Après la section réservée au Nazir (homme ou femme ayant fait vœu d’abstinence) relatée dans notre Paracha, la Torah traite de la Birkat Cohanim (bénédiction sacerdotale).
Le Even Ezra écrit à ce sujet (6 ;21) « la paracha de la Birkat Cohanim est juxtaposée à celle du Nazir car, après avoir conclu les lois concernant le Nazir qui est kadoch, la Torah mentionne les lois des Cohanim qui sont également kédochim. »
Hormis cette similitude de kédoucha entre le Cohen et le Nazir il existe également d’autres points de comparaison entre eux. On retrouve le langage de « Nézirout » à propos du Cohen Gadol, comme il est dit : « כי נזר שמן משחת אלוקיו עליו – car le sacre de l’huile d’onction de son D ieu est sur lui » (Vaykra 21 ;12) –
Il est interdit à chacun d’entre eux de se rendre impur par contact avec un mort, même lorsqu’il s’agit de leur propre famille. L’interdiction de boire du vin leur est commune (à propos du Cohen, cet interdit ne le concerne que lors de son service dans le Mikdach).
Pourtant en réalité, il existe une différence fondamentale entre eux car le Nazir vient offrir un korban ‘hatat- offrande expiatoire – au cours de ses jours de Nézirout comme s’il fallait voir dans son choix une réelle faute, à la différence du Cohen pour qui, il n’est question que de dimension élevée et grandeur, (voir également Maimonide Déot 3;1 et introduction de ‘Helek).
A ce sujet, le Ramban exprime que la raison de cette offrande expiatoire n’est pas expliquée, par contre il nous est permis de penser que cet homme commet une faute envers sa personne lorsqu’il donne fin à sa Nézirout. En effet, il eut été plus approprié que cette personne se consacre à son Dieu pour la durée de sa vie entière. Cette interprétation vient signifier que pour le Ramban, c’est l’interruption de la Nézirout qui vient justifier l’offrande du korban. Cela revient à dire que la seule différence existant entre le Nazir et le Cohen tient dans le fait que la mission du premier vient à terme alors que celle du second ne s’interrompt pas. Dans ce cas, durant toute la durée de sa Nézirout, le Nazir est comparable au Cohen.
Cependent Rabénou Béhayé s’étonne sur la possibilité d’offrir un korban sur une faute portant sur le futur. Selon lui, il est plus logique de concevoir l’offrande d’un korban sur une faute passée. D’ailleurs, selon une opinion (Taanit 11a) le Nazir est appelé « fauteur ».
En réalité, dans une Michna dans Nazir (47a), est clairement exposée une différence entre un Cohen et un Nazir:
Lorsqu’un Nazir et un Cohen voyagent ensemble et se présente à eux un met-mitsva (un mort inconnu auquel ils sont tenus de l’enterrer contrairement à leur din habituel de ne pas se rendre impur), lequel d’entre eux devra se rendre impur et accomplir la mitsva de l’enterrer? Les Tanaïm sont en discussion à ce sujet, et selon l’opinion des Ha’hamim, il incombe au Nazir de se rendre impur en exécutant la mitsva. Pour quelle raison ? Car la kédoucha du Nazir est transitoire alors que celle du Cohen est permanente.
Pourtant, on pourrait néanmoins s’interroger sur le fait que même un Nazir puisse prendre sur lui une Nézirout permanente ce qui le mettrait sur le même pied d’égalité que le Cohen. Malgré tout, celui-ci aura l’obligation de se rendre impur relativement au Cohen.
Il semble que cette analyse des Ha’hamim qui différencie le Nazir du Cohen en fonction de la pérennité de leur kédoucha, fait appel à une réflexion plus profonde qui exige un éclaircissement.
La véritable différence réside dans le fait que le Cohen est le représentant du Peuple et que toute son essence est de s’occuper de la Communauté. Ce n’est pas le cas du Nazir qui, au contraire s’en sépare pour se prémunir des tentations de ce monde, dans une volonté de consécration personnelle. (voir notre article sur le statut du Cohen https://michnetorah.com/le-cohen-le-milieu-du-peuple-ou-un-retrait-pour-mieux-etre-au-centre/).
Concernant la mitsva de « קדושים תהיו- vous serez saints », le Rav Chimon Chkopp z”l (introduction Chaarei Yocher) nous enseigne une nouvelle approche :
« La Sainteté consite à ce que nos efforts soient toujours dirigés vers le collectif, et il ne faut utiliser le bien et les plaisirs de ce monde qu’à seule fin d’en faire profiter son prochain. Lorsqu’un homme rectifie sa conduite et aspire à vivre en faveur du Tsibour, même ce qu’il entreprend à son propre égard, que ce soit pour sa santé physique et morale, entre également dans la mitsva de « vous serez saints », et grâce à laquelle il procurera finalement du bien à l’ensemble de la Communauté. Par le bien qu’il se consent, il accorde également du bien à tous ceux qui dépendent de lui. Et en relation avec cela, il identifie sa kédoucha à celle de Hakadoch Baroukh Hou. De même que tout ce que fait Hachem dans la Création est réalisée pour notre bien, ainsi aspire-t-Il à ce que nos actes soient empreints de la même kédoucha et de cette même intention bienveillante envers les autres. Et si un homme est capable de soumettre sa nature égoïste et s’abstient de penser à son confort et ses plaisirs personnels au profit de son prochain, il sera à même d’atteindre la Kedoucha du Maître du monde. Car la façon de se conduire du Créateur est de dispenser le bien à Ses créatures. »
Selon ce point de vue, les deux opinions qui s’opposent dans la guémara concernant le statut du Nazir, qu’il soit considéré « saint » ou « fauteur », sont toutes les deux, justes. Il est clair que celui qui est trempé jusqu’au cou dans le monde de la matérialité et des plaisirs, et peine à échapper à son mauvais penchant, devra se séparer du vin et des autres jouissances pour s’élever jusqu’à ne plus avoir besoin de conserver plus longtemps sa Nézirout. C’est pourquoi un tel homme qui entreprend la démarche de s’élever et de se détacher du matériel, est appelé « kadoch ». Néanmoins, il se sépare du groupe pour son propre compte. Et dans un tel comportement, on relève une échappée au principe de la kédoucha évoqué par le Rav Chkopp. En comparaison, le Cohen lui, dans son individualité, se sépare dans l’intérêt du Peuple.
En résumé, la kédoucha contient deux principes : d’une part, le fait de se séparer de ce qui est permis et des plaisirs de ce monde comme l’affirme le Ramban (vaykra 19;2) concernant l’explication de la mitsva de « vous serez saints », d’autre part, le bien procuré au groupe et le fait que les actes de la personne soient destinées à ce groupe.
Le Cohen remplit ces deux facettes alors que le Nazir n’en remplit qu’une pour laquelle il garde le titre de « Kadoch » mais endosse celui de « fauteur » pour l’aspect personnel.
C’est peut-être là, toute l’intention des Ha’hamim qui qualifient de provisoire la kédoucha du Nazir et de permanente celle du Cohen. Et ainsi que l’explique Rav Chlomo Fisher chlita (Beit Ichay ch. 54), tout celui qui s’attache à la collectivité et au groupe éternise son action, à contrario du Nazir qui s’isole et pour qui, subsiste un doute quant à la pérennité de l’action. Et même si en théorie, il décide de garder sa Nézirout éternellement, l’action du Nazir ne sera pas qualifiée de durable car il reste un individu solitaire, non rattaché au groupe.
C’est la raison pour laquelle ces deux sujets de Nazir et de Birkat Cohanim sont juxtaposés dans cette Paracha. Dans la Birkat Cohanim, le Cohen déclame « qui nous a ordonné de bénir Son peuple avec amour », cela signifie que cette bénédiction souligne le lien d’amour entre le Cohen et le Peuple.
Nous savons que la Torah a juxtaposé le sujet du Nazir à celui de la Sota (femme soupçonnée par son mari d’infidélité conjugale), pour nous dire que « tout celui qui voit la Sota dans sa dégradation doit se préserver de boire du vin ». Il est donc permis de dire de même: tout celui qui voit la Nézirout dans son aspect négatif, s’attachera à la conduite de kédoucha du Cohen qui consiste en un dévouement absolu en faveur de la Communauté.