Parachat Houkat – Les guerres d’Israël : un trop grand mystère pour le monde ?

Parachat Houkat – Les guerres d’Israël : un trop grand mystère pour le monde ?

Pourquoi un peuple juste peine-t-il à se faire entendre ?

L’une des questions les plus tenaces qui habite l’esprit du juif — en particulier en temps de conflit et de lutte — est celle-ci : pourquoi notre peuple, porteur d’une éthique parmi les plus élevées au monde, convaincu de la justesse de sa cause, peine-t-il malgré tout à faire entendre sa voix ? Pourquoi sa communication, si claire à ses propres yeux, semble-t-elle n’atteindre que lui-même, tandis que les nations refusent de l’écouter ?

Cette interrogation dépasse le seul enjeu médiatique. Elle touche au cœur de l’identité d’Israël et à la mission historique dont il se sait porteur.

Israël est né en inspirant la crainte aux peuples alentours

La crainte des nations face à la grandeur du peuple d’Israël l’accompagne dès ses premiers pas. Le chant de la Mer rouge en témoigne : « À cette nouvelle, les peuples s’inquiètent, un frisson s’empare des habitants de Peleshet. A leur tour ils tremblent, les chefs d’Édom; les vaillants de Moav sont saisis de terreur, consternés, tous les habitants de Canaan. » (Chemot 15).

Avant même d’avoir combattu, Israël inspire la peur. Une crainte profonde, instinctive, précède sa marche.

Si la peur était si forte, pourquoi n’a-t-elle pas duré ?

Et pourtant, il est dit aussitôt : « La peur et la terreur tombent sur eux…  jusqu’à ce qu’il ait passé, ton peuple, Seigneur! Qu’il ait passé, ce peuple acquis par toi. » Le Targoum Yonathan offre ici une lecture remarquable : Le premier « jusqu’à ce que Ton peuple passe » renvoie au passage du torrent de l’Arnon relaté dans notre paracha, où un miracle extraordinaire – la défaite d’une embuscade ennemie sans intervention humaine — révèle une providence discrète. Le second « jusqu’à ce que passe le peuple que Tu as acquis » évoque un miracle éclatant : le passage du Jourdain, où les eaux dressées comme un mur annoncent ouvertement l’intervention divine.

Mais surgit alors une question naturelle : Si une telle terreur avait saisi les peuples, pourquoi cette crainte ne s’est-elle pas maintenue ? Pourquoi n’a-t-elle pas accompagné Israël tout au long de la conquête, alors même que de nombreuses guerres, dures et sanglantes, l’attendaient encore ? Pourquoi cette peur n’a-t-elle pas suffi à ouvrir les portes, à briser les résistances ?

Un peuple tiraillé entre grandeur spirituelle et mission historique

C’est ici qu’apparaît un fondement essentiel de l’identité d’Israël. Il s’agit d’un peuple placé dans une tension permanente entre sa grandeur spirituelle et sa mission historique. D’un côté, un peuple élu, bénéficiant de miracles, d’une guidance divine constante. De l’autre, non pas un privilège, mais une exigence. Non pas une récompense, mais une mission. Israël ne vit pas pour lui-même — il est porteur d’un message universel, destiné à éclairer le monde. Comme nous le disons durant les yamim noraim : « Que toute créature reconnaisse que c’est Toi qui l’as créée. »

C’est pourquoi la dimension miraculeuse qui a initié notre peuple ainsi que la peur initiale qui s’est installé chez les nations, n’est qu’un prélude. Elle n’est pas destinée à durer. Elle a pour fonction d’ouvrir la voie, de permettre au peuple de s’enraciner. Mais ensuite, ce n’est plus par la peur que le chemin se poursuit — c’est par la force morale, par la justification intérieure, par la vérité.

Cette tension apparaît déjà chez Yaakov, après l’épisode de Schem, lorsqu’il réprimande ses fils : « Vous m’avez mis en mauvaise odeur parmi les habitants du pays. » Même lorsque sa cause semble juste, Israël redoute d’être perçu comme un oppresseur. Ce n’est pas là une faiblesse — c’est le reflet d’une conscience aiguë : celle d’un peuple qui sait qu’il porte quelque chose de plus grand que lui.

C’est pourquoi, dans notre paracha, dans notre paracha, Moché n’entame pas la conquête par la guerre, mais par des mots de paix adressés à Édom et à Sihon :
« Laisse-moi passer par ton pays… nous ne dévierons ni à droite ni à gauche. »
Ce n’est pas un stratagème — c’est une posture morale. La guerre n’est jamais un objectif, mais un dernier recours, réservé à l’absence totale d’alternative.

Le récit de Yiftah haGiladi

Ce même fil conducteur traverse également la haftarah de notre paracha, dans le récit de Yiftah haGiladi. Face à la menace des Ammonites, Yiftah – loin de se précipiter aveuglément vers la guerre – choisit d’abord la voie du dialogue. Son discours est remarquable par sa précision historique et son sens de la justice : “Israël, dit-il, n’a jamais conquis la terre d’Ammon. Nous avons hérité de la terre de Sihon, roi des Emorites, qui lui-même l’avait arrachée aux Moabites. Cela s’est passé il y a 300 ans, et nul ne l’a contesté depuis.

Ce n’est pas qu’une justification territoriale : c’est un plaidoyer fondé sur la vérité, la légitimité et la mémoire. Yiftah ne cherche pas à humilier son adversaire, mais à l’éclairer.

C’est dans la guerre que se forge notre identité

Mais l’on peut aller plus loin : ce ne sont ni les miracles, ni la peur, ni même les arguments rationnels qui définissent un peuple. Ce sont les guerres. Non en tant qu’outils de conquête — mais en tant qu’épreuve identitaire. 

La guerre est ce moment où un peuple doit se demander : pourquoi me bats-je ? Quelles valeurs suis-je prêt à défendre ? Quelle justice représente mon combat ?

Cette idée ressort déjà le tout premier commentaire de Rachi sur la Torah : « Il a révélé la puissance de Ses œuvres à Son peuple » — pour répondre à ceux qui diront : « Vous êtes des voleurs ! », Israël répond : « Toute la terre appartient à Dieu. » Il ne s’agit pas ici d’une justification tactique, mais d’une affirmation de foi enracinée dans une compréhension plus haute de l’histoire.

Et c’est ici que se trouve peut-être la réponse à notre question initiale : Pourquoi Israël n’arrive-t-il pas à convaincre le monde ? Peut-être parce qu’il n’est pas censé le faire selon ses propres codes.

Il existe un écart fondamental entre la langue sacrée et la langue du monde. Le monde regarde la guerre comme un outil de pouvoir, de domination, d’intérêt géopolitique. Israël, lui, ne se bat pas pour des frontières ou des ressources — il se bat pour une idée. Une idée enracinée dans le divin. Une guerre, lorsque nécessaire, n’est pas une expression de puissance brute — mais une tentative de faire émerger une vérité, d’incarner une réalité spirituelle au sein du chaos.

C’est pourquoi, précisément dans la guerre, si Israël parvient à rester fidèle à lui-même — moral, digne, équilibré — c’est là que son essence véritable se révèle. Ce ne sont ni les slogans, ni les campagnes de communication qui éveilleront le monde. Mais un peuple capable de se battre sans perdre son âme. Un peuple tenant dans une main l’épée, et dans l’autre le rouleau de la Torah.

C’est alors, et alors seulement, que le monde pourra dire : « Quelle est la grande nation qui a des lois et des jugements aussi justes ? »

Pour cela, ce n’est pas de force que nous avons besoin — mais de vérité. Non pas de miracles pour compenser la faiblesse — mais d’un peuple croyant, debout, qui affronte un monde bruyant, souvent vide, avec calme, foi et clarté. Non pour impressionner — mais pour éclairer.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.