Le Chabbat, prélude au tabernacle
Dans la paracha précédente, Moché reçoit l’ordre d’instruire les Bnei Israël sur la construction du Michkan, suivi ensuite de l’enseignement relatif au Chabbat. Cependant, dans notre paracha, Moché commence directement par le commandement du Chabbat avant d’aborder celui du Michkan. Rachi se réfère à la Mekhilta pour expliquer ce choix, soulignant que l’ordre du commandement du Chabbat en premier lieu met en évidence son importance et le fait qu’il ne peut être repoussé, même pour les travaux associés à la construction du Michkan. Cependant, il reste à comprendre pourquoi, dans la paracha précédente, le Chabbat n’est mentionné qu’après le commandement relatif à la construction du Michkan ?
On peut également se demander pourquoi la construction du Michkan elle-même ne repousse pas le Chabbat, alors que le service qui y est effectué, lui, repousse le Chabbat ?
Enfin, il faut aussi comprendre pourquoi le thème central du commandement sur le Chabbat est « Vous n’allumerez pas de feu dans vos demeures le jour du Chabbat ». Pourquoi, parmi toutes les activités interdites le Chabbat, la Torah choisit de se concentrer précisément sur l’interdiction d’allumer un feu ?
Le Chabbat, antidote au veau d’or
On peut expliquer la différence entre notre paracha et la précédente sur la base de l’événement qui les sépare – la faute du veau d’or. Le Chabbat présente une singularité si particulière, qu’il peut servir de réparation à la chute que les enfants d’Israël ont connue. En fait, le Chabbat est une complète antithèse à la faute du veau d’or, c’est pourquoi Moché souligne le commandement du Chabbat immédiatement après cet événement.
À partir de cela, nous pourrons ajouter qu’après la faute du veau d’or, même le Michkan ne peut exister sans le commandement du Chabbat, ce qui explique l’interdiction de construire le Michkan le jour du Chabbat. C’est le Chabbat qui ajoute de la sainteté au sanctuaire, et il n’est donc pas possible de l’ériger en profanant le Chabbat. En revanche, avant la faute du veau d’or, on pourrait soutenir que la construction du Michkan le jour du Chabbat était permise (comme l’écrit effectivement le Meshekh Hokhma), car alors la possibilité de sanctifier le sanctuaire existait indépendamment de la sainteté du Chabbat. Essayons d’expliquer tout cela.
Selon Rabbi Yéhouda Halévi (Kuzari; I, 97), le fondement de la faute du veau d’or était que le peuple pensait servir D-ieu selon leur propre intellect humain et non selon l’ordre précis de l’Éternel. Ils croyaient ainsi servir D-ieu davantage. Certes, celui qui agit selon l’inclination de son cœur le fait avec un enthousiasme excessif, mais cet enthousiasme peut entraîner l’homme dans des lieux dangereux. En revanche, celui qui agit sur ordre sait qu’il fait ce qui est juste.
Le Chabbat nous enseigne l’importance de l’effacement de soi devant une force supérieure, et la nécessité d’une juste mesure dans l’action. Il est dit : « Six jours tu feras ton travail », car l’homme a été créé dans un monde d’action pour créer et agir. Mais toutes les actions de l’homme ne prennent sens que lorsque ce principe est respecté : « Et le septième jour sera pour vous saint, le Chabbat, un repos complet ». Cela signifie que l’homme est appelé à orienter ses actes depuis le matériel et le terrestre vers une finalité céleste. Lorsque l’homme sait accepter un ordre et une autorité, il peut agir et créer d’une manière qui confère à son action une valeur supérieure. Le Chabbat est donc une occasion de s’arrêter, de réfléchir et de se connecter au but élevé de la vie, et de créer avec une conscience de sainteté et de destinée.
Le Chabbat, le souffle qui donne sens à la semaine
Le jour du Chabbat n’est pas simplement l’un des jours de la semaine, mais il constitue le cœur et l’âme de la semaine entière, d’où le fait que le terme « Chabbat » fait aussi référence à la semaine elle-même. Tout comme le cœur dans le corps n’est pas seulement un organe, mais est essentiel à la vie en fournissant de l’oxygène à chaque membre, le Chabbat ne fonctionne pas simplement comme un jour de repos à la fin de la semaine, mais il englobe toute la semaine et concerne les six jours ouvrés.
C’est la raison pour laquelle le Chabbat donne lieu et potentiel à l’existence du Temple : sans soumission à la volonté du Créateur, telle qu’exprimée par le Chabbat, rien ne garantit que la construction du Michkan sera un véritable projet divin et non une simple création humaine.
Le feu symbolise la force créatrice de l’homme
Sur cette base, nous pouvons comprendre le choix du commandement spécifique de ne pas allumer de feu le Chabbat, la seule activité parmi les 39 travaux interdits qui est explicitement écrite dans la Torah. Le feu symbolise la force créatrice de l’homme, comme l’écrit Rabbenou Bahye dans la paracha. Les Sages disent qu’à la sortie du Chabbat, l’homme fut doté de connaissance, et il frappa deux pierres l’une contre l’autre pour produire le premier feu. La découverte du feu, élément invisible dans la nature, est le résultat de la connaissance humaine, de son intellect. Toute notre capacité à développer progrès et technologie, à trouver les lois et les forces cachées dans la nature, est le résultat de l’intellect et de la connaissance humaine. De plus, le feu symbolise l’enthousiasme et le désir qui existe en l’homme.
Cette même force créatrice de l’homme, ainsi que l’enthousiasme naturel qui le pousse à agir sans ordre, peut parfois être dangereuse et conduire à des résultats indésirables, comme dans la faute du veau d’or. Selon les Sages, Aaron prit les bijoux qu’il avait en main et les jeta dans le feu, d’où sortit un veau.
Entre le Feu et la Lumière
La réparation de cette chute réside dans le Chabbat. Le Chabbat est une occasion d’arrêter l’action effrénée et de revenir à une place de sainteté et de spiritualité. Pendant le Chabbat, le feu créateur, potentiellement dangereux, se transforme en lumière qui illumine. Si au moment de la sortie du Chabbat nous bénissons le ‘feu’, au moment de l’entrée du Chabbat nous bénissons la ‘lumière’. Ainsi, nous entrons dans le Chabbat par l’allumage des bougies, action qui symbolise l’essence du Chabbat – l’introduction de la lumière divine dans notre monde.
C’est peut-être l’explication de ce qui est rapporté dans le midrach (Bereshit Rabba 11), selon lequel l’éclat du visage d’une personne pendant le Chabbat diffère totalement de l’éclat de son visage durant la semaine. Lorsque les Bnei Israël ont fauté avec le veau d’or, les couronnes qui leur avaient été données leur ont été retirées et ont été transférées à Moché Rabbenou, comme mentionné dans le Talmud (Chabbat 88). En conséquence, le visage de Moché rayonnait d’une lumière spéciale. Que sont ces couronnes ? Une pour « naassé – nous ferons » et une pour « vénichma – nous écouterons ». L’expression « nous ferons et nous écouterons » exprime le degré d’annulation du peuple d’Israël devant l’Éternel – un degré égal à celui des anges. Après la faute du veau d’or, le peuple d’Israël perdit ce niveau, mais comme écrit le Arizal, le jour du Chabbat, Moché rend les couronnes au peuple juif (Pri Etz Haïm). Le Chabbat, la lumière du visage de chaque personne brille de manière particulière et unique. Certains attribuent au Sfat Emet l’idée que c’est la raison pour laquelle, le Chabbat, il n’est pas nécessaire d’avoir des ‘panim hadachot’ (nouveaux invités) pour les sept bénédictions du marié et de la mariée.
Il s’avère que le jour du Chabbat est considéré comme une réparation complète de la faute du veau d’or, et ce jour-là, dans la lumière spéciale du Chabbat, le peuple juif revient au niveau de « naassé vénichma », auquel il était arrivé avant la faute.
« Malheur à l’âme perdue »
A partir de cale Il est possible de comprendre les paroles de la Guémara (Betsa 16b) qui affirment qu’une âme supplémentaire est accordée à l’homme la veille du Chabbat, puis, à la fin de celui-ci, elle lui est retirée, comme il est écrit : « Chabbat vayinafash » (Il cessa de travailler et se reposa) (Exode 31:17). Ce passage est interprété ainsi : « vai nefesh » (malheur à l’âme ajoutée que chacun abandonne). Les commentateurs se posent alors la question : pourquoi ce concept de « vayinafach », qui évoque la perte de l’âme, est-il mentionné à l’entrée du Chabbat, quand cette âme arrive, plutôt qu’à sa sortie ?
À la lumière des explications précédentes, nous pourrions suggérer qu’à l’entrée du Shabbat, lorsque l’individu ressent la lumière précieuse de ce jour sacré, il est saisi d’une mélancolie, conscient que, si ce n’était pas pour le péché du veau d’or, cette même lumière aurait pu rayonner tout au long de la semaine.
Pourquoi empêcher de nouveaux dons ?
À ce sujet, il convient d’ajouter ce que nous trouvons concernant la description des dons du peuple (36, 5-7). Le Sfat Emet demande pourquoi les versets s’attardent à décrire la situation où le peuple apporte de nombreux dons, au point qu’il est nécessaire de les empêcher d’en apporter davantage. En outre, questionne le Or HaHaïm Hakadosh, d’un côté, il est écrit « et le travail était suffisant », ce qui signifie que les quantités apportées étaient en adéquation avec l’ouvrage, et d’autre part, il est écrit « et il y avait du surplus ».
Le Or HaHaïm explique que grâce à l’amour du peuple d’Israël pour la construction du Michkan, un miracle s’est produit : bien que le peuple ait apporté plus que nécessaire, tout a été inclus dans la réalisation du Michkan. Moché craignait qu’un excès de dons ne conduise à une corruption, comme cela s’était produit dans la faute du veau d’or. La solution donnée était « et le peuple cessa d’apporter », ce qui témoigne du fait qu’il est parfois plus difficile d’empêcher une personne de donner que de l’encourager à commencer le processus. Cette retenue dans l’apport excessif est ce qui a influencé la nature de chaque don, pour qu’il soit une mitsva purement dirigée vers le Ciel.
Pour conclure
Certes, l’homme a été créé pour créer, agir et innover, mais il doit veiller à poser des limites à sa création. La sainteté qui apparaît le Chabbat, symbolisant la présence de D-ieu dans la création, limite la création humaine et l’empêche d’échapper à tout contrôle. Le Chabbat, au cours duquel tous les travaux s’arrêtent, offre à l’homme l’occasion de considérer ses créations de la semaine – sont-elles en accord avec la volonté du Créateur, et restent-elles dans les limites qui leur conviennent ?
L’arrêt complet durant Chabbat est l’occasion de revenir à soi-même et de réfléchir à nos actions, pour voir si elles servent les valeurs et les principes qui nous guident. La combinaison entre création et cessation offre à l’homme un espace de réflexion sur sa place dans le monde du Saint, béni soit-Il.