La spécificité du Korban Chelamim
Notre paracha ouvre le livre des sacrifices, détaillant les différents types d’offrandes présentées au Beit Hamikdach. L’un des sacrifices mentionnés est le korban chelamim, concernant lequel il faut noter une particularité intéressante : contrairement aux autres sacrifices, le chelamim est le seul qui peut être offert avec un mâle ou une femelle, selon le choix de l’offrant. Alors que le korban olah provient uniquement d’un mâle et le korban ‘h’atat uniquement d’une femelle, ici la Torah souligne : « que ce soit un mâle ou une femelle ». Pourquoi cette distinction ?
Il faut également remarquer que dans le verset concernant le chelamim, le préfixe « zevah » est employé contrairement aux autres korbanot : « Et si son offrande est un zevah-chelamim ». Il est intéressant de noter que ce terme se répète aussi dans le verset récapitulatif de la paracha suivante : « Telle est la loi concernant la olah, la minha, le ‘h’atat, le acham, les milouim et le zevah chelamim » (Vayikra 7:37). Quelle est la raison de l’association du mot ‘zevah’ spécifiquement au chelamim ?
De plus, il existe un commandement unique concernant le korban chelamim dans la parashat Kedoshim (chapitre 19, verset 5) : « Et lorsque vous sacrifierez un zevah chelamim à l’Éternel, sacrifiez-le pour être agréés ». Pourquoi la Torah emploie ces termes spécifiquement pour le korban chelamim ?
Enfin, il nous faut comprendre pourquoi le korban chelamim est nommé au pluriel.
Les sacrifices : symbole de l’âme humaine
Il est reconnu que tous les sacrifices ne sont pas destinés, dans leur sens simple, à offrir des animaux au Seigneur, mais leur objectif principal est d’éveiller l’âme de celui qui offre. Comme le cite le psaume d’Assaf dans Tehilim (50), il faut se garder d’être hypocrite, en essayant de paraître juste en apportant de nombreux sacrifices.
La faute : un déséquilibre entre intellect et action
Dans ce contexte, on peut interpréter que les trois sacrifices principaux – h‘atat, olah et chelamim – représentent trois dimensions différentes de l’âme humaine. Chacun offre un reflet profond de l’âme de celui qui offre, comme nous] allons l’expliquer.
L’être humain est divisé en deux parties principales : les instruments de la pensée et les instruments de l’action. Le Créateur a doté l’homme d’un intellect, entièrement droit, situé dans la partie supérieure du corps, la tête, comme influenceur et guide. La partie inférieure du corps, en revanche, est composée des instruments de l’action, qui sont censés être gouvernés et obéir aux instructions de l’intellect.
Le Kli Yakar dans son livre « Ir Guiborim » explique que lorsqu’une personne pèche par inadvertance, elle est en fait entraînée par son corps, ses actions dominant sa pensée. C’est le signe d’un défaut dans la force réceptrice de l’homme, représentée par l’aspect féminin. Par conséquent, le korban h’atat, dont le but est d’expier ce type de transgression, est choisi parmi les femelles.
En revanche, le korban olah concerne les mauvaises habitudes ou les pensées de transgression qui n’ont pas abouti à une action concrète. Dans ce cas, la faute reste au niveau de la pensée, mais le corps a réussi à se retenir malgré le désir de l’esprit. Le korban olah, qui renforce la force dispensatrice de l’homme, est choisi parmi les mâles.
Le korban chelamim, troisième type de sacrifice, tire son nom du mot « perfection » (shalem), car il réussit à unifier les deux dimensions : l’intellect et l’action. C’est une véritable perfection, où le corps est soumis à l’intellect, et l’intellect répond aux besoins du corps. C’est pourquoi le korban chelamim est choisi indistinctement parmi les mâles et les femelles, signe de la connexion harmonieuse entre les forces masculines et féminines.
Le chemin vers la paix : l’équilibre entre pensée et action
En résumé, le korban chelamim représente l’équilibre et l’harmonie entre la pensée et l’action, et souligne l’importance du libre arbitre dans l’offrande. Il nous enseigne la profondeur de la relation entre l’homme et D-ieu, où l’intellect et l’action s’entremêlent, créant ainsi une perfection spirituelle et psychique.
L’homme est facilement attiré par l’un des deux extrêmes – la vie de pensée ou la vie d’action. Mais la recherche de l’équilibre entre les deux constitue un défi non négligeable, nécessitant un effort considérable et une compréhension profonde.
Donner un sens au corps comme partie intégrante de la grandeur de l’homme, qui tire son origine de l’intellect, est le principe central qui sous-tend le korban chelamim. Comme le souligne le midrash (Tanhuma Tsav 4), la particularité de ce sacrifice, contrairement aux autres, réside dans le fait que même les propriétaires peuvent en tirer un plaisir physique. Ce n’est pas par hasard que cela crée la « paix » à tous les niveaux (chalom, qui signifie paix, partage la même racine que ‘chelamim’), chacun ayant une part du korban : la personne qui offre, le cohen qui sacrifie, et le Créateur lui-même.
En effet, lorsqu’il y a une connexion complète entre l’homme et lui-même, et entre lui et son Créateur, la paix devient possible entre les créatures – « chelamim » au pluriel exprimant l’harmonie complexe de tous les facteurs impliqués.
Le festin des Chelamim – célébration du corps et de l’esprit ensemble
Dans ce contexte, on peut comprendre l’accent mis sur l’expression « zevah shelamav ». Dans la Torah, le terme ‘zevah’ fait référence à un repas où la viande de l’animal est consommée. On en trouve un exemple dans l’histoire du groupe de Yaakov : « Et Yaakov offrit un zevah sur la montagne et invita ses frères à manger du pain ». Cela signifie qu’il a préparé un repas pour qu’ils mangent ensemble avant de se séparer, comme l’explique le Radak.
Cette caractéristique essentielle du korban chelamim est le festin, qui met en valeur l’élévation du corps humain, et le fait que ce repas et le plaisir corporel sont en harmonie avec le monde de la pensée et la volonté divine. Ce niveau est propre à Israël, comme l’indiquent les paroles des Sages : « Un non-juif qui apporte des chelamim, on les offre comme olot » (Menahot 73). Ici, les Sages soulignent que la connexion du korban chelamim – le lien entre les mondes spirituels et les plaisirs matériels – est inconcevable aux yeux du non-juif, dont la perception est limitée au korban olah, dans lequel tout est destiné au Très-Haut.
Yaakov Avinou : le premier à offrir un chelamim
Le premier dans l’histoire à avoir offert un korban chelamim est Yaakov Avinou, en route vers l’Égypte pour rencontrer Yossef avant sa mort. Il s’arrête à Beer Sheva et y offre un sacrifice : « Et il sacrifia des zevahim au Dieu de son père Yitshak » (Berechit 46:1).
Yaakov n’est pas le premier à offrir des sacrifices à D-ieu, car Noah, Avraham et Yitshak l’ont précédé, mais il est le premier à sacrifier des ‘zevahim’ comme le souligne le Ramban. Yaakov, en tant que troisième patriarche, incarne l’attribut de Tiferet, il est celui qui peut relier tous les mondes en une seule dimension de perfection. C’est pourquoi il est appelé « ish tam » – un homme intègre, parfait, et nous sommes nommés d’après lui, car c’est notre aspiration dans le monde : chercher la perfection avec nous-mêmes, la paix avec les créatures, et la paix avec D-ieu.
« Lirtzonkhem Tizbakhouhou » – la volonté de qui ?
Sur la base de cette analyse, on peut éclairer le verset spécial concernant le korban chelamim : « לרצונכם תזבחוהו ». Ce verset a reçu deux interprétations principales des commentateurs.
Rashi interprète l’intention du verset comme se référant à la volonté de D-ieu : « Vous le sacrifierez pour être agréés ». On peut comprendre cette interprétation ainsi : puisque le korban chelamim est le seul qui permet à l’homme d’en tirer du plaisir, il existe un risque que l’homme détache ce plaisir de l’intention du commandement du sacrifice. Par conséquent, la Torah avertit l’homme que tout ce processus doit être conforme à la volonté divine.
D’autre part, Ibn Ezra interprète le verset de manière opposée, en soulignant que ce sacrifice doit venir de la volonté de l’homme et non par contrainte. Cette interprétation s’accorde parfaitement avec l’essence du korban chelamim, qui exprime les désirs de l’homme tels qu’ils sont, tout en les reliant à la volonté divine.
Le Korban Pessah – sacrifice ou repas familial ?
Le korban Pessah, premier sacrifice offert lors de la sortie d’Israël d’Égypte, constitue le premier commandement donné avec la transformation du peuple juif en nation. Mais si nous essayons de définir l’essence de ce sacrifice, nous soulevons un point intéressant : s’agit-il vraiment d’un sacrifice au sens plein du terme, ou plutôt d’un repas ayant une signification spirituelle profonde ?
Les caractéristiques fondamentales d’un sacrifice comprennent généralement l’aspersion du sang et la combustion des entrailles sur l’autel. Cependant, lors du Pessah d’Égypte, rien n’a été offert à D-ieu, il faut donc comprendre quel était l’enjeu du Pessah d’Égypte ? On pourrait soutenir qu’il s’agissait d’une sorte de repas familial, dont le but était de souligner la distinction entre Israël et l’Égypte. Comme il est dit dans la Torah (Bereshit 43) : « Les Égyptiens ne peuvent pas manger de pain avec les Hébreux, car c’est une abomination pour les Égyptiens ».
Néanmoins, cette interprétation n’est pas totalement convaincante, car nous trouvons plusieurs détails dans le Pessah d’Égypte qui le relient au monde des sacrifices. Par exemple, l’ordre de prendre un agneau d’un an précisément, la loi de ne pas en laisser jusqu’au matin et de brûler ce qui reste, et la manière de le rôtir « sa tête avec ses pattes et ses entrailles » – tout cela rappelle les lois des sacrifices.
Il semble que le Pessah d’Égypte comportait également l’aspersion du sang. Certes, ce n’était pas sur l’autel, mais sur le linteau et les deux montants de la porte. Dans la Guemara (Pessahim 96), on trouve une opinion qui relie cette aspersion à celle sur l’autel, lorsque Rav Yossef note qu’il y avait trois autels : sur le linteau et sur les deux montants.
Quand la maison se transforme en autel, tous les accusateurs disparaissent
À la lumière de cela, on peut comprendre que le korban Pessah constitue la racine du service des sacrifices dans son ensemble. Il fonctionne également comme un korban chelamim, car celui qui offre un Pessah à d’autres moments de l’année est considéré comme offrant un chelamim (Zevahim 114). La particularité de ces deux sacrifices réside dans le fait qu’ils accordent une place à la consommation par l’homme, et ils sont donc les deux seuls sacrifices dans la Bible appelés du nom de ‘zevah’.
Cependant, le korban Pessah a une dimension unique qui le distingue, car son essence est la consommation (Pessahim 66). Il incarne la perfection que le juif peut atteindre. Dans le Pessah d’Égypte se développe une expérience riche qui combine à la fois la dimension du repas et celle du sacrifice, où la maison de l’homme sert de substitut à l’autel.
Le Pessah d’Égypte était le premier repas que les Israélites ont mangé de leur propre chef, autour de la table de leur Père celeste. Lorsque la maison devient un autel, et que les membres de la famille substituent la combustion sur l’autel par leur propre consommation, un lien profond et spécial se crée entre le spirituel et le matériel, et une force intérieure qui protège contre toute force de destruction. C’est la véritable liberté, une liberté qui découle de la reconnaissance de la valeur de la vie et de la connexion à la sainteté.