Le dernier accord Israël-Hamas, au cours duquel des otages ont été libérés et sont retournés dans les bras de leurs familles, a rempli nos cœurs d’une joie immense et d’une grande émotion. Parallèlement à cet immense soulagement et bonheur, il existe également des sentiments d’inquiétude et des réflexions sur le lourd prix et la complexité morale de cette démarche. Ces sentiments contradictoires reflètent la valeur de la vie humaine selon notre perception, ainsi que la lourde responsabilité que nous portons en tant que peuple. C’est précisément dans de tels moments que l’essence de la liberté, telle que nous la comprenons, se définit – un sujet que nous allons explorer à travers l’étude de la paracha de la semaine.
Que se cache derrière la demande de trois jours de voyage ?
Lors du fléau des bêtes sauvages, Moché fait une demande étrange à Paro : « Nous irons trois jours dans le désert et nous sacrifierons au Seigneur, notre D-ieu » (Chemot 8, 20). Cette demande n’est pas anodine, car Moché avait déjà été commandé par D-ieu lors de la révélation dans le buisson ardent : « Ils écouteront ta voix, et tu viendras avec les anciens d’Israël chez le roi d’Égypte, et tu lui diras : ‘Le Seigneur, le D-ieu des Hébreux, nous a rencontrés, et maintenant, laisse-nous aller trois jours dans le désert pour sacrifier au Seigneur, notre D-ieu' » (Chemot 3, 18). Moché et Aaron avaient d’ailleurs formulé cette demande à Paro dès le début de leur mission, avant que ne commencent les plaies : « Laissez-nous aller trois jours dans le désert pour sacrifier au Seigneur, notre D-ieu » (Chemot 5, 3).
La question qui se pose est la suivante : que se cache-t-il derrière cette demande de partir pour trois jours ? Il ne saurait s’agir d’un stratagème pour tromper Paro, comme si l’intention était de partir pour une courte durée et de revenir, alors qu’en réalité, le plan était de fuir définitivement. Et en effet, D-ieu n’a-t-il pas mille autres manières de faire sortir les enfants d’Israël d’Égypte ? De plus, pourquoi cette demande apparaît-elle spécifiquement lors du fléau des bêtes sauvages ?
Pas juste une sortie, mais une entrée dans le peuple de D-ieu
Pour comprendre cela, il faut réaliser que la sortie d’Égypte n’est pas simplement une sortie d’un lieu clos, un lieu d’esclavage. Ce n’est pas simplement une libération physique, mais principalement une entrée – une entrée dans le peuple de D-ieu. L’objectif de la sortie n’est pas seulement de mettre fin à un état d’esclavage, mais de débuter une situation nouvelle, où les enfants d’Israël deviennent le peuple de D-ieu, un peuple dont la mission est de servir D-ieu et de Le vénérer.
C’est la différence entre hofech et hérout. Tandis que Hofech désigne la sortie d’un état donné, la hérout représente l’entrée dans une nouvelle situation – une situation où le peuple juif assume son rôle en tant que nation portant l’héritage divin et engagée envers celui-ci.
D-ieu a ordonné à Moché de transmettre à Paro un message clair : « Laisse partir mon peuple, et qu’il Me serve. » Ces mots, « Laisse partir mon peuple », ou en anglais « Let My People Go », sont devenus un symbole mondial, représentant non seulement l’histoire de la sortie d’Egypte pour la communauté juive, mais aussi un cri universel de lutte contre l’oppression. Par exemple, pendant la lutte pour la liberté des Juifs en Russie, des affiches avec l’inscription « chala’h et ami – laisse partir mon peuple » ont été imprimées.
Cependant, malheureusement, le mot « veyaavdouni – et qu’il Me serve » a été omis. De ce fait, la véritable signification de l’appel a été oubliée : la sortie de l’esclavage n’est pas simplement une libération, mais surtout une entrée dans une vie de liberté, une liberté où l’homme devient un serviteur de D-ieu.
Créer une identité distincte au sein de l’Égypte, en préparation à la sortie
Après cette introduction, il semble que l’objectif de faire sortir les enfants d’Israël pour trois jours ait été de créer une entité distincte appelée Israël, avant même la sortie réelle. Il faut comprendre qu’au cours des centaines d’années passées en Égypte, les enfants d’Israël étaient devenus une partie intégrante du tissu égyptien. Ils n’étaient pas seulement des esclaves physiques, mais aussi la culture et l’identité égyptiennes avaient une grande influence sur eux. Si les enfants d’Israël étaient restés comme les Égyptiens, leur libération n’aurait eu aucun sens, car il n’y aurait eu aucune différence entre leur situation et celle des Égyptiens eux-mêmes.
Cette démarche visait donc à préparer la grande sortie – dont le but était de faire sortir les enfants d’Israël en tant que peuple distinct, avec une identité claire, et non comme des Égyptiens.
C’est probablement la raison pour laquelle Moché a demandé cela précisément lors du fléau des bêtes sauvages, car c’est à ce moment-là que pour la première fois le verset évoque la séparation entre les enfants d’Israël et les Égyptiens, comme il est dit : « Et je séparerai ce jour-là la terre de Goshen où mon peuple réside, afin qu’il n’y ait pas de bêtes sauvages « (Chemot 8, 18). Cela marque probablement le début de la création du peuple en tant qu’entité distincte de l’Égypte, et à ce moment-là, Moché pensait qu’il était pertinent de les faire partir pour trois jours, afin qu’ils commencent à servir D-ieu.
L’intégrité du peuple comme exigence de la sortie
À la lumière de ces éléments, il est possible de comprendre le débat entre Moché et Paro lors des dernières plaies :
Lors de la plaie des sauterelles, pour la première fois, Paro propose que les bnei d’Israël sortent d’Égypte, mais uniquement les hommes pour servir D-ieu. Mais Moché répond clairement : « Nous irons avec nos jeunes et nos anciens, avec nos fils et nos filles, avec nos troupeaux et nos bétails ; car nous devons célébrer une fête au Seigneur » (Chemot 10, 9), expliquant que tous, y compris les femmes et les enfants, doivent sortir.
Paro refuse d’accepter cela, et la plaie des sauterelles s’abat sur l’Egypte. Plus tard, lors de la plaie des ténèbres, Paro propose encore un compromis : « Allez, servez le Seigneur, mais vos troupeaux et vos bétails resteront ici ; même vos enfants pourront aller avec vous » (Chemot 10, 24). Le compromis ici est qu’il permet aux enfants de partir, mais exige que leurs biens restent en Égypte. Moché persiste, ajoutant : « Tu nous donneras aussi des sacrifices et des holocaustes, et nous ferons des offrandes au Seigneur, notre Dieu, et nos troupeaux devront partir avec nous ; il ne restera pas une seule bête » (Chemot 10, 25-26).
Et nous connaissons la suite de l’histoire…
Il semble ici qu’il y ait une différence fondamentale dans la compréhension des choses. Tandis que Paro perçoit la sortie des enfants d’Israël d’Égypte comme une nécessité technique – une simple sortie du pays pour sortir – Moché comprend que cette sortie vise à créer le peuple de Dieu. Pour Moché, l’objectif n’est pas simplement de sortir d’Égypte, mais de fonder un peuple à part entière, et c’est pourquoi il ne suffit pas que seuls les hommes sortent. Le peuple doit être entier – hommes, femmes et enfants – car ce n’est qu’ainsi qu’un peuple de D-ieu peut être constitué.
Paro, en revanche, ne comprend pas l’importance de l’intégrité du peuple. Il accepte de libérer les hommes, mais refuse de libérer les enfants, la génération future. En cela, il cherche à les empêcher de bâtir l’avenir en tant que peuple. Car les hommes seuls ne pourront pas créer une nation nouvelle, puisque les enfants, qui représentent l’avenir, resteront en Égypte et s’assimileront à la culture égyptienne, perdant ainsi leur identité.
Par la suite, après les plaies des sauterelles et des ténèbres, Paro accepte de libérer tout le peuple, mais il veut garder les troupeaux et le bétail. Pour lui, cela représente une sorte de garantie, afin que le peuple revienne vers lui. Mais on peut aussi comprendre que Paro souhaitait les empêcher de faire des sacrifices (comme l’interprète le « Kli Yakar »), car les sacrifices sont la base de la création du peuple de D-ieu, et c’est une étape incontournable dans la formation de l’identité du peuple d’Israël. Ce à quoi répond Moché: « Tu nous donneras aussi des sacrifices et des holocaustes, et nous ferons des offrandes au Seigneur, notre Dieu. »
La différence entre le Hamas et Israël
Au regard de ce qui a été expliqué, on peut comprendre une différence fondamentale entre la nature des actions de la libération menées par le Hamas et l’approche juive. Tandis que le Hamas cherche à faire libérer ses prisonniers (des criminels endurcis), nous en Israël ne cherchons pas seulement à libérer mais à ramener les Juifs dans le giron de leur peuple, car chaque Juif a une immense valeur pour nous. Quand un Juif manque, une partie essentielle du tout qui nous compose en tant que peuple manque également.
Les différents accords avec le Hamas, dans lesquels un prix lourd de prisonniers est payé pour la libération des otages juifs, mettent en évidence la différence essentielle dans la priorité que nous accordons à chaque Juif. Un seul Juif, pour nous, n’est pas seulement une personne isolée, mais une partie indissociable du peuple, et chaque effort pour le libérer fait partie de l’aspiration à le ramener chez lui – chez le peuple d’Israël.
En souhaitant la libération de tous nos otages, le plus rapidement possible, en bonne santé et en paix.