Parachat Noah : Et si le monde n’avait pas de SAISONS ? De la prison à la liberté

Parachat Noah : Et si le monde n’avait pas de SAISONS ? De la prison à la liberté

Imaginez un monde figé : les saisons immobiles, jour et nuit identiques, pluies régulières et prévisibles. Au premier regard, cette stabilité semble séduisante : calme, sûr, rassurant. Et pourtant, notre paracha nous enseigne exactement le contraire, comme nous allons le découvrir

Quand une même cause engendre le chaos… et l’espoir

La première action de Noah en sortant de l’arche est d’offrir un korban. Un geste simple, et pourtant d’une portée vertigineuse, qui provoque une réaction immédiate et profonde : Hachem sent l’odeur agréable de l’offrande et déclare avec bienveillance : « Je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme… ».

Mais immédiatement, le texte ajoute un détail troublant : « car le cœur de l’homme est mauvais dès son enfance. » Surprenant, bouleversant même. Quelques chapitres plus tôt, c’est précisément cette même raison – la nature fondamentalement mauvaise du cœur humain – qui avait déclenché le Déluge. Comment comprendre cette énigme ? Une seule cause semble conduire à deux conclusions opposées : d’un côté, la destruction radicale, de l’autre, une promesse de patience et de tolérance. Rav Saadia Gaon ira jusqu’à proposer de modifier le sens premier du mot « ki » (« car ») pour le traduire plutôt par « malgré que », soulignant ainsi la continuité de la bienveillance divine malgré la méchanceté humaine – une interprétation audacieuse que la plupart des commentateurs classiques ne retiennent pas.

Il faut également s’interroger sur le rôle précis du korban. Pourquoi Noah l’a‑t-il offert après le Déluge et non avant ? Comment l’odeur de l’offrande a-t-elle influencé la décision divine ?

La suite du verset mérite également une attention particulière : « Tant que durera la terre, semailles et moissons, froid et chaleur, été et hiver, jour et nuit, ne cesseront jamais. » Pourquoi cette insistance et ce détail minutieux sur les cycles de la nature ?

Quand l’agitation devient moteur de transformation

Il semble que la clé se cache dans un seul mot : « mineourav », « depuis sa jeunesse ». Littéralement, ce terme dérive de la racine « lenaer », qui signifie remuer, secouer, se défaire, se débarrasser. L’adolescent, appelé naar, incarne cette dynamique : il secoue les habitudes, remet en question les règles, se détache des autorités.

À première vue, cela pourrait sembler un défaut : un manque de stabilité, une immaturité, une impulsivité déroutante. Et pourtant, c’est exactement cette agitation, cette capacité à se détacher des cadres rigides et à explorer, qui devient une force. Ce qui paraît désordonné ou instable à priori révèle en réalité une énergie créatrice, un moteur de construction personnelle. Ce « désordre » apparent permet à l’adolescent de se connaître, de tester ses limites, de se former et de se transformer.

Les neurosciences confirment ce processus : au cours de l’adolescence, le cerveau élimine certaines connexions inutilisées pour ne conserver que l’essentiel, dans un phénomène appelé « élagage synaptique ». Ce tri, loin d’être une perte, est ce qui structure, renforce et rend possible l’émergence d’une personnalité unique et adaptée.

Après le Déluge : la naissance d’un monde en mouvement

Il semble que cette idée se retrouve au cœur de la transformation du monde après le Déluge. On passe d’un univers figé, statique et absolu, à un monde en mouvement, capable de changement et de croissance. Avant le Déluge, tout était fixe : la durée du jour et de la nuit était constante, les saisons n’existaient pas véritablement. Comme l’explique le Rav Ovadia Sforno, l’inclinaison de l’équateur par rapport à l’écliptique – à l’origine des variations saisonnières – est une conséquence directe du Déluge.

Les phénomènes météorologiques eux-mêmes étaient immuables : il pleuvait une seule fois tous les quarante ans, et cela suffisait. Même les bébés étaient précoces : selon le Midrash, un enfant naissait déjà capable de marcher, et une mère pouvait lui demander de lui apporter un couteau pour couper le cordon ombilical. Les continents se sont également séparés à partir du Déluge, comme le décrit le Zohar, ce qui explique comment les différentes espèces animales se sont réparties sur l’ensemble ses continents.

En somme, le monde est passé d’un état stable et immuable à un univers en perpétuel mouvement. Cette dynamique, qui peut sembler instable ou imprévisible, est en réalité ce qui rend possible la vie, le changement et la construction de soi – un écho fascinant à l’énergie créatrice qui anime chaque adolescence.

Quand l’homme découvre que le mal n’est pas fatal

Avant le Déluge, l’homme percevait le mal qui était en lui comme quelque chose d’absolu, ancré dans sa nature, profondément enraciné dans son être. Son tempérament, fruit de sa composition par la terre, semblait l’emprisonner dans un penchant mauvais dominant et inévitable, le condamnant à se pervertir et à fauter. L’homme vivait dans une logique de perfectionnisme radical : tout ou rien. C’est pourquoi, malgré les cent vingt ans consacrés à la construction de l’arche, personne ne parvint à faire techouva.

Cette force de la terre, déjà maudite et affaiblie après la faute d’Adam, continuait à enfermer les hommes, car ils la percevaient comme immuable et fatale. Le mal semblait alors un destin inéluctable, et l’homme incapable de s’en libérer.

Ce n’est qu’après le Déluge qu’un nouveau visage du monde se révèle : un monde moins stable, plus fragile, mais ouvert au changement et à la transformation. L’homme comprend enfin que le « mal » qui est en lui n’est pas irrévocable. Il réalise que, fondamentalement, l’homme est bon, même si son tempérament peut être coléreux ou impulsif. La colère, comme toute énergie intérieure, n’est pas mauvaise en soi : c’est la manière dont elle est canalisée qui détermine si elle devient destructrice ou constructive.

Le mal comme matière première de la lumière

Le texte ne qualifie jamais l’homme de mauvais : seule la force du yetser peut se manifester ainsi. Le mot yetser lui-même vient de la racine yotser, « former ». Le mal n’est donc pas une essence gravée dans l’homme, immuable et définitive : c’est une forme, un potentiel qui naît avec lui, un état initial à partir duquel chacun est appelé à transformer, modeler et transcender. En d’autres termes, le mal n’est pas fatalité : il est matière première, invitation à la construction, défi à surmonter pour révéler le potentiel infini de l’homme.

C’est alors que Noa’h s’avance pour offrir un korban. Par ce geste, il révèle que le corps même de l’homme – pétri de la terre, façonné de matière opaque et limitée, semblable à l’animal – recèle pourtant une puissance de transformation. Les pulsions sombres et “instinctifs” deviennent élan de lumière, et la chair, offerte, se change en parfum — un souffle d’odeur pure qui s’élève vers Hachem.

L’arc-en-ciel : la lumière qui traverse l’ombre

À partir de cela, nous pouvons tenter de saisir le sens profond de l’arc-en-ciel. Après le Déluge, Dieu scella une alliance avec le monde et choisit l’arc-en-ciel comme témoignage de Sa promesse.

Rachi nous rappelle que son apparition évoque la colère divine qui s’était abattue lors du Déluge. Et pourtant, malgré ce rappel des fautes et du jugement, cet arc resplendit d’une beauté fascinante et émouvante… Comment comprendre que ce symbole de colère et de faute puisse être en même temps si lumineux et captivant ?

Rabbi Yaakov de Lissa (auteur du Netivot), explique que la révélation de la Shekhina hs’apparente à la lumière du soleil, comme l’écrit le roi David dans les Psaumes. Avant le Déluge, les péchés des hommes étaient comme des nuages qui bloquaient la lumière : « Tu t’es couvert d’un nuage pour que la prière ne passe pas. »

Pourtant, on trouve un autre symbole de la lumière divine dans la vision d’Ézéchiel, qui décrit cette lumière sous la forme de l’arc-en-ciel dans les nuages :
« Et je vis quelque chose qui ressemblait à un arc dans les nuages, au moment où se manifestait la gloire de Dieu » (Ézéchiel 1, 8). C’est pour cela que Rabbi Yéhoucha, dans le Talmud (Berakhot 59), enseigne de se prosterner devant l’arc-en-ciel : il symbolise la révélation divine.

Ce symbole apparaît après le Déluge. Même lorsque les nuages — porteurs des péchés des hommes — réapparaissent, ils ne parviennent plus à arrêter la lumière. Le soleil traverse ces nuages chargés de fautes et en fait jaillir l’arc-en-ciel : c’est seulement à travers ces nuages que se révèle la lumière divine, qui se brise en nuances éclatantes et montre comment la lumière peut illuminer même l’ombre et le péché.

Il ne s’agit plus d’une lumière uniforme et absolue, mais d’une lumière fragmentée, graduelle, riche en nuances et en subtilités : une lumière qui ne supprime pas l’ombre, mais la traverse et en fait émerger une beauté nouvelle.

Pour conclure

Un monde figé, constant, où les saisons ne changeraient jamais, aurait été un piège : il aurait paralysé l’homme, ancré en lui l’illusion d’immuabilité et renforcé la croyance qu’il est lui aussi figé, limité, incapable de se transformer.

Au-delà de la souffrance terrible que nous ne pourrons jamais pleinement décrire, les otages récemment libérés témoignent de ce que signifie vivre dans un monde “immobile” : pendant des mois, tout était identique autour d’eux, le temps et l’espace semblaient absents, les jours s’effaçaient les uns dans les autres. Cette uniformité rendait les choses presque mortes. Et pourtant, malgré cette immobilité extrême, leur esprit est resté en mouvement. Ce qui les a soutenus, c’est cette capacité intérieure à se projeter, à maintenir la lumière de l’espoir et de la conscience, à se réinventer même lorsque le monde extérieur semblait figé.

C’est en voyant le monde changer, se renouveler, se mouvoir que l’homme prend conscience de son pouvoir. Les cycles de la nature nous montrent que nous pouvons grandir, évoluer et transformer notre réalité.

Ainsi, ce que l’on pourrait percevoir comme chaos ou instabilité devient le souffle vital qui engendre inventivité, résilience et liberté.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.