Mon cher ami Dan,
Je n’arrive toujours pas à croire que tu nous aies quittés.
Toi qui incarnais si parfaitement la midat hagevoura – cette force de vie qui transformait chaque instant en éternité. Tu t’es battu comme un lion jusqu’au dernier souffle.
Un vrai Dan ! un vrai Yehouda ! Ces deux noms que la Torah compare au lion n’étaient pas un hasard pour toi.
Jusqu’à la fin, tu n’as jamais renoncé.
Tu ne voulais pas rater une seule téfila be-minyan.
Je te revois encore, même affaibli, même souffrant, déployant des efforts presque surhumains pour te lever, pour tenir debout pendant la Amida.
Ces dernières semaines, bien que resté parfaitement lucide, tu n’avais plus vraiment la notion du temps. Tu passais ta journée à vérifier que tu n’avais pas manqué une téfila, appelant même au téléphone malgré l’effort immense que cela te demandait.
Et ce n’est que lorsque tu avais reçu toutes les preuves, tous les détails, que tu retrouvais un peu de calme.
Tu possédais un ratson hors du commun – une volonté de fer. Quand tu voulais quelque chose, rien ni personne ne pouvait t’arrêter.
Parce que tu portais en toi un très grand emet.
Depuis le début de ta maladie, tu m’as impressionné au-delà des mots. Chimiothérapie, radiothérapie – tu traversais ces épreuves sans jamais rien laisser paraître. Une vie totalement normale, menée dans la plus grande discrétion. Comme si de rien n’était.
“J’ai trouvé un super horaire très tôt le matin pour les traitements à l’hôpital,” me disais-tu avec ce sourire qui ne te quittait jamais. “Il n’y a personne, je peux revenir m’occuper des enfants et arriver au kollel à l’heure.”
Tout seul. Toujours tout seul.
Tu refusais même notre aide, notre présence — non pas par orgueil, mais parce que tu voulais rester fort.
Fort pour toi, pour ta famille, pour continuer à vivre chaque jour avec dignité et courage.
Emet et Anava
Lorsque je pense à toi, deux midot surgissent immédiatement : Emet et Anava – la vérité et l’humilité.
Quand tu portais une vérité en toi, tu n’avais peur de personne. Jamais de honte. Tu disais ce que tu pensais et tu pensais ce que tu disais. Tu ne cherchais pas à faire plaisir – cette vérité, tu la vivais autant dans l’étude de la Torah que dans la vie quotidienne.
Tu étais d’une droiture incroyable.
Mais c’est ta deuxième vertu qui m’a le plus profondément marqué : ton humilité. Tu ne voulais jamais te mettre en avant. Jamais.
Je me souviens t’avoir supplié des dizaines, peut-être des centaines de fois pour te faire parler au beth hamidrach, toi qui étais si rempli de hokhma. Et toi, invariablement : “Je préfère entendre ce que vous avez à dire.”
Ce n’était pas de la politesse. Tu était tout le contraire de la politesse de façade. C’était la vraie humilité – écouter l’autre pour de vrai.
Malgré ton niveau si élevé, ton esprit particulièrement aiguisé, tu restais toujours émerveillé par les discours des autres. Profondément à l’écoute de chaque point de vue. Tu me disais toujours du bien des gens – tu adorais les gens. Jamais un mot de travers.
Sauf si tu pensais que c’était contre la Torah. À ce moment-là, tu redevenais un lion.
Un passionné de Hokhma
D’où vient une telle humilité ?
Peut-être c’était ta soif de hokhma – de sagesse. Tu étais un amoureux, un passionné de hokhmat haTorah.
Tu étais l’incarnation même du talmid hakham.
D’un côté, rempli de Torah – une Torah vaste, profonde, maîtrisée dans tous ses domaines. De l’autre, tu étais habité par une soif infinie d’apprendre, de découvrir encore et encore, comme si chaque mot, chaque nuance t’ouvrait un monde nouveau. La Torah faisait partie intégrante de ton être, de ta manière de penser, de parler, de vivre.
Lorsque tu souffrais ces deux dernières semaines, la seule chose qui te faisait encore sourire, c’étaient les mots de hokhma, les paroles de Torah. C’était ta vie.
Une des dernières choses que j’ai entendues de toi, sur ce lit d’hôpital, il y a une dizaine de jours, tu l’as dite avec grande inquiétude :
“Qui va transmettre la hokhmat haTorah à mes enfants ?”
Tu avais beaucoup de mal à parler, mais tu as insisté longuement. Tu voulais qu’on comprenne bien : il y a beaucoup de gens qui étudient, mais peu qui possèdent la hokhmat haTorah.
Tu es resté lucide jusqu’à la fin – toujours avec ton esprit si affûté, ton incroyable sens du discernement. Et avec ton humour aussi.
Hokhma et Anava – Un lien profond
Il y a un lien profond entre hokhma et anava.
En cette veille de parashat Béha’alotekha, comment ne pas penser au verset à la fin de la paracha :
“Et l’homme Moché était très humble, plus que tout autre homme sur terre.”
Ce n’est pas un hasard si Moché Rabbénou, le détenteur suprême de la hokhmat haTorah, était aussi l’homme le plus humble.
Le Maharal explique que l’humilité vient de l’intellect, du sekhel. Elle s’oppose à la matière. L’orgueilleux, lui, est tourné vers la matière, vers lui-même.
La Torah, qui est entièrement sikhlit – spirituelle, intellectuelle –, ne peut résider pleinement que chez une personne profondément humble.
On retrouve ce lien étroit entre hokhma et anava, dans les propos de nos Sages : “ce que la hokhma a fait comme une couronne pour la tête, l’humilité l’a fait comme une sandale pour le talon.”
- Une couronne pour la tête – comme il est dit dans Téhilim : “Le commencement de la sagesse, c’est la crainte de Dieu.”
- Une sandale pour le talon – comme il est dit dans Michlé : “À la suite de l’humilité, la crainte de Dieu.”
En d’autres termes, l’humilité conduit à la crainte de Dieu, et c’est cette crainte qui ouvre la voie à la hokhma. L’humilité est donc une condition essentielle, le réceptacle même qui permet de recevoir la hokhma.
Mais il y a également une dimension inverse.
L’humilité peut aussi naître de la hokhma elle-même.
Et c’est peut-être là la forme d’humilité la plus élevée : celle qui vient de la conscience de l’immensité de la sagesse, et de notre petitesse face à elle.
Notre paracha commence par la menorah, qui symbolise la lumière de la Torah – la hokhma qui surplombe toutes les autres. Et elle se termine par l’humilité de Moché. Ce n’est pas un hasard.
Tu avais un tel amour pour la hokhma, tu étais tellement apte, tellement réceptif, qu tu te sentais tout petit à côté de son immensité. C’est justement cette conscience-là qui nourrissait en toi ce profond désir d’écouter l’autre, plutôt que de te concentrer sur toi-même.
On peut penser parfois que les gens hakhamim sont plus orgueilleux.
Mais celui qui a la vraie hokhma, c’est tout le contraire : plus on est véritablement hakham, plus on est humble devant l’infini de la sagesse.
L’orgueil, en fin de compte, vient de notre ignorance.
Tu nous manques
Dan, combien tu nous manques aujourd’hui !
Combien ta hokhma nous manque ! Ta personnalité unique, ton sourire, ton sens de l’humour… Ta bienveillance, ton écoute, ta vérité, ta droiture… Et tant d’autres choses encore…
Nous avons perdu un immense talmid hakham d’une envergure rare. Peut-être n’étions-nous pas toujours à la hauteur pour te connaître vraiment. C’est une immense perte pour la communauté et pour chacun d’entre nous, un fossé béant.
Tu étais un pilier silencieux de notre Kéhila.
Il y avait la Kéhila avec toi…
Et il y a désormais cette Kéhila, sans toi.
Quelle chance nous avons eue cette année de t’avoir comme baal tokéa à Roch Hachana. Qui aurait pensé que c’était ton dernier Roch Hachana ?
Le son du shofar, expression de ta nechama, résonne encore en nous. Et nous voulons tellement aujourd’hui prolonger ce souffle…
À nous tous ensemble de tenter de perpétuer et de remplir ce vide, en nous attachant à la hokhmat haTorah, et à toutes tes nobles valeurs.
Au revoir, mon ami Dan.
Tu nous as enseigné que la vraie grandeur ne se mesure pas au bruit qu’on fait, mais au silence qu’on laisse. Tu nous as montré qu’on peut être un lion et rester humble, qu’on peut porter la vérité sans écraser personne, qu’on peut aimer la hokhma sans se perdre dans l’orgueil.
Tu es parti comme tu as vécu : dans la discrétion, la dignité et la emounah.
Mais ton enseignement demeure. Ton exemple résonne. Et ce shofar que tu as fait sonner pour la dernière fois continue de vibrer dans nos cœurs.
Tihiyeh nishmatekha tzrurah b’tzror hachayim