‘Pourquoi m’implores-tu‘ ?
Dans notre paracha, juste après la sortie des enfants d’Israël d’Égypte vers une liberté éternelle, il est écrit : « Et les enfants d’Israël sortaient la main haute ». Cependant, par la suite, nous observons un recul dans le processus de rédemption. Les enfants d’Israël atteignent la mer rouge, où ils se retrouvent devant une impasse – la mer devant eux et l’Égypte à leurs trousses. Dans cette situation, la peur les envahit et leur cri vers l’Éternel retentit : « remplis d’effroi, les enfants d’Israël jetèrent des cris vers l’Éternel ». Ils se tournent alors vers Moché pour exprimer leurs angoisses : « Est-ce faute de trouver des sépulcres en Égypte que tu nous as conduits mourir dans le désert ? Quel bien nous as-tu fait, en nous tirant de l’Égypte ! ».
Moché, cherchant à insuffler de la confiance au peuple, leur dit : « Soyez sans crainte ! Attendez, et vous serez témoins de l’assistance que l’Éternel vous procurera en ce jour… L’Éternel combattra pour vous ; et vous, tenez-vous tranquilles ».
Pourtant, la suite n’est pas entièrement claire : Hachem s’adresse à Moché en lui disant : « Pourquoi m’implores-tu ? Ordonne aux enfants d’Israël de se mettre en marche. » Le sens des paroles de Dieu à Moché pose question, surtout qu’il n’est pas explicitement indiqué que Moché ait prié, seuls les cris des enfants d’Israël sont mentionnés. Rachi suggère que Moché aurait pu avoir prié, bien que cela ne soit pas précisé dans le texte. Mais même en supposant ainsi, il est essentiel de se demander pourquoi D-ieu le repousse en disant : « Pourquoi m’implores-tu ?» N’était-il pas légitime que Moché se tourne vers le créateur pour demander leur salut ?
Dans le midrash, les sages offrent plusieurs versions concernant l’interprétation des paroles de l’Éternel à Moché et leur signification. Selon l’opinion de Rabbi Éliezer, mentionnée par Rachi, Moché se tenait debout en prière lorsque Dieu lui fit remarquer que ce n’était pas le moment d’allonger la prière, car Israël se trouvait en détresse. Cela signifie qu’il était peut-être approprié de prier, mais de manière concise, car en période de détresse pour Israël, il est crucial de prier promptement avant d’agir.
Cependant, la question persiste – Moché ne percevait-il pas l’urgence de la situation ? N’était-il pas conscient de l’urgence de secourir le peuple d’Israël face à la détresse imminente ? Pourquoi prenait-il autant de temps ?
Les deux modèles de prière de Moché
Pour apporter un éclairage à cette paracha, nous évoquerons les paroles de la Guémara dans le traité Berakhot (34a), où est relaté le cas d’un élève qui officiait devant Rabbi Éliezer et prolongeait la prière. Les élèves de Rabbi Éliezer, perplexes face à la longueur de sa prière, demandèrent à leur maître : « Maître, combien peut-il s’allonger dans la téfila ?!» Rabbi Éliezer leur répondit : « Ce n’est pas plus long que ce que faisait Moché notre maître, comme il est écrit : ‘Quarante jours et quarante nuits’ ? ». Peu après, La Guémara mentionne qu’un autre élève avait prié de manière très brève, suscitant l’étonnement de ses camarades qui s’exclamèrent : ‘Quelle prière si courte !’. Rabbi Éliezer prétendit également qu’il n’y avait pas de prière plus courte que celle de Moché, lorsqu’il dit concernant sa sœur Miryam : « Ô seigneur, je te prie, guéris-la !».
Ces deux prières de Moché sont perçues par Rabbi Éliezer comme deux modèles légitimes de prière, parmi lesquels il est possible de choisir.
Cette notion est également présente dans le Baal HaTurim, qui propose une interprétation subtile du verset : « Pourquoi (מה) m’implores-tu ? » Il souligne que la lettre מ, figurant dans le mot ‘מה‘ (quoi), fait allusion aux quarante jours et quarante nuits que Moché a priés, et la lettre ה fait allusion aux cinq mots de sa prière courte pour sa sœur Miriam : אל נא רפא נא לה. Ainsi, Dieu lui indique qu’il est essentiel de discerner le moment propice pour prolonger la prière et celui où il convient de l’abréger.
Cependant, il est crucial d’explorer en profondeur la nature de ces deux modèles de prière, ainsi que la distinction qui les sépare.
Entre une prière qui crée et une prière qui matérialise
Le Rav Kook souligne qu’il existe deux types d’objectifs distincts dans la prière. Il fait la distinction entre une prière créatrice, qui engendre un processus spirituel, et une prière qui finalise et concrétise un processus déjà en cours.
Le premier type de prière vise à provoquer un changement et une élévation chez celui qui prie. Cette prière nécessite une certaine longueur, car tout changement requiert un processus long et graduel. Après la faute du veau d’or, Moché a prié pendant quarante jours, en tant qu’expression de la création d’un nouveau peuple d’Israël, ce qui expliquait le besoin d’une prière prolongée.
À l’inverse, il existe une prière qui émerge après un processus intérieur, visant à concrétiser les transformations vécues dans l’âme. Parfois, une personne ayant traversé un changement significatif peine à l’exprimer jusqu’à ce qu’elle le verbalise. Ce type de prière ne cherche pas à créer du nouveau, mais à finaliser un processus. Elle peut être brève, tant qu’elle porte des paroles significatives.
Quand Moché impose le silence au peuple
À partir de cela, nous pouvons avancer que Moché, en entendant les chefs d’Israël s’exclamer : « N’y avait-il pas assez de tombeaux en Égypte ? », a compris qu’ils n’étaient pas encore dignes de leur propre délivrance. Il soupçonnait peut-être qu’ils n’avaient pas la foi nécessaire pour traverser la mer, comme l’écrit Rabbi Ovadia Sforno. À ce moment-là, Moché leur répond : « Soyez sans crainte… L’Éternel combattra pour vous ; quant à vous, gardez le silence !». Moché ne cherche pas seulement à les rassurer en leur disant qu’ils n’ont pas besoin de se battre, mais il insiste sur le fait qu’ils doivent « se taire », c’est-à-dire qu’ils n’ont pas à crier ni à prier.
Moché pressent que le peuple d’Israël est encore dans un état d’enfance, incapable de faire face par lui-même, et qu’il doit les protéger jusqu’à ce qu’ils se sentent en sécurité et ne ressentent plus de peur face à l’ennemi. C’est pourquoi il leur demande de se taire, signifiant qu’ils n’ont pas besoin d’implorer Dieu, et qu’aucune prière de leur part n’est requise, car leur rédemption est assurée sans aucune action de leur part.
Quant à Moché, lui choisit de prier, et il récita une prière prolongée, car en tant que fidèle berger de son peuple, il doit prier pour qu’ils obtiennent tous la rédemption.
‘La prière de ton peuple a devancé la tienne‘ !
Mais à ce moment-là, Dieu se révèle et dit à Moché que son interprétation du peuple est erronée. Il lui demande : ‘Pourquoi m’implores-tu ?’ Le Targum Yonathan l’explique de manière remarquable : ‘Que te sert de crier et de prier ? N’est-ce pas la prière d’Israël qui a précédé la tienne ?’. Cela signifie que Hachem fait comprendre à Moché qu’il ne doit pas penser qu’il est nécessaire d’insuffler la foi en eux par sa prière. En réalité, la foi existe déjà en eux, et leur prière a précédé la sienne.
Bien qu’en Égypte, le peuple d’Israël fût « nu » et semblable à un nouveau-né, n’ayant pas encore besoin de prier, car l’Éternel veillait sur eux avec miséricorde, illuminant leurs demeures de Sa présence, néanmoins, il s’est écoulé un temps. Depuis, il s’est déroulé une période durant laquelle, pendant les sept jours précédant l’ouverture de la mer, ils ont eu l’occasion de progresser de manière significative, s’élevant d’un degré à l’autre, jusqu’à devenir dignes de participer activement au processus de rédemption.
Pour cela, Hachem a orchestré tout ce processus de manière à susciter la crainte, en les plaçant devant une mer tumultueuse, tout en laissant Pharaon s’approcher d’eux par derrière. Ainsi, Il leur a permis de ressentir la peur et l’appréhension pour les amener à prier, tout cela dans le but qu’ils commencent à comprendre qu’ils sont partenaires actifs de la rédemption.
Conclusion
Moché, ayant déduit de leur réaction qu’ils n’avaient pas la foi suffisante pour traverser la mer et goûter aux merveilles du divin, se mit alors à prier avec une ferveur profonde. Sa prière, longue et créatrice, était une quête pour insuffler de nouvelles forces à son peuple. C’est alors qu’Hachem, dans sa sagesse infinie, lui répondit : « Tu ne vois pas la véritable grandeur de mes enfants. Pourquoi pries-tu avec tant d’intensité ? Tous les pouvoirs résident en eux, il ne reste qu’à les libérer par l’action. ».
Ce message résonne profondément dans nos vies : souvent, nous cherchons des solutions extérieures ou des miracles, alors que les ressources dont nous avons besoin sont déjà en nous. En embrassant notre puissance intérieure, nous transformons nos peurs en éclats d’action, et réalisons ainsi les miracles de notre propre existence.