Des Mitsvot tournées vers autrui
La fête de Pourim se caractérise par des Mitsvot entre l’homme et son prochain : l’envoi de michloah manot, les matanot laévyonim, le michté de Pourim, et même la lecture de la Meguila en public.
Mais il est légitime de se demander quel lien existe entre ces Mitsvot et l’essence même de la fête – la délivrance du décret d’Haman ?
Le Rabbi Shlomo Elkabetz, dans son livre Menot HaLevi, explique que la raison de la mitsva d’envoyer des michloah manot est que Haman décrit le peuple d’Israël comme « un peuple dispersé et divisé parmi les nations ». Autrement dit, le manque d’unité entre nous a conduit au décret sévère. Par conséquent, la voie de la réparation consiste à multiplier l’amitié et la fraternité, et la mitsva d’envoyer des michloah manot sert à renforcer les liens d’amitié entre les individus.
Amalek : L’orgueil absolu
Mais il est possible d’approfondir davantage. Les Mitsvot de Pourim sont dirigées contre Amalek – Haman lui-même étant un descendant d’Amalek.
Amalek symbolise l’orgueil absolu – dans la hassidout, il est noté que « Amalek » en guématria correspond à « Ram » (240), c’est-à-dire un sentiment d’arrogance et de hauteur illimitée. Cette guématria n’est pas fortuite, elle reflète la nature profonde d’Amalek : l’arrogance qui s’élève au-dessus de tout, y compris au-dessus de D.ieu lui-même.
Amalek est le premier peuple à avoir prétendu rivaliser avec D.ieu lui-même, et il est sorti en guerre contre Israël après la traversée de la mer Rouge, dans le but de remettre en question la révélation divine dans le monde. La Torah dit : « Car la main est sur le trône – kess de D.ieu, guerre pour D.ieu contre Amalek de génération en génération. » Rachi explique que normalement, le mot trône en hébreu se dit kissé, mais ici, il est écrit kess, sans la lettre alef, pour signifier que le trône divin n’est pas entier. Tant qu’Amalek existe, le trône reste incomplet, et la révélation de l’unité divine dans le monde ne peut être pleinement accomplie.
Cela est dit uniquement au sujet d’Amalek – Il est l’unique entité au monde dont il est dit que tant que son existence perdure, le trône de D.ieu et Son nom ne sont pas complets. C’est parce qu’Amalek représente l’ego infini, la sensation qu’il n’y a pas de place pour autre chose que soi-même. Il n’est pas un ennemi ordinaire, mais une essence de fierté pure qui s’oppose à la réalité divine elle-même.
C’est pourquoi celui qui combat Amalek est Yéochoua, qui, selon la Torah, est « le serviteur de Moché ». Yéochoua est le symbole de l’humilité et de la modestie – c’est lui qui arrangeait les bancs à la maison d’étude, totalement fidèle et discret. Tandis qu’Amalek s’élève et se considère comme le centre du monde, Yéochoua s’annule face à la vérité divine, et c’est lui qui est apte à lutter contre lui.
Haman : Un homme étroit et haineux
Une expression forte de cela se trouve chez Haman, petit-fils d’Amalek. Lorsqu’il décrit son succès, il dit : « Il leur raconta sa richesse, l’abondance de ses fils et tout ce qu’il avait reçu de la part du roi… » mais il ajoute immédiatement : « Et tout cela ne vaut rien pour moi, tant que je vois Mordekhaï le Juif assis à la porte du roi. » Autrement dit, il a tout – richesse, honneur, position – mais tout cela ne le satisfait pas tant qu’il existe une personne qui ne se prosterne pas devant lui. C’est la nature de l’orgueil infini, incapable d’accepter l’existence de l’autre.
Le Maharal explique ainsi l’expression « un homme étroit et un ennemi » – « étroit » signifie une contraction absolue, autrement dit, il n’y a de place pour rien d’autre que soi-même. C’est le sommet de l’ego – il ne peut supporter l’existence d’autre chose que lui.
Entre l’ennemi et l’ami
Il est intéressant de noter que les mots « ami – ohev (אוהב) » et « ennemi – oyev (אויב) » sont composés des mêmes lettres, à l’exception d’une petite différence : la lettre « Youd » dans « ennemi » est remplacée par la lettre « Hé » dans « ami ». Mais cette différence porte en elle une signification profonde.
Le « Youd », la plus petite lettre de l’alphabet, symbolise la contraction, l’enfermement en soi, le mauvais œil et l’absence de place pour l’autre. En revanche, la lettre « Hé » est ouverte et permet l’espace et l’accueil. C’est la différence essentielle entre l’ennemi et l’ami : l’ennemi réduit la réalité à lui-même – il n’y a pas de place pour quelqu’un d’autre, tandis que l’ami est ouvert à contenir l’autre et permet de faire de la place pour l’autre.
La manière de lutter contre Amalek et Haman est en faisant exactement l’inverse de leur voie – l’annulation de l’ego, le renforcement des liens entre les personnes et l’élargissement du cœur pour contenir l’autre. C’est pourquoi toutes les Mitsvot de Pourim concernent les relations entre les individus, car elles visent à cultiver des liens profonds et authentiques entre les êtres humains.
L’ivresse de Pourim – l’annulation de la subjectivité
De là, on peut comprendre la mitsva de l’ivresse à Pourim – « jusqu’à ne plus savoir distinguer entre maudit soit Haman et béni soit Mordekhaï ». A priori, comment est-il possible que la perte de la pensée soit considérée comme un mérite ? Pourtant nos sages ont dit que l’homme se distingue de l’animal uniquement par son esprit, et aussi qu' »un homme sans esprit n’est rien » !
Le secret réside dans la définition de la pensée : il ne s’agit pas de perdre la pensée, mais de dépasser la pensée privée et personnelle pour se connecter à la pensée plus large et universelle. L’ego naît d’une perception privée et subjective de la réalité – « tout comme leurs visages sont différents, ainsi leurs opinions sont différentes ». Lorsque l’on s’ivresse à Pourim, la pensée ne disparaît pas, mais elle s’harmonise avec l’ensemble. C’est cela le sens de « le vin entre et le secret sort » – le vin enlève les barrières et permet une connexion plus profonde entre les gens.
D’un point de vue plus profond, on peut dire que la pensée privée de l’homme est le résultat du péché de l’arbre de la connaissance. Avant le péché, la pensée de l’homme était connectée à l’unité divine, mais après le péché, la pensée est devenue privée, subjective et séparée.
L’ego, qui est né du péché de l’arbre de la connaissance, s’est incarné sous les traits de Haman. Comme il est dit dans le Talmud : « D’où vient Haman dans la Torah ? Il est écrit ‘le fruit de l’arbre – Hamin (en hebreu) – que je t’avais dit de ne pas manger, tu en as mangé ? » Le mot Hamin (המן), qui signifie « le fruit du », est composé des mêmes lettres que Haman (המן), établissant ainsi un lien direct entre lui et l’arbre de la connaissance. De là, on peut comprendre que Haman symbolise l’ego nourri par la consommation de l’arbre de la connaissance.
L’ivresse à Pourim ne mène pas à une perte de la pensée, mais à son retour à sa source, à la connexion avec la pensée objective – la pensée divine.
C’est le sens de « jusqu’à ne plus savoir distinguer entre maudit soit Haman et béni soit Mordekhaï » – l’homme s’élève au-delà des différences extérieures et voit comment tout est dirigé par le Créateur. À ce niveau, les petits détails se réduisent face à la grande image, et l’homme expérimente l’unité absolue de la réalité, dans laquelle il n’y a aucune différence entre Haman et Mordekhaï – tout est entre les mains de D.ieu.
Message
La fête de Pourim nous enseigne une leçon essentielle – passer de « l’ennemi » à « l’ami », de l’enfermement à l’ouverture, de l’inquiétude pour soi à la responsabilité partagée. L’envoi de michloah manot, les dons aux pauvres et le michté ne sont pas seulement des Mitsvot extérieures, mais un mode de vie qui répare la racine du mal représentée par Amalek – l’orgueil et l’arrogance.
À chaque fois que nous renonçons à notre ego pour le bien de l’autre, à chaque moment de véritable don et d’ouverture envers l’autre, nous effaçons un peu de la mémoire d’Amalek et rapprochons le monde de sa réparation complète.