Les bâtons de l’Arche – La Torah au-delà de l’espace et du temps
Dans la paracha de Pekoudé, tous les objets du Tabernacle sont mentionnés, mais les bâtons – ces barres servant à transporter les objets – sont mentionnés uniquement pour deux objets : l’Arche de l’Alliance et l’Autel des sacrifices. Car pour l’Arche et l’Autel des sacrifices, les bâtons ne sont pas simplement des outils pour le transport, mais font partie intégrante de l’objet lui-même.
Cela est particulièrement évident dans le cas de l’Arche de l’Alliance, à propos de laquelle il est dit : « Dans les anneaux de l’Arche, il y aura les bâtons, ils ne s’en retireront pas » (Chémot 25:15). L’interdiction de retirer les bâtons de l’Arche souligne qu’ils sont une partie indissociable de celle-ci. De nombreux commentateurs expliquent que cela vise à exprimer la sainteté de l’Arche, à ne pas la toucher de manière excessive. Cependant, le Rav Shimshon Raphael Hirsch propose une signification très intéressante : « Les bâtons faisaient partie intégrante de la structure symbolique de l’Arche… Leur présence constante témoigne du fait que la Torah de Dieu n’est liée ni à un lieu particulier ni à un moment spécifique… » (Rav Hirsch, Chémot 25).
Le Rav Hirsch explique que les bâtons ne sont pas seulement un moyen de transporter l’Arche, mais un symbole du fait que la Torah n’est pas attachée à un lieu géographique particulier. Contrairement à la table et au chandelier – qui symbolisent la vie matérielle et spirituelle d’Israël, liées à la Terre Sainte – la Torah elle-même est divine, transcendant le lieu et le temps, et c’est pourquoi l’Arche est toujours portée.
La Torah appartient-elle à la Terre d’Israël, ou l’inverse ?
Certains s’opposent à cette interprétation, car nous trouvons un autre commandement qui lie la Torah au lieu : « Et tu écriras sur les pierres toutes les paroles de cette Torah » (Dévarim 27:3). Lors de l’entrée d’Israël en Terre promise, la Torah a été inscrite sur les pierres, ce qui semble indiquer une connexion étroite entre la Torah et la Terre d’Israël. De plus, nos Sages disent : « Il n’y a pas de Torah comme la Torah de la Terre d’Israël » – c’est-à-dire que la plénitude de la Torah se réalise en Terre d’Israël.
Cela semble contredire l’interprétation du Rav Hirsch, car selon lui, la Torah n’est pas entièrement liée à un lieu, tandis qu’ici nous voyons une connexion profonde entre la Torah et la Terre d’Israël, une relation complète et absolue entre les deux.
Il est clair que ce débat reflète une différence de vision profonde entre les courants religieux traditionnels et les mouvements plus sionistes.
Mais il semble que l’inscription de la Torah sur les pierres à l’entrée en Terre d’Israël ne contredit pas du tout les propos du Rav Hirsch. La Torah, en elle-même, est une réalité divine, éternelle et absolue, comme le dit le « Nefesh HaChaim », selon lequel la Torah fait partie de Dieu. Par conséquent, la Torah a été donnée dans le désert, un lieu ouvert à tous, pour montrer qu’elle appartient à tous et n’est pas liée à un endroit particulier. Sur cette base, le Rav Hirsch affirme que les bâtons symbolisent le fait que la Torah ne se limite pas à un endroit spécifique.
Cependant, l’homme – lui, appartient à un lieu. L’homme a été créé à partir de la terre d’Israël, et c’est en Israël qu’il peut réaliser la Torah de manière la plus complète. On pourrait dire que le don de la Torah a certes eu lieu dans le désert, mais sa réception complète ne se réalisera pleinement qu’en Terre d’Israël. C’est pourquoi, lors de l’entrée en Terre d’Israël, la Torah a été écrite sur les pierres – car c’est ici que commence le processus de sa mise en pratique dans la vie concrète.
Les bâtons de l’Arche – la connexion entre la Torah divine et l’homme terrestre
Cela illustre bien la fonction des bâtons de l’Arche qui dépassent le rideau : « Les têtes des bâtons apparaissaient depuis le Saint des Saints, mais on ne les voyait pas à l’extérieur » (Melakhim 1 8:8). Les bâtons – qui symbolisent le port de la Torah par l’homme – étaient la seule partie visible à l’extérieur du Saint des Saints. Ils reliaient l’Arche cachée, qui symbolisait la Torah divine au-delà du temps et de l’espace, à l’homme situé dans le monde matériel, à son lieu naturel – la cour du Tabernacle, à l’emplacement de l’autel des sacrifices.
C’est cela le rôle de la Torah : être divine, mais guider l’homme dans la réalité terrestre. Ainsi, la Torah elle-même est au-dessus du temps et de l’espace, mais son rôle est de descendre vers l’homme et de transformer sa vie.
Cela reflète aussi le sens de l’avertissement : « Car J’ai donné un bon enseignement, n’abandonne pas Ma Torah » (Michlé 4:2). Il y a ici un double message : d’un côté, la Torah a déjà été donnée à Israël – elle est en leur possession et elle leur appartient. Mais de l’autre côté, il est interdit de perdre de vue son origine. Même si la Torah nous a été donnée, elle reste connectée à sa source divine.
Cette expression d’ « abandonner Ma Torah » est mentionnée par le Saint béni soit-Il comme la cause de la destruction du temple et de l’exil de la terre d’Israel, comme il est expliqué dans le Talmud (Baba Metsia 85a) : « Pourquoi la terre a-t-elle disparu ? Parce qu’ils ont abandonné Ma Torah ». Cela ne signifie pas qu’ils ont cessé d’étudier la Torah, mais comme il est expliqué dans le Talmud, « ils ne bénissaient pas la Torah en premier », c’est-à-dire qu’ils étudiaient la Torah mais la considéraient uniquement comme une sagesse humaine, sans voir en elle une parole de Dieu.
Entrée en Terre d’Israël : la concrétisation de la réception de la Torah
La connexion à la Terre d’Israël n’est pas technique – elle découle de l’accomplissement de la réception de la Torah. La Torah elle-même a été donnée dans le désert, un lieu ouvert à tous, parce qu’elle dépasse le temps et l’espace. Mais sa perfection se réalise en Terre d’Israël, où elle devient une réalité concrète dans un cadre national.
Tant qu’Israël reste connecté au Donneur de la Torah, ils ont droit à la terre, car c’est son but – réaliser la Torah dans la vie du peuple. Mais dès que la Torah se déconnecte de sa source divine et devient une question culturelle ou intellectuelle seulement, la connexion à la Terre est perturbée. La terre ne nous est pas donnée par des lois extérieures, mais par la connexion au Donneur de la Torah.
Les bâtons de l’Arche, d’un côté, rendent la Torah transcendantale par rapport au lieu et au temps, symbolisant sa dimension divine. Mais d’un autre côté, ils relient l’homme à la Torah, car l’Arche elle-même porte ses objets. La Torah s’adresse à l’homme et lui permet de transformer la vie terrestre en une vie spirituelle, tout en maintenant une connexion constante à sa source divine.
La Terre d’Israël : Le lieu de rencontre entre l’homme et son Créateur
Une conception erronée serait de penser que la matérialité de la Terre d’Israël est spirituelle en soi, comme si elle contenait la spiritualité de manière autonome. La Terre d’Israël est en effet un lieu capable de se connecter au divin, mais il ne faut pas lui attribuer un but indépendant, comme si elle était spirituelle par elle-même. La Terre d’Israël est le lieu de rencontre entre l’homme et son Créateur, mais cette rencontre n’est possible que lorsque nous restons toujours connectés à la source divine de la Torah. La Torah elle-même est spirituelle, au-delà du temps et du lieu, et notre vie terrestre doit être une vie spirituelle toujours connectée à la source divine de la Torah.
Tant que nous restons coincés dans la matérialité de la Terre d’Israël, sans nous connecter au Donneur de la Torah, rien ne garantit notre pérennité sur cette terre.