Dans la paracha de Béha’alotékha, nous pouvons identifier la difficulté entre Moché et le peuple de plusieurs manières. Lorsque Moché se plaint de la demande du peuple pour de la viande, il transmet un sentiment de déconnexion avec eux. Sa prophétie doit également être partagée avec soixante-dix anciens – apparemment parce qu’il ne peut pas porter seul le fardeau et a besoin de partenaires dans la direction spirituelle du peuple. Un autre exemple est la prophétie d’Eldad et Médad qui prophétisent dans le camp, et la réaction de Yéochoua qui exprime sa crainte de la concurrence en matière de prophétie. Lorsqu’Aaron et Miriam parlent du fait que Moché a divorcé de sa femme, il y a là une critique envers lui. Tout cela souligne la tension entre Moché et le peuple, aux côtés du fardeau spirituel qu’il porte.
Comment devons-nous considérer Moché notre maître ?
Sur cette toile de fond, je souhaite aborder notre relation envers Moché notre maître.
Le Ran dans ses drachot présente une conception selon laquelle Moché notre maître n’est pas accessible à la compréhension – il se dresse au-dessus de l’humanité ordinaire. Cette conception s’accorde avec l’appellation que lui donne la Torah : “l’homme de D.ieu” – expression témoignant d’un statut exceptionnel, reliant le monde divin et le monde humain.
Nos sages renforcent même cette conception lorsqu’ils disent que Moché est “moitié homme et moitié ange” – expression soulignant son statut unique comme figure se tenant à la frontière entre deux mondes, et donc insaisissable en termes humains ordinaires.
En revanche, le Rambam dans les (Lois de techouva) établit une position complètement différente : tout homme peut et doit aspirer à être comme Moché notre maître. Selon cette conception, Moché n’est pas une figure mythologique insaisissable, mais un modèle et une inspiration vers lesquels tout homme est tenu d’aspirer.
Le Rambam voit en Moché l’exemple de la perfection humaine – celui qui a atteint le sommet spirituel possible, mais l’a fait encore dans les limites de l’humain.
Figure insaisissable ou modèle à imiter ?
Se crée ici une contradiction essentielle entre les deux conceptions : comment est-il possible que d’un côté Moché soit “au-dessus de l’humanité”, insaisissable et au-delà de toute compréhension humaine, et de l’autre côté il soit la figure que chacun est commandé d’aspirer à être comme elle ? C’est une contradiction fondamentale dans la compréhension de la nature et du statut de Moché notre maître.
Moché rabénou – l’âme générale d’Israël
Afin de résoudre cette contradiction, je souhaite proposer une explication révolutionnaire selon les paroles du Maharal.
Nos sages dans le traité Moed Katan (page 18b) racontent un événement troublant qui s’est produit dans le désert : les enfants d’Israël ont suspecté Moché notre maître d’avoir péché avec la femme d’un homme. Comment est-il possible qu’ils aient ainsi suspecté le plus grand des justes ? Le Maharal (Be’er haGola, Be’er 5) explique de manière révolutionnaire : Moché n’était pas seulement un dirigeant – il était l’âme générale du peuple. Il était la “tsoura (forme) de tout Israël”, et “Moché équivaut à tout Israël” – il représente tout le peuple d’un point de vue spirituel.
C’est aussi la raison profonde pour laquelle Moché s’est mariée précisément avec la fille de Yitro. Moché ne pouvait pas épouser une femme parmi les filles d’Israël, car il représentait toute la nation. Il n’était pas possible qu’il s’engage envers une seule femme, car chaque femme en Israël voyait en lui son mari – non pas au sens physique, mais spirituel. Il était la figure qui les éclairait tous, comme le soleil éclaire tout le monde sans appartenir à une personne particulière.
Le peuple s’est trompé lorsqu’il a pensé que Moché, qui est l’âme générale d’Israël, leur appartenait aussi physiquement – qu’il avait une relation personnelle ou physique avec leurs épouses. Mais la vérité est que Moché n’appartenait pas à la vie matérielle – il était au-dessus d’elle. Il était la figure qui dirige le peuple d’en haut, sans être impliquée dans leurs affaires privées.
Une âme englobante
À la lumière de cela, nous pouvons résoudre la contradiction : l’expression “homme de D.ieu” ne vient pas éloigner Moché de l’homme, mais décrire son essence comme âme englobant tout Israël.
De même que l’Éternel béni soit-Il est la réalité englobant toute la création, ainsi Moché est l’âme unissant toutes les âmes d’Israël. Il n’est pas différent du peuple par son caractère, mais par le fait qu’il les inclut tous.
De là découle la distinction :
- D’un côté, personne ne peut être comme Moché notre maître – il est impossible d’être l’âme englobante de tout un peuple. C’est un rôle unique qui n’a pas d’équivalent.
- De l’autre côté, chacun se trouve en Moché. Chaque individu peut se trouver inclus en Moché, et réaliser sa part de la perfection englobante de Moché.
Exemple de notre époque – le Rav Ovadia Yossef z”l
Ce principe peut être vu aussi dans la figure du Rav Ovadia Yossef z”l. Il se distinguait dans ses responsa par le fait qu’il mentionnait des centaines d’auteurs de toutes les générations, jusqu’à notre époque, chose que tous ne comprenaient pas. Il se distinguait encore par sa mémoire phénoménale de toute la Torah avec tous les commentateurs et les responsa. Comment cela était-il possible ?
Mais la réponse est qu’il ne s’agit pas seulement d’un talent personnel, mais d’une âme qui inclut toutes les âmes des sages d’Israël. C’est la raison pour laquelle il les mentionnait tous, et se souvenait des paroles de tous, car il était inclus en eux, et ils étaient inclus en lui. Il n’a pas seulement étudié leurs paroles – il exprimait leur âme.
Ainsi aussi Moché notre maître – il n’est pas un objectif extérieur pour nous, mais une source intérieure dont nous sortons et vers laquelle nous aspirons. Non pas être comme lui dans sa globalité, mais découvrir notre part en lui, et nous réaliser à partir de l’appartenance à l’âme englobante de tout Israël.