Parachat Bo – Comment négocier avec l’ennemi : De Paro au Hamas

Parachat Bo – Comment négocier avec l’ennemi : De Paro au Hamas

La Négociation entre Moché et Paro

Notre paracha s’ouvre avec les trois dernières plaies parmi les dix plaies : les sauterelles, les ténèbres et la plaie des premiers-nés. Cependant, il se passe quelque chose d’intéressant : une négociation s’entame entre Moché et Paro concernant la libération des bnei Israël. Avant la plaie des sauterelles, pour la première fois, Paro propose que les bnei d’Israël sortent d’Égypte, mais uniquement les hommes pour servir D-ieu. Mais Moché répond clairement : « Nous irons avec nos jeunes et nos anciens, avec nos fils et nos filles, avec nos troupeaux et nos bétails ; car nous devons célébrer une fête au Seigneur«  (Chemot 10, 9), expliquant que tous, y compris les femmes et les enfants, doivent sortir.

Paro refuse d’accepter cela, et la plaie des sauterelles s’abat sur l’Egypte. Plus tard, lors de la plaie des ténèbres, Paro propose encore un compromis : « Allez, servez le Seigneur, mais vos troupeaux et vos bétails resteront ici ; même vos enfants pourront aller avec vous » (Chemot 10, 24). Le compromis ici est qu’il permet aux enfants de partir, mais exige que leurs biens restent en Égypte. Moché persiste, ajoutant : « Tu nous donneras aussi des sacrifices et des holocaustes, et nous ferons des offrandes au Seigneur, notre Dieu, et nos troupeaux devront partir avec nous ; il ne restera pas une seule bête » (Chemot 10, 25-26).

À la suite de cela, Paro réagit de manière beaucoup plus claire, voire agressive et menaçante : « Va-t’en d’auprès de moi, prends garde à toi, ne vois plus ma face, car le jour où tu verras ma face, tu mourras. » Et nous connaissons la réponse de Moché : « Moché dit : Tu as bien parlé, je ne verrai plus ta face. »

Et nous connaissons la suite de l’histoire…

Pourquoi Moché ne saisit-il pas l’opportunité ?

Mais une question semble évidente : pourquoi Moché ne profite-t-il pas de l’occasion lorsque Paro lui propose de sortir d’Égypte, bien que ce ne soient que les hommes ? Après tant d’années de souffrance, et sept plaies qui n’ont pas brisé Paro, et avec l’objectif clair – la sortie d’Israël d’Égypte, pourquoi ne pas accepter cette offre, au moins pour faire sortir ce qui est possible ? Le reste du peuple pourra sortir plus tard grâce à d’autres plaies. La question devient encore plus pressante lorsque Paro propose, une deuxième fois, que tous sortent – hommes, femmes et enfants, mais pas les troupeaux. Pourquoi Moché ne saisit-il pas cette occasion ? Après tout, si les troupeaux sont nécessaires pour l’économie, il est évident qu’Hachem peut envoyer d’autres plaies et accomplir encore des miracles, alors pourquoi rester encore en Égypte ?

Une autre question se pose : pourquoi Moché annonce-t-il à Paro que « c’est la fête de l’Éternel pour nous », en référence à la fête de la Torah qui aura lieu environ trois mois plus tard ? Quel est le besoin de cette annonce à ce stade de l’histoire ? Pourquoi parler de fête et de don de la Torah, alors que la situation semble si loin de la possibilité de célébrer et de se réjouir ?

Une lutte psychologique

Il semble qu’il y ait une guerre psychologique, un combat cognitif entre Moché et Paro. Paro comprend qu’il sera finalement obligé de libérer les Bnei Israël, mais il essaie de tout faire pour rester le maître, tandis que les Bnei Israël restent des esclaves. Pour cela il veut contrôler la manière dont ils partiront, être celui qui décide comment, quand et de quelle manière ils sortiront. Pour cette raison, Moché n’est pas prêt à faire des compromis ou à se soumettre à Paro. La sortie des Bnei Israël d’Égypte n’est pas seulement une sortie physique, mais une entrée dans le peuple de Dieu. Depuis notre sortie, nous ne sommes plus les esclaves de Paro, mais au contraire – nous, les Bnei Israël, sommes les maîtres.

Moché comprend l’intention profonde de Paro : même si nous sortons d’Égypte, Paro veut toujours se sentir le gagnant. C’est pourquoi Moché rejette toutes les propositions de Paro, car il comprend la nature de ce combat.

Là où la négociation atteint son point de rupture

Lorsque on regarde l’histoire des plaies, on peut remarquer que Paro a une certaine patience. Malgré le fait que Moché pose constamment des exigences et menace, Paro supporte tout cela. Mais il y a un moment où Paro perd totalement son contrôle et sort de ses gonds en menaçant Moché : « Le jour où tu verras ma face, tu mourras. » Que s’est-il passé soudainement ? Cela est dit après que Moché lui ait dit les mots suivants : « Tu nous donneras aussi des sacrifices et des holocaustes, et nous les ferons pour l’Éternel, notre Dieu, et notre bétail ira avec nous – il ne restera pas une seule patte – car c’est de lui que nous prendrons pour servir l’Éternel, notre Dieu. » Ici, Moché ne fait pas de nouvelles demandes, mais dicte la réalité à Paro. Il lui parle comme un maître, pas comme un demandeur.

Jusqu’à présent, Paro se voyait comme le souverain, et Moché comme celui qui vient lui demander la permission. C’était lui, finalement, qui déciderait comment et quand les Bnei Israël quitteraient l’Égypte. Mais ici, Moché change toute la situation. Il ne demande plus à Paro, il lui dicte la réalité. À ce moment, la négociation éclate.

C’est également la raison pour laquelle Moché annonce à Paro à l’avance la fête de l’Éternel, et lui explique la véritable signification de la sortie d’Égypte. Bien que la sortie physique ait lieu, tout dépend de l’interprétation. Afin que Paro comprenne qu’il n’est pas le vainqueur, Moché doit lui insuffler cette prise de conscience. C’est la sagesse de Moché, qui annonce à Paro la fête à l’avance – car tout est dirigé vers un objectif clair. Nous ne sortons pas seulement d’Égypte – nous entrons sous la souveraineté de Dieu.

Résonance actuelle : Gaza et la guerre de l’image

Cette idée résonne particulièrement dans le contexte de la guerre à Gaza, où, malgré toute la destruction et les souffrances que le Hamas endure, il s’efforce constamment de projeter une image de victoire. Même lorsque la dévastation qu’il a causée à lui-même et à sa population est évidente, le Hamas utilise le processus de négociation pour se présenter comme le héros, comme si c’était lui qui sortait vainqueur de ce conflit.

De notre paracha, nous pouvons tirer une leçon profonde : il est essentiel de ne pas céder à l’ennemi, même lorsqu’il semble y avoir un avantage immédiat. Il ne faut jamais permettre à l’adversaire de façonner notre réalité.

Ce que nous apprenons de la paracha, c’est que la véritable victoire ne réside pas nécessairement dans celui qui triomphe dans la bataille physique, mais dans celui qui réussit à dominer la conscience et l’esprit. L’objectif n’est pas seulement physique, mais surtout idéologique. Plus nous renforçons notre identité en tant que peuple de Dieu, plus nous cultivons l’unité au sein du peuple d’Israël, plus nous atteignons la victoire véritable.

Deuxième réflexion : La responsabilité du peuple

L’influence du peuple sur Paro

Un autre principe que l’on peut tirer de notre paracha, mais avant tout, il faut se demander : qu’est-ce qui s’est passé exactement avant la plaie des sauterelles, pour que Paro propose pour la première fois de sa propre initiative que les Bnei Israël quittent l’Égypte, même si ce n’est que les hommes ? Qu’est-ce qui a poussé Paro à prendre une telle décision en faveur des Bnei Israël ?

A priori, la réponse se trouve dans le verset précédent où il est dit : « Et les serviteurs de Paro lui dirent : Jusqu’à quand cela sera-t-il un piège pour nous ? Envoie ces hommes pour qu’ils servent l’Éternel, leur Dieu. Ne sais-tu pas encore que l’Égypte est perdue ? » C’est la première fois que les serviteurs de Paro se plaignent de la destruction et des ravages qui frappent leur pays. Ils comprennent que l’Égypte est au bord de la perte totale.

Cela ne semble pas être un hasard, car après la sixième plaie, la plaie de la grêle, c’est la première fois qu’il est dit que Dieu ne renforce pas seulement le cœur de Paro, mais aussi celui de ses serviteurs, comme il est écrit : « Et il endurcit son cœur, ainsi que celui de ses serviteurs » (Chemot 34:9). Avant la plaie de la grêle, il n’y avait aucune mention directe du cœur des serviteurs. Maintenant, alors que la situation devient intenable pour eux, ils se tournent vers Paro avec une plainte sévère : « Ne sais-tu pas encore que l’Égypte est perdue ? » Sans préciser qui sont ces « serviteurs », il est possible qu’il s’agisse de l’ensemble du peuple égyptien, comme il est également dit dans la paracha de Vayigach : « Nous sommes devenus esclaves de Paro » (Berechit 47:25).

Quoi qu’il en soit, il est intéressant de noter que maintenant, après sept plaies, les serviteurs – qui jusque-là étaient fidèles au roi – commencent à se révolter.

Il n’y a pas d’innocents

Juste après cela, Paro prend la décision de libérer une partie des Bnei Israël, et c’est la première fois dans l’histoire qu’il propose de lui-même de libérer les Bnei Israël de son pays.

De cela, on peut tirer un principe important : le roi, aussi grand et obstiné soit-il, c’est finalement son peuple et ses conseillers qui l’influencent vraiment. Même Paro, qui était un grand roi et que Dieu avait endurci, a commencé à céder la première fois que son peuple s’est exprimé et a protesté.

En d’autres termes, aucun dirigeant ne peut imposer sa volonté à son peuple, sauf si ce dernier adhère à son idéologie. Ainsi, il est une erreur de dire qu’il y a des « innocents » à Gaza. Si le dirigeant agit de cette manière, cela signifie que l’ensemble du peuple adhère à cette vision, car le leadership reflète les opinions et les valeurs de la société qui le soutient.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.