Parachat Michpatim – Le bouclier humain : se défendre en exploitant l’interdit des autres

Parachat Michpatim – Le bouclier humain : se défendre en exploitant l’interdit des autres

Un voleur surpris en creusant un tunnel

Dans notre paracha, se présente une loi intrigante dans le cadre des règles sur le vol, celle du « voleur pris sur le fait d’effraction » (Chemot 22, 1). Lorsqu’un individu se retrouve face à un voleur qui s’introduit chez lui de nuit en creusant une galerie souterraine, la Torah permet au propriétaire de le frapper, et même d’aller jusqu’à provoquer la mort du voleur. Ce n’est pas tant une sanction pour le vol, mais plutôt une réaction face au danger imminent que cette situation pourrait engendrer.

Dans la Guemara (Sanhédrin 71a), nos sages expliquent cette règle en notant que, lorsqu’un voleur pénètre dans une maison, la réaction instinctive du propriétaire sera de résister au vol, ce qui peut inciter le voleur à recourir à la violence et au meurtre. Un tel voleur est considéré comme un meurtrier en puissance, ainsi, pour protéger sa vie, le propriétaire est autorisé à agir avant que cette menace ne se concrétise. Ce principe est résumé dans l’adage : « Celui qui vient pour te tuer, lève-toi et tue-le d’abord ».

Cependant, dans des situations où le propriétaire n’est pas en danger immédiat, la loi interdit de tuer le voleur. Par exemple, la Guemara précise qu’un homme ne peut pas tuer son père qui pénètre chez lui par effraction pour le dévaliser, car il est évident que ce dernier ne chercherait pas à lui faire du mal, et donc, il n’y a pas de menace directe à sa vie.

La vie du voleur vaut-elle moins que les biens du propriétaire ?

Cette loi peut sembler déroutante. En effet, lorsqu’une personne aperçoit un voleur chez elle, elle n’est pas directement en danger de mort et peut choisir de ne pas s’opposer au vol. Ce n’est que si elle résiste qu’elle risque de provoquer une escalade de violence. Il est donc crucial de comprendre pourquoi la Torah permet de protéger ses biens au prix de la vie du voleur. Ne devrait-on pas exiger que quelqu’un abandonne ses biens plutôt que de transgresser l’interdiction fondamentale de prendre une vie humaine ? La vie du voleur ne doit-elle pas être considérée comme plus précieuse que celle des biens du propriétaire ?

On pourrait soutenir que la Torah prend en compte la nature humaine, qui ne peut rester passive face à une menace sur ses biens. Dans ce cas, toute confrontation avec le voleur pourrait entraîner des pertes humaines, justifiant ainsi l’acte de tuer en légitime défense. Toutefois, ce raisonnement est difficile à concilier avec d’autres aspects de la halakha, comme celui où il est interdit d’éteindre un feu qui consume ses biens pendant le Chabbat (Chabbat 117b). Dans ce cas, l’individu doit demeurer stoïque, contemplant ses biens se consumer dans les flammes, sans jamais intervenir.

Ainsi, la question se dresse avec toute sa force : pourquoi, dans le contexte du voleur, la Torah n’interdit-elle pas au propriétaire d’exercer sa défense, quitte à devoir perdre ses biens ?

Utiliser l’interdit des autres comme un bouclier

Il semble que la réponse à cela est évidente, et nous conduit à un message éthique fondamental : tout individu a le droit de protéger ses biens, même si cela implique d’entrer dans un cadre de légitime défense pouvant aller jusqu’à la nécessité de neutraliser le voleur en le tuant. Lorsque, par exemple, une personne se trouve menacée par un pistolet, contrainte à remettre une somme d’argent sous peine de mettre sa vie en danger, cela paraît logique qu’elle n’ait aucune obligation de satisfaire à cette demande. En fin de compte, c’est le voleur qui a engendré cette situation où le propriétaire doit choisir entre abandonner ses biens ou risquer sa vie. Par conséquent, le voleur doit accepter les conséquences de ses actes et ne peut pas invoquer la défense morale pour obliger le propriétaire à renoncer à ses biens.

Il est impensable qu’un voleur puisse se servir de la défense halakhique du « ne pas tuer » pour forcer un propriétaire à abandonner le fruit de son labeur. C’est le cœur même de la justice qui est en jeu, et nul ne devrait être contraint à sacrifier son intégrité ou ses possessions sur l’autel de la violence.

Dilemme entre la légitime défense et le devoir de désescalade

En 2007, un incident notable s’est produit lorsque quatre voleurs ont pénétré dans la ferme de Shai Daromi dans l’intention de voler ses moutons. Face à cette menace, Shai, au lieu de fuir, a choisi de se défendre, ce qui a entraîné la mort de l’un des voleurs et des blessures graves à un autre. Cet acte a suscité des poursuites judiciaires pour meurtre envers lui. Cependant, le tribunal a finalement statué en sa faveur, concluant que sa vie était en danger.

Cet événement a suscité des questions et a engendré un débat concernant le dilemme entre l’obligation de se retirer et la nécessité de protéger sa vie et ses biens. Notre paracha, à travers la loi relative au « voleur pris sur le fait d’effraction », nous enseigne que, bien qu’il soit clair que la vie d’un criminel n’est pas dépourvue de valeur, il est néanmoins permis, voire nécessaire, de défendre ses biens, même si cela peut mener à des situations de confrontation qui mettront en danger les voleurs.

L’ambiguïté des boucliers humains.

Les récents conflits en Israël mettent en lumière la question délicate de l’utilisation de boucliers humains par les groupes terroristes, soulignant ainsi la complexité de la protection des vies innocentes. Cette situation souligne un dilemme moral : comment défendre la vie sans compromettre l’intégrité des personnes innocentes prises en otage par des tactiques perverses et manipulatrices.

En réfléchissant à notre Paracha, nous tirons une leçon essentielle : il est inacceptable de détourner le principe du « ne pas tuer » pour justifier des actions nuisibles ou destructrices. Bien que cette réflexion ne puisse pas s’appliquer directement au cas des boucliers humains, où la vie d’un innocent est en jeu, elle nous incite à considérer la responsabilité éthique dans nos choix. Si les justes se taisent et hésitent à défendre leurs convictions, la société pourrait tomber entre les mains des malfaiteurs. La Torah nous incite à résister aux forces du mal, à agir courageusement en temps de crise, et à défendre ce qui est juste, même si cela exige parfois de transcender nos limites habituelles.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.