Parachat Chemini – La religion et l’art : est-ce compatible ?

Parachat Chemini – La religion et l’art : est-ce compatible ?

Toute initiative humaine est-elle un “feu étranger” ?

Dans le chapitre de la Paracha de Chemini, un événement tragique est décrit lors de l’inauguration du Michkan. Nadav et Avihou, les fils d’Aharon, ont apporté “un feu étranger qu’Il ne leur avait pas ordonné” (Vayikra 10:1). À la suite de cela : “Un feu sortit de devant l’Éternel et les consuma ; ils moururent devant l’Éternel” (Ibid 10:2).

Nadav et Avihou ont essayé d’ajouter une initiative personnelle dans le sacrifice, ce qui ne leur avait pas été ordonné, et cela leur coûta la vie

Les mots “qu’Il ne leur avait pas ordonné” signifient qu’ils n’ont pas nécessairement agi contre un commandement explicite, mais leur péché résidait dans le fait d’introduire un feu qu’ils n’avaient pas été ordonnés d’apporter.

Cela soulève une question philosophique profonde : Y a-t-il de la place pour la créativité et l’expression personnelle dans l’accomplissement des mitzvot ? L’art et la création humaine sont-ils en contradiction avec la religion ?

Cependant, lorsqu’on examine les commentateurs, on remarque qu’ils interprètent cet acte comme une faute, en soulignant qu’il allait à l’encontre d’un commandement. Par exemple, ils avaient été ordonnés de prendre du feu de l’autel et non du feu extérieur. Les Sages ont aussi ajouté différentes interprétations à leur péché : ils étaient ivres, enseignaient la loi en présence de leur maître, entraient sans vêtements sacerdotaux, ou n’étaient pas mariés.

Cependant, il semble que le texte ait choisi délibérément l’expression “qu’Il ne leur avait pas ordonné”, car dans les questions de sainteté, toute initiative personnelle qui ne découle pas du commandement divin constitue nécessairement une déviation du cadre approprié. La sainteté doit venir uniquement d’En-Haut, de Dieu, et toute intervention humaine sort naturellement de ce cadre. Par conséquent, même si le verset ne dit que “qu’Il ne leur avait pas ordonné”, les commentateurs y trouvent des péchés définis, car toute initiative personnelle dans le domaine sacré constitue nécessairement une déviation des limites divines établies.

On peut retrouver cette idée dans les propos de Rabbi Yehuda Halevi dans le Kuzari (Maamar 1, 157), lorsqu’il compare le Veau d’or aux Kérouvim. Les deux étaient des formes créées par l’homme, mais les Kérouvim étaient des objets sacrés et le Veau d’or était un péché grave. La différence profonde, explique le Kuzari, réside dans le fait que les Kérouvim ont été faits sur ordre explicite de Dieu, tandis que le Veau d’or était une initiative humaine sans commandement.

Ainsi, la question persiste : la Torah rejette-t-elle totalement l’initiative humaine dans la religion ?

L’initiative humaine dans le cadre du commandement divin

La réponse est bien entendu que l’homme peut initier et créer, car il a été créé à l’image de Dieu et possède une capacité de création. La première action de l’homme – l’allumage du feu après le Shabbat – est considérée comme un acte de création ex nihilo, et le feu lui-même constitue la base de toute création.

Cependant, l’initiative personnelle ne peut exister que dans le cadre du commandement, lorsque l’homme agit en accord avec la volonté de Dieu. Dieu ne prive pas l’homme de créativité ; Il lui donne la liberté d’ajouter tant qu’il reste dans les limites établies par la Torah. Ainsi, l’homme peut embellir les mitzvot selon ses désirs, choisir le Etrog qui lui convient, et définir ce qui est “beau” pour lui.

Un exemple marquant de cela est la figure de Betsalel (Exode 28). Dieu lui ordonne de créer le Michkan, et la Torah le décrit de manière exceptionnelle : “Je l’ai rempli de l’Esprit de Dieu, de sagesse, d’intelligence, de compréhension et de toute œuvre artisanale” (Chémot 31:3). Ainsi, Betsalel est décrit comme ayant des talents créatifs exceptionnels. Cela montre qu’il y a de la place pour la création tant qu’elle respecte le commandement, sans en sortir.

Un autre exemple est le Kiyor dans le Michkan. Contrairement à d’autres objets du Michkan, aucune dimension exacte n’a été définie dans le commandement original. La Torah ne précise pas sa longueur, sa largeur ou sa hauteur. En réalité, la taille du Kiyor a été déterminée directement par la quantité de miroirs que les femmes d’Israël ont donnés.

L’originalité du Kiyor réside dans le fait qu’il a été fabriqué à partir de miroirs – des objets utilisés personnellement et quotidiennement par les femmes – et transformés en objets sacrés. Les femmes ont apporté les miroirs de leur propre initiative, et la quantité de miroirs apportés a déterminé les dimensions et la forme du Kiyor.

Ici, nous voyons un exemple clair de créativité humaine opérant dans le cadre du commandement divin : Dieu a ordonné la fabrication du Kiyor, mais le résultat final – sa taille, son apparence et le matériau exact utilisé – dépendait de l’action humaine et de son initiative. C’est un partenariat spécial entre le commandement divin et la participation humaine.

Initiative et obéissance – une connexion à son moi véritable

Mais il y a quelque chose de plus profond ici :

Lorsqu’une personne obéit au commandement de Dieu, elle ne fait pas simplement une action extérieure, mais elle se connecte à sa véritable essence – son âme divine. L’ego, qui est la conscience personnelle et éphémère, ne représente pas le véritable moi de l’homme. L’âme, qui est une part de Dieu, amène l’homme à une plénitude intérieure. En agissant selon la volonté de Dieu, l’homme révèle sa connexion authentique avec la source de la vie et réalise son potentiel spirituel.

C’est pourquoi l’initiative personnelle dans le judaïsme n’est pas opposée à la Torah, mais elle existe en elle, dans le cadre de l’obéissance à la volonté de Dieu – une voie qui conduit l’homme à l’accomplissement intérieur de lui-même et de son monde spirituel et divin.

Betsalel, qui possédait des talents exceptionnels, est décrit dans la Torah comme ayant des qualités similaires à celles de Dieu – en sagesse, en compréhension et en connaissance. En fait, il était tellement connecté à son âme intérieure que son pouvoir créatif correspondait en grande partie à la capacité divine de création. Il savait comment assembler les lettres et construire un “petit monde”, comme Dieu avait créé le grand monde.

Il est possible de soulever un paradoxe concernant Betsalel : d’une part, il est décrit comme ayant des compétences créatives exceptionnelles. D’autre part, la description de la construction du Michkan fait preuve d’un grand souci du détail et d’une attention à chaque aspect, avec l’expression “comme l’Éternel avait ordonné à Moché” répétée plusieurs fois, sans aucune déviation du plan original. Cependant, c’est en suivant strictement le commandement de Dieu que Betsalel a pu exprimer ses caractéristiques intérieures de manière optimale.

“Un feu étranger” – exemples dans la vie quotidienne

On peut dire que ce qui distingue une initiative positive d’une initiative nuisible est son degré d’adéquation avec le commandement divin. Parfois, nous risquons de nous rapprocher de Dieu de manière qui n’est pas nécessairement conforme à la loi, en tentant d’améliorer notre service de Dieu par des moyens qui contournent ou enfreignent le commandement. Un exemple en serait la prière en communauté, mais à des endroits ou à des moments inappropriés, ou l’achèvement de la prière au milieu du Kaddish, dans le désir de se sentir proche de Dieu. Cependant, en l’absence de respect de la loi, nous risquons de nous éloigner de la sainteté et de manquer le véritable but de la prière.

Le thème central de cet article réside dans la tension intérieure entre le hassidisme et le lituanisme, où le hassidisme cherche à éveiller l’homme et à le conduire à une élévation personnelle à partir de sentiments mélangés, de passion et de connexion intérieure. Cependant, il est juste de dire que le hassidisme ne peut exister sans le respect des bases halakhiques qui guident tout le chemin.

Le Rav Kook définit “le feu étranger” en affirmant qu’il doit y avoir un équilibre entre l’intellect et l’émotion, entre la loi et l’enthousiasme. Dès que l’émotion se déconnecte du cadre intellectuel et halakhique, elle peut devenir un feu étranger.

Conclusion

L’initiative personnelle, lorsqu’elle est fondée sur le commandement, constitue un partenariat avec la volonté divine et conduit à la réalisation du potentiel spirituel de l’homme. Aujourd’hui, lorsque nous faisons face à des défis de créativité et d’innovation dans le service de Dieu, il est important de se souvenir de ce principe : une véritable création est celle qui est réalisée dans l’obéissance et la compréhension du cadre divin.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.