Égypte, nous sommes devenus une « dynastie de prêtres » – serviteurs de Dieu, mais encore au pluriel, sans unité complète. Dans notre paracha, il nous est demandé d’être une « nation sainte » – au singulier. Pour être saints, nous devons être un. C’est apparemment la préparation à l’entrée en Terre d’Israël, selon les mots de l’Écriture : « Et qui est comme ton peuple Israël, une nation unique sur la terre ».

Cette idée apparaît dans les paroles du Maharal (Gour Aryeh, Genèse 28:11) dans son commentaire sur le verset « Ils sanctifieront le Saint de Yaakov ». Le « Saint de Yaakov » est l’Éternel, et le Maharal demande pourquoi Il est appelé ainsi précisément dans le contexte de Yaakov. Il explique que « ce qui est saint est ce qui ne se divise pas et est un, et Yaakov est l’essence de l’unité ». C’est-à-dire que la sainteté n’est pas seulement séparation, mais séparation issue d’une unité complète – l’Éternel est séparé du monde parce qu’Il est « Un », contrairement au monde qui est fragmenté et divisé.

C’est aussi la raison pour laquelle le Temple, lieu de sainteté, a été détruit à cause de la haine gratuite – là où il n’y a pas d’unité, il n’y a pas de sainteté.

Les commandements de la paracha : la bienveillance ne suffit pas – nous devons devenir « Un »

En effet, si nous approfondissons les commandements de notre paracha, nous pouvons identifier que les préceptes concernant les relations interpersonnelles ne visent pas seulement à améliorer notre caractère et à faire de nous des personnes morales, mais à nous unir en une seule entité. Ce n’est pas un hasard si la Torah utilise des termes comme « ton frère », « ton prochain », « ton compatriote » – qui soulignent l’appartenance au peuple d’Israël, car le but de la sainteté est de créer l’unité au sein du peuple d’Israël uniquement.

Examinons quelques exemples de la paracha qui renforcent cette idée :

Du verset « Tu jugeras ton prochain avec justice », nos Sages apprennent que nous devons juger autrui favorablement. Mais il faut se demander : sommes-nous des juges, pour devoir analyser et juger chaque action ? Il existe apparemment une troisième voie : simplement ne pas juger. Ni condamner, ni acquitter – simplement laisser faire. Pourquoi s’immiscer dans les intentions d’autrui ? C’est que la Torah ne se contente pas d’une bienveillance distante ou d’une indifférence polie. Elle ne nous demande pas d’être de « bonnes personnes » qui évitent le mal, mais des personnes connectées. Elle exige que nous ressentions que l’autre fait partie de nous. Pour cela, il faut juger, mais avec justice. C’est-à-dire avec compréhension, compassion et empathie. Tout comme une personne se juge elle-même de l’intérieur, elle est commandée de juger son prochain.

Il en va de même pour le commandement « Tu réprimanderas ton prochain », qui nous demande d’intervenir dans le comportement d’autrui en comprenant qu’il fait partie de nous.

Un autre exemple est l’interdiction de « colporter », qui selon de nombreux commentateurs s’applique même aux propos positifs sur autrui. Là encore, on peut se demander pourquoi il est interdit de faire des commérages sur une autre personne, même lorsqu’il s’agit de choses vraies et bonnes ? Le sens profond de ce commandement est que le commérage empêche la création de l’unité – celui qui voit son prochain comme un objet, comme un simple sujet de conversation destiné à nourrir ses échanges, cesse de le reconnaître comme une part de lui-même. Celui qui colporte se place ainsi en position de « journaliste », traitant la vie des autres comme une matière informative parmi d’autres, destinée à remplir les pages de son discours. La Torah nous demande non seulement de faire le bien envers autrui, mais de nous mettre à sa place, d’être un avec lui.

Les interdictions de « ne pas se venger et ne pas garder rancune » illustrent également cette idée. Pourquoi est-il interdit de se venger de celui qui nous a blessés, ou même de lui rappeler ses mauvaises actions lorsque nous lui faisons une faveur (« Je ne suis pas comme toi qui ne m’as pas prêté ») ? La profondeur de ces commandements est que dans la vengeance, nous réduisons l’autre à ses seuls actes, sans intégrer qu’il a une âme divine au-delà des actes, et fait partie de nous. En disant « je ne suis pas comme toi » dans le contexte de la rancune, nous nions précisément l’unité que la Torah cherche à créer.

C’est pourquoi le commandement « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » est dit comme continuation directe des commandements « Tu ne te vengeras point et tu ne garderas point de rancune », et non comme un verset séparé. Cette proximité nous enseigne la signification profonde de l’amour du prochain – pas seulement un sentiment positif envers lui, mais la création d’une connexion profonde jusqu’à ressentir que nous sommes un. Ce n’est pas un hasard si le mot « amour » (ahava) en guématrie équivaut à « un » (ehad) (13). Et c’est pourquoi le verset se termine par les mots « Je suis l’Éternel » – pour indiquer que pour atteindre une véritable unité, nous devons intégrer que nous avons tous une source commune.

Dans le sens le plus profond, les mots « Soyez saints car Je suis saint » expriment cette idée : soyez un, comme Je suis un.

C’est aussi le sens du sacrifice de shelamim mentionné dans notre paracha, dont mangent les propriétaires, le prêtre et l’autel, symbolisant la création de la paix et de l’unité – (shelamim signifie paix). L’interdiction du notar (reste) vient souligner le lien entre l’abattage et la consommation – que tout soit uni et connecté.

L’unité intérieure comme base de l’unité nationale

Nous pouvons maintenant comprendre les autres commandements de la paracha, dont beaucoup ont déjà été énoncés dans le livre de l’Exode, mais sont écrits ici dans un langage différent : « Chacun craindra sa mère et son père », « Observez mes sabbats », « Tu ne resteras pas indifférent au danger qui menace ton prochain », et d’autres. Ce n’est pas sans raison que nos Sages ont dit « Les Dix Commandements sont énoncés ici ». La raison de cette répétition est que si au début nous les avons reçus comme une liste de commandements séparés, dans la paracha Kedochim, nous devons leur donner une dimension supplémentaire – unifier ces commandements en un tout cohérent. C’est pourquoi ils sont écrits d’une manière plus intérieure et plus profonde, comme « Tu ne resteras pas indifférent au danger qui menace ton prochain » au lieu de « Tu ne tueras point ». Car leur but est de transformer l’être humain en un être unifié, qui sera en harmonie avec lui-même, qui ne se divisera pas en parties selon les termes du Maharal, mais dont les commandements saisiront l’essence dans sa totalité.

Il s’avère donc que pour créer une nation unie, il faut d’abord être un avec soi-même.

C’est ce qu’écrit le Sfat Emet (année 5652) sur la déclaration de Rabbi Akiva selon laquelle « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » est un grand principe de la Torah. Le Sfat Emet dit : s’il y a un grand principe, cela implique qu’il y a aussi un petit principe – c’est-à-dire un principe qui précède le grand principe. Et si le grand principe est de se connecter avec la communauté (avec autrui), alors le petit principe est de se connecter avec soi-même, que chaque commandement soit accompli avec nos 248 membres et 365 tendons.

Notre paracha nous enseigne à être un. D’abord, nous devons être un avec nous-mêmes, que les commandements saisissent toute notre essence, qu’ils dirigent nos intentions et nos pensées vers un but unique et supérieur. Ne pas être des créatures fragmentées mais complètes et unifiées avec une cohérence intérieure, où toutes les expressions de notre être sont dirigées vers une volonté unique et sacrée. Ce n’est qu’à partir de là que nous pourrons être en unité avec la communauté et devenir une « nation sainte ».

Pas d’amour sans une source intérieure commune

Parfois, nous entendons des personnes non religieuses affirmer que, bien qu’elles n’observent pas les commandements entre l’homme et Dieu, elles respectent scrupuleusement les commandements entre l’homme et son prochain, et elles reprochent même à la communauté religieuse et ultra-orthodoxe de ne pas suffisamment aimer son prochain. J’ai une fois entendu un athée dire qu’il observait méticuleusement le commandement « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Mais la vérité est que c’est une profonde erreur – il n’y a pas d’amour véritable sans « Je suis l’Éternel ». Aimer ne signifie pas seulement exprimer une affection extérieure, mais intérioriser que nous venons tous d’une même source, et cela ne peut exister que par la Torah et les commandements. Autrement, il est impossible de vraiment se connecter à l’Un. La Torah ordonne « Soyez saints car Je suis saint » – c’est-à-dire, soyez dans l’unité, seulement car Je suis Un.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.