Chemini – Exister pleinement, c’est exister pour les autres

Chemini – Exister pleinement, c’est exister pour les autres

La mention du péché du Veau d’Or au cœur de la joie

Notre paracha nous invite à méditer sur un moment très significatif, le “huitième jour”. En ce jour, où le peuple d’Israël se trouve au cœur de l’inauguration du Michkan et du service divin, la joie ressentie par la Chekhina est décrite par nos Sages comme similaire à la joie qui régnait auprès de D-ieu le jour de la création du ciel et de la terre. C’est un jour orné de dix couronnes, symbolisant les dix événements majeurs qui furent alors inaugurés. Un jour qui représente un renouveau guidant le peuple d’Israël vers le sommet de la sainteté.

Et pourtant, au cœur même de ce jour sacré, Aharon haCohen fut chargé en premier lieu d’offrir devant l’Éternel « un veau en expiation et un bélier en holocauste ». Comme l’écrit Rachi, ce veau servait de rappel du grave péché commis par Israël avec le Veau d’Or, et annonçait que le Saint béni soit-Il l’avait pardonné.

Le souvenir de cette faute au milieu d’une journée de si grande célébration peut sembler contredire l’amour que nous cherchons à cultiver à ce moment. Pourquoi remémorer cette grave chute dans une atmosphère aussi sublime ? Tout comme le Cohen Gadol s’abstenait de porter des vêtements d’or dans le Saint des Saints au Yom Kippour, car « un accusateur ne peut devenir un défenseur », il ne convient pas non plus d’évoquer cette faute, décrite par nos Sages comme « une nouvelle mariée trompant son mari dans la maison de son père », au beau milieu de ce jour de l’érection du Michkan, qualifié de « jour de noces » avec Hachem.

Il est également intéressant de se pencher sur ce que la Torah mentionne comme le couronnement de la cérémonie : la Bénédiction des Cohanim. Les versets nous décrivent comment Aharon leva les mains vers le peuple pour le bénir, et insistent sur le fait que c’était la conclusion du service des offrandes de cette journée particulière : « Aharon étendit ses mains vers le peuple et le bénit ; et il redescendit, après avoir offert l’expiatoire, l’holocauste et le rémunératoire » (Vayikra 9:22). Cela laisse place à la réflexion.

Aharon – celui qui conduit la mariée à la noce

En fait, ces offrandes lors de l’inauguration du Michkan révèlent la raison pour laquelle Aharon fut choisi, et sa descendance après lui,  pour officier dans le Sanctuaire. C’est lui qui fut choisi pour expier son peuple et servir d’intermédiaire entre eux et leur Père Céleste. L’expiation pour le Veau d’Or illustre la grandeur du pardon divin, mais aussi le rôle de Aharon en cela. Essayons d’expliquer cela.

Aharon commence par l’expiation personnelle, puis passe à celle du peuple, comme il est dit : « Moché dit à Aharon : Approche de l’autel, offre ton expiatoire et ton holocauste, obtiens propitiation pour toi et pour le peuple; puis, offre le sacrifice du peuple et obtiens-lui propitiation, comme l’a prescrit l’Éternel » (Vayikra 9:7).

Ce commandement soulève une difficulté. Si Aharon offre une expiation « pour lui et pour le peuple », pourquoi le peuple doit-il apporter une offrande supplémentaire pour lui-même ? Ibn Ezra remarque cela, et explique que l’offrande principale est l’expiatoire pour le peuple, mais pour que Aharon puisse offrir l’expiatoire du peuple, il doit lui-même être pur. C’est ce que dit le Talmud : « Mieux vaut qu’un innocent vienne et expie pour le coupable » (Chevouot 14a).

Mais cela n’explique toujours pas suffisamment la répétition dans le verset. Et l’on peut encore se demander : qui donc expiera pour Aharon ? Puisque en effet il n’est pas encore considéré comme innocent, comment peut-il alors expier pour lui-même ?

Rabbi Chelomo HaCohen de Radomsk nous livre une interprétation merveilleuse à ce sujet dans son livre Tiferet Chelomo. Ce verset révèle toute la grandeur de Aharon, dont l’essence même était de se consacrer non à lui-même mais entièrement pour la collectivité d’Israël. Aharon haCohen est décrit dans le Zohar comme le “chouchbin” (garçon d’honneur) qui conduit la mariée à la noce, car son rôle était de servir d’intermédiaire et de conduire le peuple d’Israël vers l’Époux – le Saint béni soit-Il. Ainsi, il n’est pas surprenant de savoir que Aharon était le seul à réussir à instaurer la paix entre un homme et son épouse, et entre un homme et son prochain.

Le rôle de Aharon dans la faute du Veau d’Or

Cette qualité de Aharon s’est manifestée tout particulièrement lors de l’histoire du Veau d’Or. Dans cette faute dramatique qui a changé le cours de l’avenir du peuple qui venait de recevoir la Torah, Aharon joua un rôle actif. C’est même lui qui prit l’initiative et rassembla l’or du peuple pour en former le Veau. Comment est-ce possible ?!

Le Midrach nous explique que Aharon vit et comprit l’immense dommage que causerait ce grave péché sur le point d’être commis par le peuple, et se dit : « Mieux vaut que la faute retombe sur moi que sur Israël ». C’est comme un fils de roi qui, dans son arrogance, prit une épée pour blesser son père. Son précepteur lui dit : « Ne te donne pas cette peine, donne-la moi et je le frapperai ». Le roi les aperçut et dit au précepteur : « Je sais quelle était ton intention, mieux vaut que la faute retombe sur toi plutôt que sur mon fils ».

Telle est la grandeur de Aharon. Il était prêt à accumuler les fautes sur lui-même et à transformer le péché le plus grave en une faute personnelle, pour qu’il n’y ait point d’accusation contre le peuple d’Israël. Il ne vivait pas pour lui-même, sa vie était celle du peuple.

À la lumière de cela, nous comprendrons mieux la signification des offrandes dans notre paracha. Aharon n’avait pas, en réalité, besoin d’expiation pour lui-même, car son seul objectif était le bien du peuple d’Israël. Le sens des mots : « Tu feras l’expiation pour toi et pour le peuple » est que ce que tu expies pour toi, c’est aussi pour le peuple.

Autrement dit, Aharon s’était impliqué dans la faute pour le bien du peuple, ainsi lorsqu’il vint offrir son sacrifice, ce n’était rien d’autre qu’un prélude au sacrifice du peuple, parce qu’un innocent doit venir expier pour le coupable. C’est pourquoi le verset dit ensuite immédiatement : « Et fais le sacrifice du peuple ».

Cela explique également comment Aharon put expier pour lui-même alors qu’il était encore coupable. Toute l’expiation pour lui-même n’avait pour but que l’expiation du peuple, et dans ce cas, le principe de « tout vient ensemble » s’applique.

C’est pour cela que tu as été choisi

Nous pouvons désormais comprendre les paroles de Rachi : « Aharon avait honte et craignait d’avancer, alors Moché lui dit : Pourquoi as-tu honte ? C’est pour cela que tu as été choisi ». La raison pour laquelle Aharon avait honte, c’est qu’il avait fait le Veau d’Or, et dans ce cas, il faut expliquer ce que Moché lui a répondu.

En réalité, l’intention de Moché était de dire que, au contraire, sa participation au Veau d’Or était précisément la raison pour laquelle il avait été choisi. Son dévouement pour sauver Israël de l’anéantissement a révélé qu’il était celui qui méritait d’expier pour le peuple et de le relier à leur Père Céleste.

Qui nous as sanctifié par la sainteté de Aharon

D’après tout cela, nous pouvons comprendre le sens du passage de l’“élévation des mains” qui conclut la section des offrandes du huitième jour. Comme l’écrit le Netziv, la formulation du verset indique que Aharon n’avait pas encore reçu l’ordre concernant la Birkat Cohanim, mais qu’il prit lui-même l’initiative de bénir le peuple, c’est pourquoi il leva les mains vers le haut, non pour recevoir mais pour donner. Aharon transmettait ainsi que toute son essence était d’être le canal reliant le peuple à leur Père Céleste, et que c’est donc à travers lui que passait la bénédiction. À ce moment-là, Aharon mérita cette mitsva pour lui et ses descendants, comme nous dit le Torat Cohanim.

Dans le sidour Otsar HaTefillot est expliquée ainsi la formulation instituée par nos Sages pour les Cohanim dans leur brakha avant de bénir le peuple : « Qui nous a sanctifiés par la sainteté d’Aharon et nous a ordonné de bénir Son peuple Israël avec amour » (Sota 39a). Ce qui est surprenant à première vue : pourquoi les Sages ont-ils modifié la formulation habituelle des bénédictions « Qui nous a sanctifiés par Ses mitsvot », pour évoquer « la sainteté de Aharon » ? De fait, ils ont voulu indiquer par ces mots que les Cohanim ont mérité cette mitsva grâce à Aharon, car c’est lui qui conçut cette bénédiction avant même qu’elle ne devienne une mitsva, et grâce à cela les Cohanim ont mérité cette mitsva pour les générations.

Le cadeau unique reçu par les Cohanim – bénir le peuple

Concluons par les paroles du Midrach qui explique pourquoi la Bénédiction des Cohanim ordonnée dans la paracha Nasso commence par le mot “Koh” (“Ainsi vous bénirez”). C’est parce qu’ils allaient recevoir vingt-quatre dons liés à la prêtrise, et avec celui-ci c’en faisait vingt-cinq, la valeur numérique de “KoH”. On pourrait se demander quel avantage les Cohanim trouvent dans cette bénédiction pour qu’elle soit considérée comme l’un des dons liés à la Kehouna ?

Toute l’essence de Aharon était de donner, et c’est par là qu’il prit l’initiative de bénir le peuple avec cette formule, jusqu’à ce que D-ieu, percevant la profondeur de ce désir, lui en fit don à lui et à sa descendance sous forme de mitsva.

Le secret de donner la bénédiction réside dans le regard bienveillant et l’amour que porte le bénisseur envers celui qu’il bénit. C’est la raison pour laquelle nos Sages ont façonné Birkat Cohanim avec une touche unique, en y insufflant l’essence de l’amour – « qui nous a ordonné de bénir Son peuple Israël avec amour ». Comme l’explique le Zohar, si un Cohen n’a pas de lien harmonieux avec la communauté, il est recommandé qu’il ne lève pas les mains pour bénir, car un tel geste serait dépourvu de sens véritable.

Dans ce contexte, nos Sages citent le verset « Celui qui a bon cœur sera béni » (Michlé 22:9), et suggèrent de lire “yevarekh” (il bénira) au lieu de “yevorakh” (il sera béni). Ce changement de perspective met l’accent sur la force de donner activement des bénédictions aux autres plutôt que de simplement les recevoir. Mais il semble que les termes du verset – il sera béni – révèlent cette vérité profonde que les véritables bénédictions ne résident pas dans le fait d’être béni, mais dans la capacité de bénir les autres. Une vie centrée non sur soi-même mais sur le service d’autrui au sens large incarne une richesse incommensurable.

Paradoxalement, c’est en vivant pour les autres qu’une personne découvre un sentiment accru d’accomplissement personnel et d’élévation de son être et de sa stature. Ce principe se reflète dans l’appellation dont Aharon a été honoré au cœur même de la bénédiction destinée au Tout Puissant. Exister pleinement, c’est exister pour les autres.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.